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Actions collectives : comment les avocats peuvent-ils ré-investir la défense des consommateurs ?
Parution : lundi 9 novembre 2015
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Actions collectives, actions groupées, défenses groupées, actions de masse..., grâce à l’usage des nouvelles technologies et du numérique, ces procédures représentent-elles de nouvelles manières pour les avocats de conquérir la défense des consommateurs ?
Pour répondre à cette question, le Village de la Justice vous propose de découvrir à titre d’exemple comment des avocats interviennent dans la défense des consommateurs grâce aux systèmes de défense mis en place, d’un côté, par Weclaim et le cabinet d’avocats Eloquence, et de l’autre, par le cabinet d’avocats Salles. Une arme de conquête de marchés ?

En France depuis le 1er octobre 2014, la loi sur la consommation (dite loi Hamon) [1] autorise les actions de groupe. Ces dernières permettent aux consommateurs de voir leurs droits mieux pris en compte et défendus, sans frais à leur charge. Pour éviter toute dérive, comme cela a pu être le cas avec les "class-action"aux Etats-Unis, le législateur a confié ces procédures aux associations de consommateurs et n’a pas souhaité que les avocats y soient associés. La loi Hamon souligne aussi que les actions de groupe ont pour but de réparer et non pas de punir et que seul le préjudice peut être remboursé. Or, comme le précise Alain Bazot [2] ce dernier peut parfois être extrêmement difficile à déterminer (voir l’interview d’Alain Bazot). De ce fait, certaines plaintes dans le domaine de la consommation ne pourront pas être défendues collectivement. C’est le cas par exemple, pour l’affaire Volkswagen, qui pour le moment, n’a pas pu être prise en considération par les associations de consommateurs.
D’où la volonté pour certains avocats de s’organiser et de développer des systèmes de défense permettant aux justiciables d’être défendus de façon individuelle tout en bénéficiant de la force du groupe.

Premier exemple : la plateforme "défense groupée" du cabinet Salles.

Sébastien Salles est avocat au Barreau de Marseille et a développé sur son site une rubrique appelée "défense groupée" qui a pour objectif de réunir les plaintes de plusieurs consommateurs, ayant subi un problème identique avec le même professionnel. Les plaintes sont propres à chaque plaignant, et seules les mises en demeure sont adressées de façon groupée par l’avocat à la société incriminée.

Sébastien Salles, quels sont les gains pour le client de ce mode de gestion collectif des dossiers ?
"Ce mode de gestion collectif des dossiers individuels offre plusieurs avantages aux clients :
- Cela permet d’offrir des solutions pour que les justiciables ne soient pas privés de faire valoir leurs droits à être défendus, même pour un petit préjudice.

Sébastien Salles.


- Cela permet à toute plainte d’être traitée.
- Cela permet de garder la force du groupe tout en conservant une gestion individuelle des dossiers et d’agir rapidement.
- Cela donne un avantage financier pour chaque client, car il y a de fait une réduction des frais d’intervention de l’avocat.
- Cela permet au justiciable de faire usage de son assurance juridique ou de bénéficier de l’AJ.
- Cela donne une sérénité certaine pour le client, car l’avocat a une assurance de responsabilité professionnelle. Si le cabinet ferme, les clients sont assurés de la continuité de leur dossier du fait de cette assurance professionnelle.
- Cela permet au client de conserver une totale indépendance dans son choix de poursuivre ou non dans le contentieux juridique. Il peut à tout moment s’arrêter si individuellement une solution proposée lui convient."

Comment gérez-vous la confusion possible de la part des clients entre actions collectives et actions de groupe ?
"Tout simplement par une explication de la procédure qui est individuelle.
La construction juridique d’une action individuelle présentée de façon groupée est différente de celle de l’action de groupe. Le plaignant devra payer une mise en demeure, alors que dans l’action de groupe cela n’a pas lieu d’être.
Chaque plaignant doit remplir un questionnaire individualisé.
En fait, comme précisé sur mon site pour un même litige (ex : la défense groupée contre Volkswagen), je traite individuellement chaque demande. J’envoie de manière groupée les mises en demeure afin de donner la force du groupe aux demandes individuelles et permettre la résolution amiable et rapide d’un litige.
Et au cas où le plaignant se serait engagé sur mon site en pensant prendre part à une action de groupe, il serait bien évidement remboursé des frais engagés."

