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Pourquoi est-il si important d’informer activement le public dans le cadre de la protection contre les accidents majeurs ? Par Maman Rabiou Ousseini Kaka.
Parution : mardi 8 décembre 2015
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Dans le passé et tout récemment, l’on a assisté à des situations d’urgence ayant porté des graves atteintes à l’homme et à l’environnement, provoquées par des accidents industriels ou des substances dangereuses, à l’instar de Tchernobyl (Ukraine), le Bhopal (Inde), Schweizerhalle (Suisse), l’explosion d’une usine chimique à Toulouse en 2001 (France), l’accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima (Japon). En outre, la guerre en Ukraine accentue la tendance à recourir d’avantage à l’énergie nucléaire pour compenser le pétrole et gaz russe jadis servant de source d’énergie en Europe. Même la Suisse semble faire marche arrière sur son engagement à quitter le nucléaire. De tels événements doivent susciter le besoin d’instaurer un droit de savoir du public sur les questions environnementales en général et celles liées aux accidents majeurs en particulier.
Notre article se réfère au droit suisse et international de manière générale.

Avant de répondre à notre question, il convient tout abord de définir la notion des « accidents majeurs » [1] et de mentionner le fondement de l’obligation d’information active en la matière. Selon l’art. 2 de l’Ordonnance du 27 février 1991 sur la protection contre les accidents majeurs (OPAM) :
« est réputé accident majeur tout événement extraordinaire qui survient dans une entreprise, sur une voie de communication ou sur une installation de transport par conduites et qui a des conséquences graves : a. hors de l’aire de l’entreprise ; b. sur la voie de communication elle-même ou en dehors de celle-ci ; c. hors de l’installation de transport par conduites ». [2]

La protection contre les accidents majeurs est un des domaines que traite le droit suisse de l’environnement. L’information du public concernant un tel domaine fait donc partie des informations sur l’environnement. Ces dernières sont activement diffusées au public en vertu de l’art. 10e de la loi sur la protection de l’environnement (LPE) de manière générale, et en particulier en vertu des articles 13 et 20 OPAM dans le cadre des accidents majeurs. La Suisse est aussi partie contractante à Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention Aarhus) et la Convention d’Helsinki du 17 mars 1992 sur les accidents industriels.

Il convient à présent de répondre à la question qui fait l’objet de notre étude : pourquoi est-il si important d’informer activement le public dans le cadre de la protection contre les accidents majeurs ?
D’une manière générale le préambule de la Convention d’Aarhus énumère un certain nombre de raisons qui justifient l’importance primordiale d’informer le public en matière d’environnement. De même, bien avant l’adoption de cette Convention, le législateur suisse a souligné l’importance d’informer activement le public sur l’environnement. [3]. Ainsi justifie l’information environnementale des raisons telles que :
-  Le renforcement du contrôle démocratique des décisions des autorités publiques par le biais de la transparence de l’action administrative,
-  L’incitation du public à la participation au processus décisionnel relative aux domaines environnementaux et à la gestion de son cadre de vie,
-  La nécessité de donner au public la possibilité de vérifier l’existence et la réalité des données environnementales au sens large, c’est-à-dire celles qui ont trait aux éléments de base de l’environnement et qui regroupent entre autres le sol, le sous-sol, l’eau, l’air, la faune, la flore,
-  La nécessité d’informer le public sur les projets et activités susceptibles de porter atteinte à la santé humaine et/ou à l’environnement.

L’information du public en matière d’environnement trouve donc toute son importance dans le but de permettre au public de vivre dans un environnement sain [4], mais aussi de le responsabiliser afin qu’il agisse en faveur de l’amélioration de son environnement (art. 10e, al. 3, LPE). L’information environnementale est donc importante dans l’objectif de protéger l’environnement au sens large ainsi que la santé humaine et son bien-être.

En matière de protection contre les accidents majeurs en particulier, l’information active du public à une importance capitale en situation ordinaire qu’en situation d’urgence dans la mesure où il est question d’utilisation des substances dangereuses susceptibles de causer des graves dommages en cas d’événement extraordinaire. Il est beaucoup plus probable qu’un manquement à l’information sur le bruit lié au travail dans un chantier ait une conséquence néfaste moindre qu’au manquement d’une information sur l’explosion d’une usine utilisant des produits chimiques dangereux.

