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Convention de forfait « heures » sur la semaine : même l’accord du salarié ne permet pas de déroger aux dispositions conventionnelles. Par Pierre-Damien Venton, Avocat.
Parution : vendredi 13 novembre 2015
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Aux termes d’une série d’arrêts rendus le 4 novembre 2015 [1], la Cour de cassation a procédé à l’annulation de plusieurs conventions individuelles de forfait qui organisaient le temps de travail en heures sur la semaine.

Ces conventions individuelles avaient été conclues en application de la CCN Syntec, sans respecter toutefois les conditions de rémunération minimale fixées par les partenaires sociaux, raison pour laquelle la Haute Cour les a invalidées.

Une telle prise de position n’est pas neutre, compte tenu des actions en rappels de salaire qu’elle risque de générer auprès des salariés ayant accepté une telle formule d’organisation du temps de travail alors qu’ils ne bénéficiaient pas de la rémunération minimale exigée par la CCN Syntec -ou par extension, tout autre Convention collective de branche ou d’entreprise fixant une rémunération minimale-.

Alors que la Cour de cassation se focalise depuis plus de deux ans sur la définition d’un cadre précis pour la mise en place de conventions de forfait « jours », ces arrêts -destinés à une large diffusion (FS-PBRI)- rappellent que les juges entendent veiller d’une manière plus générale, sur toutes les formules d’organisation du temps de travail.

I – Rappel des règles générales régissant la mise en place de conventions de forfait en heures conclues sur une base hebdomadaire.

Les conventions de forfait organisant le temps de travail en heures sur la semaine (ou sur le mois), peuvent être conclues avec tous les salariés, cadres ou non, y compris en l’absence d’accord collectif -à la différence des forfaits en heures sur l’année et des forfaits en jours sur l’année-.

Cette modalité d’organisation du temps du travail permet de fixer une durée contractuelle de travail supérieure à la durée légale (35 heures hebdomadaires) en simplifiant la gestion de la paie par le règlement d’une rémunération incluant le nombre d’heures supplémentaires accomplies de façon régulière par le salarié.

Il est entendu que les heures accomplies au-delà du forfait défini par les parties, doivent être décomptées et payées.

II – Règles fixées par la CCN Syntec pour la mise en place de conventions de forfait en heures conclues sur une base hebdomadaire.

Si la mise en place de forfaits en heures sur la semaine (ou le mois) peut résulter ainsi qu’il l’a été rappelé d’une simple convention individuelle conclue entre le salarié et l’employeur, il n’est pas rare que des Conventions collectives de branche conditionnent le recours à un tel forfait au respect d’un certain nombre de règles.

Tel est le cas notamment de la CCN Syntec dont l’accord du 22 juin 1999 sur la durée du travail précise que les entreprises relevant de son champ d’application, peuvent conclure une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine de 38h30, assortie d’une rémunération au moins égale à 115% du salaire minimum conventionnel.

Cette possibilité est toutefois réservée aux seuls ingénieurs et cadres dont la rémunération est au moins égale au plafond de la sécurité sociale (38.040€ en 2015) -étant précisé qu’un accord d’entreprise peut le cas échéant étendre cette modalité de gestion du temps de travail à d’autres catégories de personnel-.

III – Position de la Cour de cassation en présence d’une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ne répondant pas aux exigences de la CCN Syntec : Annulation.

Dans les affaires soumises à la Cour de cassation, l’employeur avait décidé de s’exonérer du respect de la condition de rémunération minimale en régularisant des conventions individuelles de forfait en heures sur la semaine avec des ingénieurs et cadres percevant un salaire inférieur au plafond de sécurité sociale.

La Cour de cassation invalide ces forfaits en retenant que :

-  dans cette branche, l’accord du 22 juin 1999 limite la possibilité de conclure de tels forfaits qu’avec les seuls ingénieurs et cadres justifiant d’une rémunération au moins égale au plafond de la sécurité sociale ;

-  l’accord individuel donné par un salarié pour l’application d’un forfait en heures sur la semaine n’est pas susceptible de permettre d’éluder la condition de rémunération minimale posée par les partenaires sociaux dès lors que :

o les clauses d’une convention collective s’appliquent au contrat de travail, sauf stipulations contraires plus favorables (Article L.2254-1 du Code du travail) ;
o un salarié ne peut renoncer aux dispositions de la Convention collective.

IV – Conséquences financières de l’annulation de la Convention individuelle de forfait en heures sur la semaine.

Du fait de l’annulation de la convention individuelle de forfait, les salariés concernés sont considérés avoir été rémunérés non pas au titre de la durée de travail fixée contractuellement mais sur la base de la durée légale de travail, soit 35 hebdomadaires.

Ils sont donc fondés à réclamer le paiement des heures accomplies entre 35 heures et 38 heures 30 (le cas échéant au-delà) sur la base d’un taux horaire recalculé puis majoré, dans le cadre d’une prescription triennale.

Une telle démarche sera d’autant plus aisée pour les intéressés que les stipulations de la convention de forfait annulée, établiront qu’ils ont accompli une durée supérieure à la durée légale (38h30 pour les cas de la CCN Syntec).

Les arrêts du 4 novembre 2015 ne peuvent en conséquence qu’inciter les entreprises à faire preuve de la plus grande vigilance en procédant à un audit de leurs contrats de façon à vérifier qu’ils sont conformes aux dispositions conventionnelles, lorsqu’il en existe.

Pierre-Damien VENTON Avocat à la Cour VENTON AVOCATS CONSEIL ET CONTENTIEUX EN DROIT SOCIAL E-mail : pierre.venton@venton-avocats.fr Site internet : www.venton-avocats.fr

[1Cass. soc. 4 novembre 2015, n°14-25.745 14-25.746 14-25.747 14-25.748 14-25.749 14-25.750 14-25.751.

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