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PLFSS 2016 – Une nouvelle contribution des employeurs à prévoir pour certains salariés dispensés de la complémentaire santé d’entreprise. Par Guillaume Dedieu, Avocat.
Parution : mercredi 4 novembre 2015
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Alors qu’un nombre très important d’entreprises sont actuellement sous tension face à l’entrée en vigueur au 1er janvier 2016 de la généralisation de la couverture complémentaire frais de santé (crainte inhérente à une première mise en place, démarchages importants des opérateurs d’assurance, mise en conformité suite à des évolutions conventionnelles, attente de l’issue des négociations des branches…), le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2016 prévoit de corriger un pan important des cas autorisés de dispense.

Ce dispositif est présenté comme devant répondre aux attentes des personnes qui exercent une activité professionnelle à temps très partiel ou en contrat à durée déterminée de très courte durée, que ce soit auprès d’un seul ou de plusieurs employeurs.

En effet, des situations de dispense existent actuellement pour les CDD de courte durée ainsi que pour les salariés au faible volume horaire, résultant des dispositions de l’article R.242-1-6 du code de la sécurité sociale. Ces cas de dispense, qui permettaient à l’employeur de préserver le caractère collectif et obligatoire de son régime, reposaient parfois sur la souscription par les salariés concernés, à titre individuel, d’une complémentaire santé. Ces contrats négociés individuellement sont toutefois jugés plus coûteux que les contrats collectifs. De surcroît, ces dispenses ne permettent pas au salarié concerné de bénéficier de la participation de l’employeur au financement du régime. Ce sont ces conséquences que le législateur souhaite corriger. Le salarié faisant le choix d’être dispensé doit, selon ce même législateur, pouvoir obtenir de la part de l’employeur un versement en rapport avec ce que ce dernier aurait versé s’il avait adhéré à la couverture collective de l’entreprise.

Les dernières lois de financement de la sécurité sociale étant généralement promulguées dans les dix derniers jours du mois de décembre, la modification envisagée au régime juridique des frais de santé est donc susceptible de créer de nouvelles confusions pour les entreprises. Et ce d’autant que la date du 1er janvier 2016, attendue par beaucoup d’entreprise pour une première mise en place d’un régime frais de santé d’entreprise ou pour une mise en conformité d’un régime préexistant, est extrêmement proche.

En pratique, le texte adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale a de très fortes probabilités de correspondre au texte final (le Sénat est dans l’opposition et ses modifications sont généralement peu suivies – les secondes lectures devant l’Assemblée Nationale ne donnent pas non-plus lieu à d’importantes modifications, l’intervention des commissions étant allégée). Il convient donc dès à présent d’étudier les implications de ce nouveau texte et de s’y préparer.

L’article 22 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture, prévoit ainsi :

- une modification de l’article L.911-7 du code de la sécurité sociale, comprenant l’ajout de deux nouveaux alinéas.

Le premier alinéa instaure une faculté légale pour les salariés, à leur seule initiative, d’être dispensé lorsque les conditions du nouvel article L.911-7-1 du code de la sécurité sociale seront réunies (cf. infra).

Il ne s’agit pas ici d’une nouveauté en tant que tel puisque l’article R.242-1-6 du code de la sécurité sociale, auquel renvoie l’article D.911-2 du code de la sécurité sociale, précise déjà, pour l’ensemble des cas de dispense, qu’il s’agit d’un choix du salarié. Mais l’ajout d’une contribution financée à la charge de l’employeur en cas de demande de dispense d’un salarié dont la durée du contrat et/ou la quotité horaire est faible, ainsi que la définition du régime social de cette contribution, ont contraint le législateur à intégrer cette demande de dispense dans un texte législatif et non règlementaire. L’inscription de cette dispense à l’article L.911-7 du code de la sécurité sociale lui permet de surcroît d’être opposable aux employeurs et salariés en cas de contentieux prud’homal.

Le second alinéa ajouté renvoie à un décret la possibilité de fixer des catégories de salariés « pouvant être dispensés, à leur initiative, de l’obligation de couverture, eu égard au fait qu’ils disposent par ailleurs d’une couverture complémentaire ». Ce mécanisme de renvoi à un décret existe déjà dans la rédaction actuelle de l’article L.911-7 du code de la sécurité sociale. Le décret n°2014-1025 du 8 septembre 2014, qui a créé l’article D.911-2 du code de la sécurité sociale à cet effet, était alors venu préciser que la mise en place d’une complémentaire santé par décision unilatérale de l’employeur peut prévoir des situations de dispense d’adhésion, « sous réserve que les catégories définies correspondent à tout ou partie de celles définies à l’article R. 242-1-6 du code de la sécurité ». Ce nouveau renvoi permettait un alignement des cas de dispense entre les obligations de l’employeur vis-à-vis de ses salariés et le régime d’exonération de cotisations sociales applicables aux contributions de financement. Au final, la modification engendrée par l’article 22 du PLFSS 2016 parait donc sur ce plan purement rédactionnelle. Un nouveau décret devrait être pris mais il ne pourra plus viser les dispenses d’affiliation liées à la nature ou aux caractéristiques de leur contrat de travail, celles-ci relevant dorénavant de l’article L.911-7-1 du code de la sécurité.