Bien que dans les deux situations les autorités sont tenues d’informer activement le public (art. 10e, al. 1, LPE), l’information dans la deuxième situation révèle un caractère auquel l’on attachera une attention beaucoup plus accrue du fait de l’ampleur des dommages qu’une telle situation risque d’entrainer.

Ainsi, en matière de protection contre les accidents majeurs, l’importance d’informer activement le public réside tout d’abord en situation ordinaire, c’est-à-dire pendant le fonctionnement normal des installations dangereuses. Il est important par le biais d’information active de rassurer la population voisine aux sites d’activités dangereuses, lui permettre d’évaluer les risques qu’elle encourt [5], mais aussi d’éviter qu’elle perturbe l’activité des sites en raison de manque de transparence de la part des autorités [6]. En outre, à travers l’information active, on facilite les échanges entre le public concerné et différents acteurs, notamment les détenteurs des installations et les pouvoirs publics. Des tels échanges contribueraient à créer une certaine confiance entre les différents intervenants, et de permettre aux autorités de prendre des décisions optimales. L’information en temps de fonctionnement normale permet aussi de préparer la population et de lui apprendre le comportement à adopter en cas d’accident majeur.

Cet événement une fois survenu, les autorités doivent informer sans délai la population concernée (art. 13 OPAM). Une telle information est importante pour permettre au public de prendre des mesures pour prévenir ou limiter les éventuels dommages que peut causer l’accident. Ainsi l’art. 5 al. 1c Convention d’Aarhus stipule qu’en « cas de menace imminente pour la santé ou l’environnement, qu’elle soit imputable à des activités humaines ou qu’elle soit due à des causes naturelles, toutes les informations susceptibles de permettre au public de prendre des mesures pour prévenir ou limiter d’éventuels dommages qui sont en la possession d’une autorité publique soient diffusées immédiatement et sans retard aux personnes qui risquent d’être touchées ».

De toute évidence, l’importance de l’information environnementale en matière de protection contre les accidents majeurs est aisément démontrable. Informer permet de sauver des vies, de réduire aussi les éventuels dommages environnementaux et matériels. Toutefois, pour que l’information soit efficace les autorités seront tenues de rassembler les renseignements nécessaires et fiables destinés à la protection contre les accidents majeurs, mais aussi de les diffuser au public en toute objectivité. Ce qui nous ramène à poser la question suivante : quelle est la portée de l’obligation liée au rassemblement et à la diffusion des informations sur la protection contre les accidents majeurs en droit suisse et international ?

Ousseini Kaka Maman Rabiou

[1Le droit de l’Union européenne utilise aussi l’expression « accidents majeurs », cf. Directive 2012/18/EU du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 ; tandis que la Convention d’Helsinki du 17 mars 1992 emploie le terme « accidents industriels.

[2Pour des détails doctrinaux liés à cette définition : cf. BRAHIER Jean-Michel, Installations dangereuses et aménagement du territoire, Protection contre les accidents majeurs et maîtrise des constructions à proximité des installations dangereuses, p. 51, thèse Fribourg, 2010.

[3Cf. Message du 31 octobre 1979 relatif à une loi fédérale sur la protection de l’environnement, p. 771.

[4Cf. Art. 1 Convention d’Aarhus, Guide d’application.

[5Cf. Affaire Guerra et al. c. Italie (116/1996/735/932), Cour européenne des droits de l’homme, Strasbourg, 19 février 1998. Cette affaire a été suivie par d’autres qui lui sont semblables, telles que : Öneryildiz c. Turquie (GC), N° 48939/99, 30. 11. 2004, Rec. 2004-XII, §90 ; Giacomelli c. Italie, N° 59909/00, 2.11. 2006, Rec. 2006-XII, § 83 ; Tatăr c. Roumanie, N° 67021/01, 27. 1. 2009, § 113 ; Di Sarno et autres c. Italie, N° 30765/08, 10.1.2012, § 107.

[6Cf. Activistes de Greenpeace qui se sont introduits dans une centrale nucléaire sans autorisation : http://www.ensi.ch/fr/2014/03/05/ac...