Ce nouveau système de collectes et de gestions des plaintes individuelles représente t-il un nouveau type de fonctionnement pour les avocats ?

"En matière de défense de droit des consommateurs, il y a un réel potentiel pour les avocats..."


"Oui, en matière de défense de droit des consommateurs, il y a un réel potentiel pour les avocats rendu possible grâce à l’usage des nouvelles technologies et du numérique.
De plus, les actions de groupe telles qu’elles ont été mises en place en France sont prises en charge par les associations de consommateurs dont le litige n’est pas le cœur de métier. Ces associations ne sont pas armées (pour le moment) pour agir vite et fort.
Alors qu’un avocat ayant mis en place un système informatique, lui permettant de rassembler rapidement les plaintes individuelles, peut agir rapidement et bénéficier de la force du groupe.
L’alliance entre l’usage des nouvelles technologies, la déontologie et l’expertise de l’avocat permet au justiciable consommateur d’être défendu de façon efficace quel que soit l’objet de sa plainte."

Second exemple : Le cabinet d’avocats Eloquence partenaire du site Weclaim : quand un cabinet d’avocat et une start-up s’allient !

Weclaim est une plateforme internet qui a pour objectif de rassembler le plus de personnes possible autour d’une action montée par un avocat, avant de proposer un accord amiable aux entreprises ciblées ou, si elles refusent, d’aller en justice. Le cabinet d’avocats Eloquence, présent dès l’origine du site, intervient sur ce dernier au titre de deux actions judiciaires (indemnités pour rupture brutale et faute des banques dans le calcul des taux).
Frédéric Pelouze, co-fondateur de Weclaim et Arnaud Boix, avocat, reviennent pour nous sur ce partenariat.

Comment se fait le choix des avocats intervenant à la défense des dossiers inscrits sur Weclaim, y a t-il une sélection ?

Frédéric Pelouze (Weclaim) : "Nous travaillons avec des avocats ayant une expertise de premier plan dans leur domaine."

Arnaud Boix.
Profil Membre du Village ici.

Arnaud Boix (Cabinet Eloquence) : "Le site Weclaim s’est rapproché du cabinet Eloquence pour sa compétence notoire, sa rigueur et le sérieux avec lequel il traite les actions judiciaires sur les prêts immobiliers irréguliers aux services des particuliers. Concernant l’action en rupture brutale des relations commerciales traitée sur le plan judiciaire de longue date par les avocats du cabinet, elle a été a présentée à Weclaim par le cabinet lui-même. Cette action pouvant être conforme à son modèle économique, et apparaissant comme une réponse aux besoins de nos clients professionnels victimes d’un « déréférencement abusif » et qui n’ont souvent pas les moyens financiers suffisants pour en supporter le coût ou qui décident stratégiquement de transférer le coût d’une action judiciaire et d’en partager le gain éventuel."

Comment chacune des parties en présence, avocats d’un côté, Weclaim de l’autre, intervient-elle dans le processus de ces actions collectives ? Qu’en est-il de la responsabilité professionnelle ?

Les avocats engagent toujours leur responsabilité professionnelle de manière classique vis-à-vis de leurs clients.

F. Pelouze : "Weclaim n’intervient aucunement dans le « processus » . Ce sont les avocats qui produisent les écritures, fournissent les conseils et arrêtent la stratégie. Nous sommes financeurs de litiges, pas avocats. Les avocats engagent donc leur responsabilité professionnelle de manière classique vis-à-vis de leurs clients."

A. Boix : "Le cabinet Eloquence conserve toute son indépendance et sa rigueur permettant d’apporter une véritable crédibilité juridique aux justiciables."

