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Mention dans l’assignation des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige : une réforme inutile ? Par Baptiste Robelin, Avocat.
Parution : lundi 21 décembre 2015
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Depuis plusieurs années, les modes amiables de règlement des litiges font l’objet d’une attention particulière du législateur. Le décret n°2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends en est une nouvelle illustration. L’application du décret soulève un certain nombre de difficultés pratiques sur lesquelles il n’est pas inutile de s’arrêter.

Depuis le 1er avril 2015, outre les mentions traditionnelle [1], l’article 56 du CPC [2] exige que l’assignation fasse état «  des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige », « sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public ».

Quelques mois après l’entrée en vigueur de la réforme, nous proposons de revenir sur les difficultés soulevées par cette nouvelle mention imposée par le troisième alinéa de l’article 56 du CPC.

A cet égard, tant l’impossibilité de cerner le contenu de la mention (I) que l’incertitude entourant ses sanctions (II) conduisent à dresser un bilan mitigé de la réforme.

I- Une exigence au contenu insaisissable.

La disposition présente une double difficulté : apprécier le « motif légitime » de déroger à l’obligation de la mention dans l’assignation des «  diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige » (A) ; à défaut d’un tel motif, la manière dont doivent être formulées de telles diligences (B).

A. La difficile appréhension du « motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée ».

Aux termes du décret du 11 mars 2015, «  sauf justification d’un motif légitime, [...] l’assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ».

L’appréciation d’un tel motif peut cependant s’avérer difficile. Le « motif légitime » relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Essentiellement casuistique, ce standard se prête assez mal à une systématisation.

L’article 56, alinéa 3 du CPC tente d’apporter quelques précisions en ajoutant que le motif peut résulter de « l’urgence » ou de la « matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public ».

Loin de constituer un véritable éclairage, ces précisions sont elles-mêmes source de questionnements.

Il est d’abord permis de s’interroger sur le caractère limitatif des critères envisagés : le motif légitime peut-il résulter d’autres circonstances que celles visées par le texte ? La jurisprudence aura sans doute à se prononcer sur ce point.

Il importe ensuite de cerner ce que dissimulent, derrière leur généralité, les expressions « urgence » et « matière considérée ».

1. Motif légitime et urgence

L’urgence n’est pas sans rappeler la procédure de référé de l’article 808 du CPC [3] . L’emploi du terme « urgence » pourrait donc laisser croire qu’il ne sera pas nécessaire de mentionner sur l’assignation les efforts éventuels de conciliation des parties, dès lors qu’il s’agit d’une procédure de référé.

Tel ne sera sans doute pas le cas, la procédure de référé ne se limitant pas aux seuls cas d’urgence.

La procédure de référé-provision en est bon un exemple [4] . Faut-il alors démontrer les efforts pour parvenir à une résolution amiable du litige pour introduire cette procédure ? Un tel impératif nous paraît contradictoire avec la lettre de l’article 809 al. 2 du CPC, qui dispose que la provision peut être accordée dans « les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Il est à craindre que l’échec d’une démarche amiable en vienne à être apprécié comme caractérisant l’existence d’une contestation sérieuse, ce qui compromettrait alors fortement l’efficacité de cette procédure.

La procédure au fond n’est pas non plus exclusive de la notion d’urgence. Rappelons en effet l’article 788 du CPC qui permet au président du Tribunal de grande instance d’autoriser le demandeur à assigner son adversaire à jour fixe, ou l’article 858 du CPC, qui prévoit la réduction des délais de comparution et de remise de l’assignation « en cas d’urgence » devant le Tribunal de commerce.

En toute logique, les exigences de l’article 56 alinéa 3 du CPC ne devraient pas non plus s’appliquer dans pareils cas.

2. L’existence d’un motif légitime à raison de la matière

Ensuite, le motif légitime peut tenir à « la matière considérée, en particulier lorsque celle-ci intéresse l’ordre public ». A priori, cette formule renvoie au contentieux des droits indisponibles [5]. Ceux-ci ne pouvant par définition faire l’objet de transaction [6], il est inutile dans cette matière d’imposer aux parties la démonstration dans l’assignation d’une tentative de règlement amiable du litige.