- la création d’un nouvel article L.911-7-1 du code de la sécurité sociale

Ce nouvel article a logiquement pour objet de créer une nouvelle organisation de la couverture complémentaire frais de santé pour les salariés dont la durée du contrat ou la durée du travail prévue par ce contrat est inférieure à certains seuils, avec droit à une participation de l’employeur.

Cette dispense sera de droit pour les salariés. Autrement dit, il ne sera pas nécessaire que l’acte fondateur du régime collectif de frais de santé (accord de branche ou accord d’entreprise, ou à défaut décision unilatérale de l’employeur) le prévoit expressément.

Les seuils (durée du contrat et durée du travail) permettant de définir les salariés concernés seront fixés par décret. Au regard de l’urgence, ce décret devrait être publié à la suite immédiate de la promulgation de la loi. Il convient toutefois de noter que l’étude d’impact du PLFSS 2016 indiquait un possible seuil de 6 mois pour les CDD et de 24 heures hebdomadaires pour les salariés en contrat à temps partiel.

Lorsqu’ils seront dans le champ d’application de ce décret, les salariés qui demanderont à être dispensés de la couverture d’entreprise auront droit, à leur demande, au versement par leur employeur d’une somme représentative du financement de la complémentaire frais de santé et de sa portabilité. Il s’agira toutefois pour le salarié de démontrer la souscription d’un contrat individuel d’assurance maladie complémentaire portant sur la période concernée.

Un décret devra également intervenir pour déterminer les modalités selon lesquelles est fixé le montant de la participation de l’employeur. En parallèle, il semble acquis que ce financement ne pourra pas être cumulé avec le bénéfice de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c) et avec l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS).

Il convient enfin de noter que le législateur prévoit d’autoriser, par un accord de branche ou par un accord d’entreprise, les partenaires sociaux à rendre obligatoire ce dispositif de dispense pour les salariés concernés (projet d’article L.911-7-1 III du code de la sécurité sociale). La couverture collective serait alors de fait remplacée par une couverture individuelle, financée en partie par l’employeur. En d’autres termes, la dispense ne nécessiterait plus une demande préalable du salarié. Elle lui sera imposée, avec contribution de l’employeur au financement du contrat individuel. Il appartiendra cependant à l’accord collectif de fixer les seuils de durée du contrat (CDD) ou de durée du travail (temps partiel) pour déterminer les catégories de salariés concernés, dans la limite de plafonds fixés par décret. A noter que l’étude d’impact du PLFSS fait référence à des plafonds de 3 mois de durée de contrat ou de 15h de travail hebdomadaire.

Au final, ce sont donc plusieurs décrets d’application qui devront être pris pour définir les seuils du nouvel article L.911-7-1 du code de la sécurité sociale. Le V de l’article 22 du PLFSS 2016 précité précise de surcroît que l’ensemble de ce nouveau dispositif entre en vigueur le 1er janvier 2016. Seul un délai d’un an a été intégré dans le projet de loi pour permettre aux employeurs, à titre dérogatoire, de mettre en œuvre de droit la couverture complémentaire santé aux salariés à faible quotité de travail par le versement d’une contribution financière, dans le cadre du III précité du projet d’article L.911-7-1 du code de la sécurité sociale. Ce délai est justifié par l’impossibilité pour les partenaires sociaux d’initier une négociation dans un délai aussi réduit. Une décision unilatérale de l’employeur sera nécessaire, sous réserve que celle-ci ne s’oppose pas à un accord de branche préexistant et qu’elle définisse les catégories de salariés concernés. Ces catégories devront toutefois respecter les plafonds qui seront fixées par décret.

Les délais extrêmement réduits entre l’adoption prévue de ce dispositif et la généralisation de la complémentaire santé annoncent une confusion certaine dans la mise en œuvre de ce dispositif. En outre, on peut également s’interroger sur la lisibilité du dispositif de généralisation de la complémentaire santé, dès lors que tendent à se multiplier des mesures catégorielles de dispense, toutes ayant un régime bien distinct.

Guillaume DEDIEU
Avocat