Une fois la procédure de l’action collective lancée, qui gère les données fournies par les plaignants ? Qu’en est-il du principe de confidentialité ?

F. Pelouze : Le client communique des « données » via le site et elles sont confiées à la fois à Weclaim et à l’avocat. L’avocat « gère » les données du client selon les obligations légales, réglementaires et déontologiques propres à sa profession. Pour notre part, nous avons une obligation contractuelle en vertu des clauses relatives à la confidentialité figurant dans nos conditions d’utilisation du site.

A. Boix : "Le Cabinet Eloquence respecte scrupuleusement le principe de confidentialité et est principalement, contrairement à Weclaim, rémunéré par un honoraire fixe pour les prestations réalisées."

Comment gérez-vous la possible confusion auprès des plaignants entre actions de groupe et actions collectives ?

Frédéric Pelouze.

F. Pelouze : "Nous faisons un travail de pédagogie à cet égard chaque fois que c’est possible, mais en vérité les choses sont relativement simples : les actions de groupe sont celles conduites par les associations de consommateurs. Les actions collectives sont celles conduites par des avocats.
C’est clair, simple et il est effectivement souhaitable que la distinction soit maintenant bien comprise par tous. Cela dit, nous ne parlons que d’outils procéduraux et pas de droits substantiels : autrement dit, le droit d’être indemnisé de chaque victime est indifférent à ces questions."

A. Boix : "L’information et rien que l’information ! Nous expliquons que chaque action est spécifique et indépendante même si la problématique juridique se retrouve dans de nombreuses autres affaires."

Arnaud Boix, comment un site tel que « Weclaim » sert-il votre cabinet (économie d’échelle par la mutualisation, forte communication pour obtenir de nouveaux clients…) ?
"Avant toute chose, nous nous sommes rapprochés car nous poursuivons un objectif similaire servi par l’innovation des technologies et des services. Il y une synergie évidente lorsque vous rapprochez deux acteurs complémentaires proposant une solution qui ne souffre pour ainsi dire à ce jour d’aucune concurrence. Weclaim permet au cabinet Eloquence d’offrir une solution à certains de nos clients qui ne souhaitent pas avancer sur leurs fonds propres nos honoraires et frais de procédure et préfèrent limiter les gains en cas de succès. Cela est d’autant plus vrai pour des actions fondées sur le droit de la concurrence entre professionnels souvent longues et coûteuses !"

Frédéric Pelouze, il est inscrit sur votre site que "les plaignants n’ont rien à faire, rien à payer", comment sont donc financées ces actions ?
"Les actions collectives (Action Volkswagen) ou les litiges individuels (dossiers d’infections post-opératoires par exemple) sont financés par Weclaim, ce qui signifie concrètement que nous payons les honoraires des avocats. Les plaignants ne paient pas d’honoraires d’avocat. Et nous ne sommes rémunérés qu’en cas de succès sur les sommes attribuées au justiciable. Le coût de nos services oscille entre 20 et 30% (parfois moins sur les dossiers fiscaux par exemple qui sont moins lourds à traiter et moins risqués)."

Comme le montre ces deux exemples, que ce soit de façon individuelle ou en partenariat avec une start-up, les cabinets d’avocats ont la possibilité de reconquérir la défense des consommateurs. Cela représente un réel challenge notamment du fait des moyens techniques à mettre en place, mais cette reconquête s’avère fascinante...
Il est cependant légitime de se poser la question de savoir comment ces procédures vont-être accueillies et gérées par les juges. Ces procédures seront-elles traitées si rapidement ? Vu leur nombre, on peut en douter...
Nous reparlerons forcément de cette nouvelle "arme" des avocats dans la bataille concurrentielle.

© première photo : Fotolia

Propos recueillis par Marie Rédaction du Village de la Justice.

[1Loi du 17 mars 2014 relative à la consommation.

[2Alain Bazot, Président de l’association UFC Que choisir.

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