Le texte semble toutefois plus large, en ce qu’il ne vise pas simplement les droits indisponibles, mais plus généralement « l’ordre public ». Or, ce qui est d’ordre public n’est pas nécessairement indisponible. Échappant à l’emprise de la volonté contraire des parties, une règle d’ordre public peut, dans certaines conditions, donner lieu à une solution négociée : le contentieux de la consommation en fournit une illustration. Reste à savoir ce que la Cour de cassation fera d’une telle distinction.

Enfin, même si la question ne ressort pas directement des termes de l’article 56 du CPC, on peut se demander si une telle mention est nécessaire lorsqu’il existe une procédure de conciliation obligatoire devant la juridiction saisie [7] .

B. Difficultés pour indiquer « les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution du litige ».

En l’état, les praticiens rencontrent les plus grandes difficultés s’agissant de la détermination exacte du contenu à donner à une telle mention.

Une clause de style affirmant simplement que « tout a été fait en vue de parvenir à une conciliation ou à une médiation » sans autre précision, suffit-elle [8] ? Faut-il au contraire se livrer à une justification détaillée, exposant l’impossibilité pour les parties de se concilier en l’espèce, quitte à viser des pièces de l’assignation ?

Dans le cas d’une demande en paiement par exemple, l’existence d’une lettre de mise en demeure restée sans effet suffit-elle à justifier d’une tentative de règlement amiable du créancier à l’égard de son débiteur ?

Souhaitons que les tribunaux se satisfassent de mentions minimalistes, afin d’éviter des redites inutiles dans le corps de l’assignation. En effet, l’échec d’éventuelles démarches amiables trouve souvent son origine dans ce qui constitue le cœur du litige entre les parties.

En pratique d’ailleurs, l’existence d’une démarche amiable préalable à l’assignation peut sembler vaine, voire absurde dans un contexte conflictuel – ce qui est par définition assez courant en matière de contentieux. Elle ne fait alors que repousser la prise en main effective du litige par les juridictions.

Prenons l’exemple d’une victime demandant réparation d’un préjudice moral pour diffamation : on l’imagine difficilement demander à l’auteur des actes fautifs une indemnisation amiable des préjudices psychologiques qu’elle aura elle-même évalués. A supposer qu’elle ait entrepris une telle démarche – a priori inutile – elle aura vraisemblablement les plus grandes difficultés à la prouver.

La nouvelle mention est à cet égard à même de poser d’importants problèmes probatoires. Simple lorsqu’un tiers est intervenu, la démonstration des diligences entreprises est nettement plus difficile lorsque ces dernières n’ont été accomplies qu’entre les parties. Sans doute peut-on imaginer que leur avocat – si toutefois elles en ont un – atteste de l’échec des négociations. Cependant, comme le remarque un auteur, sur un plan déontologique « l’attestation d’un avocat au profit de son client heurte le principe selon lequel il ne peut témoigner sur des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions » [9] .

Sur le fond enfin, on peut regretter l’esprit du texte. La rapidité et l’effet de surprise font fréquemment partie de la stratégie contentieuse, indépendamment de l’urgence.

Pour gagner son procès, il est parfois nécessaire de faire pression sur son adversaire, de le prendre de vitesse dès l’assignation. L’avantage psychologique qui en résulte est souvent déterminant pour l’issue du litige. Paradoxalement, c’est parfois l’effet de surprise qui permettra de créer les conditions d’une négociation ultérieure.

II- Des sanctions incertaines.

Le décret précise les sanctions découlant du non-respect de la mention imposée par l’article 56, alinéa 3 (A). Toutefois, compte tenu de leur faible force dissuasive, il convient d’analyser la question sous un angle prospectif et d’aborder les sanctions envisageables (B).

A. Les sanctions prévues.

Au regard de l’article 56, alinéa 1er CPC, la mention des diligences entreprises en vue de tenter une résolution amiable du litige devrait être prescrite à peine de nullité. Plus précisément, l’acte devrait être sanctionné au titre d’une nullité pour vice de forme. Telle n’est cependant pas la solution retenue. Selon l’article 127 CPC, modifié par l’article 21 du décret du 11 mars 2015, « s’il n’est pas justifié, lors de l’introduction de l’instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation ».

La sanction a sans doute de quoi étonner. D’une part, il faut pour la connaître faire un bon d’environ soixante-dix articles dans le Code, ce qui est plutôt critiquable en termes d’intelligibilité. D’autre part, la réorientation des parties vers une conciliation ou une médiation judiciaire n’est jamais qu’une faculté pour le juge qui peut la « proposer aux parties ». Autant dire que la sanction n’a rien d’effrayant, d’autant qu’elle dépendra probablement des affinités qu’entretient tel ou tel juge avec les modes amiables de règlement des différends.

Quoi qu’il en soit, il faut en déduire que l’assignation est valable et produit ses effets : déclenchement des intérêts moratoires (art. 1146 C. civ), transfert des risques (art. 1138 C. civ), interruption de la prescription (art. 2241, al. 1er C. civ), etc.

B. Les sanctions envisageables.

Une autre sanction est-elle envisageable ? Sans doute la Cour de cassation pourrait-elle voir dans l’article 56, alinéa 3 une formalité substantielle d’ordre public justifiant une exception de nullité pour vice de forme, à la condition toutefois de rapporter la preuve d’un grief et de l’absence de régularisation en cours d’instance (art. 114, al. 1 in fine CPC). La Cour de Strasbourg ne s’y oppose d’ailleurs pas. Elle a en effet jugé, le 26 mars 2015, que l’obligation imposée par la loi de tenter de trouver une solution amiable, préalablement à toute demande devant une juridiction civile, à peine d’irrecevabilité ne constitue pas une entrave substantielle au droit d’accès direct au juge, si par ailleurs le processus amiable suspend le cours de la prescription et qu’en cas d’échec, les parties disposent d’une possibilité de saisir le juge compétent [10] . Tel est somme toute le cas du droit français. L’article 2238 C. civ prévoit en effet la suspension de la prescription à compter du jour où les parties conviennent de recourir à un mode amiable de règlement des litiges. Et rien au demeurant n’empêche les parties de saisir le juge si la tentative se révèle infructueuse.

Plusieurs raisons militent néanmoins contre une telle position. D’abord, ainsi que le remarque le Pr. Strickler : « la disposition nouvelle est uniquement dans la suggestion et ce jusque dans la décision du juge. Elle ne saurait avoir une vertu comminatoire sanctionnée de manière brutale » [11].

Ensuite, il n’est pas évident de voir dans la précision attendue une formalité substantielle d’ordre public. Enfin, emprunter cette voie peut conduire une partie de mauvaise foi à se prévaloir d’une exception de nullité à des fins dilatoires. Si aucune tentative n’a été menée en vue d’une résolution amiable du litige, le défendeur bien conseillé pourrait alléguer de la non-conformité de l’acte introductif d’instance à l’article 56, alinéa 3 CPC, exposant ainsi la procédure à la nullité. Certes, cette possibilité est tempérée par la nécessité de démontrer un grief et l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, mais compte tenu des effets radicaux de l’annulation de l’acte introductif d’instance sur la procédure [12] , mieux vaut ne pas s’aventurer sur cette voie.

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[1Identification des parties, indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée et modalités de comparution devant celle-ci, objet de la demande, résumé des moyens, indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée, etc.

[2Code de procédure civile.

[3La référence à l’urgence est explicite en matière de référé, l’article 808 du CPC disposant que « dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».

[4Art. 809 al.2 « Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une pro-vision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

[5Notamment, ceux touchant à l’état des personnes.

[6Art. 2045 Cciv, al.1.

[7Notamment devant le tribunal d’instance.

[8JCP G n° 13, 30 Mars 2015, 356, Choc de simplification procédurale ? . - À propos du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, obs. H. Croze.

[9G.P, 18 avril 2015 n° 108, p. 7, Une nouvelle ère pour la procédure civile (suite, mais sans doute pas fin), C. Bléry.

[10CEDH, sect. 1, 26 mars 2015, n° 11239/11, Momčilović c/ Croatie, Procédures n° 5, Mai 2015, comm. 159, « Obligation de tenter un règlement amiable avant toute saisine d’un juge », comm. N. Fricero.

[11« Le décret n°2015-203 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends », Procédure, n° 6, Juin 2015, p. 4 et s, spec. n°13, p. 7.

[12L’acte introductif d’instance constitue le fondement de la procédure, dès lors son annulation emporte nullité de l’intégralité des actes qui lui font suite.