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L’obligation de sécurité de résultat de l’employeur en question. Par Teddy Francisot, Juriste.
Parution : mercredi 6 janvier 2016
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Obligation de sécurité de résultat de l’employeur, la fin d’une solution progressiste de 13 ans ?

Décidément, les péripéties de la société Air France font l’actualité.

En effet, cette fois, la société d’aviation fait parler d’elle dans une décision de la chambre sociale du 25 novembre 2015 [1], s’agissant de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur en matière de santé/sécurité des salariés.

En l’espèce, M. X, chef de bord à Air France, a été exposé aux événements du 11 septembre 2001. Dès son retour de New-York, le même jour, la société l’a fait accueillir, ainsi que son équipage, par l’ensemble du personnel médical mobilisé jour et nuit. Les intéressés étaient au besoin orientés vers des consultations psychiatriques.

M. X a ensuite été déclaré apte, le 18 novembre 2005, après quatre visites médicales, et a exercé sans difficultés ses fonctions jusqu’au mois d’avril 2006. C’est à cette période qu’il a été victime d’un stress post-traumatique suite aux attentats qui ont eu lieu cinq ans auparavant. L’employeur a alors fait convoquer M. X à une visite médicale obligatoire à laquelle celui-ci ne s’est pas présenté. C’est le motif pour lequel il a été licencié.

Monsieur X ayant contesté son licenciement, le contentieux est porté jusqu’à la cour d’appel de Paris, qui a souverainement retenue que les éléments médicaux de celui-ci, datés de 2008, étaient dépourvus de lien avec les attentats, et que dès lors, l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité de résultat.

Monsieur X s’est alors pourvu en cassation en soutenant qu’il n’avait pas fait l’objet d’un suivi psychologique, ni d’un débriefing, durant la période qui a suivi les attentats pour prévenir les troubles consécutifs à un état de stress post-traumatique. Et que la société Air France n’avait pas mis en œuvre toutes les diligences nécessaires sans qu’il n’ait besoin de signaler son état de mal-être.

Cependant, en constatant que la cour d’appel a souverainement retenue que Monsieur X n’était pas en mesure de démontrer que son stress post-traumatique était lié aux attentats dont il a été témoin à l’occasion de son travail, la chambre sociale a eu l’occasion d’affirmer que l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail s’est conformé à son obligation de sécurité de résultat.

Ce faisant, la Haute Cour semble s’écarter de sa jurisprudence classique en matière de santé/sécurité des salariés, s’agissant du respect de son obligation de sécurité par l’employeur. Cependant, cette déduction n’est pas évidente.

À l’origine de l’obligation prétorienne de sécurité de résultat.

Plusieurs textes internes et internationaux prévoient la protection du salarié dans sa santé et sa sécurité :

- La Charte sociale européenne du 3 mai 1996 prévoit pour tous les travailleurs un droit à la sécurité et à l’hygiène au travail.

- L’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne proclame que tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.

- La directive-cadre 89/391/CEE du 12 juin 1989 prévoit une obligation de sécurité et de prévention à la charge de l’employeur et consacre le principe d’effectivité.

- Les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail prévoient les mesures que l’employeur doit mettre en œuvre dans le cadre du son obligation générale de sécurité à l’égard des personnes sur qui il exerce une autorité (L.4111-5 du Code du travail).

Il découle de ces textes, d’abord, que l’employeur n’est pas sensé prendre des mesures de nature à compromettre la santé et la sécurité des salariés (soc. 13 juin 2007, 04-44551 ; soc. 5 mars 2008, 06-45888), mais ensuite qu’il doit également protéger ses salariés contre le tabagisme (soc. 6 oct. 2010, 09-65103), contre la reprise prématurée du travail (soc. 28 fév. 2006, 05-41555), contre la reprise du travail dans des conditions qui sont en contradiction avec les recommandations du médecin du travail (soc. 19 déc. 2007, 06-43918), ou encore contre les violences physiques ou morales (soc. 13 mars 2013, 11-22082).

Cependant, les articles L.4121-1 et suivants du Code du travail ne prévoient pas d’obligation de sécurité de résultat, mais égrènent des moyens de garantir la sécurité et la santé du salarié. Si l’on s’en tient à la littérature, il s’agirait plutôt d’une obligation de sécurité de moyens « dirigée »  [2] : l’employeur doit mettre en place des mesures adaptées de prévention, d’information et de formation sur les risques professionnels et la pénibilité ; éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent être évités, combattre le risque à la source, adapter le travail à l’homme et à ses capacités, remplacer les machines par de moins dangereuses...

Aucune des prescriptions n’impose à l’employeur d’avoir un salarié sain et sauf au terme de l’exécution de son travail, sous peine de réparations.

C’est donc par un arrêt de principe du 28 février 2002 que la chambre sociale de la Cour de cassation, présidée par Pierre Sargos, affirme que l’employeur est tenu à l’égard de ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat dont le manquement a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L.452-1 du Code de sécurité sociale. Il s’agissait en l’espèce de faciliter l’indemnisation des salariés victimes de l’amiante (soc. 28 fév. 2002, 99-18389).

Cette solution est par ailleurs confirmée par l’Assemblée Plénière le 24 juin 2005 (A.P. 24 juin 2005, 03-30038), et se développe dans tous les domaines impliquant la santé au travail : droit de la sécurité sociale et indemnisation des ATMP (soc. 28 fév. 2002, 99-18389 ; soc. 11 avril 2002, 00-16535), harcèlement (soc. 21 juin 2006, 05-43914), visite médicale de reprise (soc. 13 déc. 2006, 05-44580), reclassement (soc. 20 sept. 2006, 05-42925), rupture (soc. 17 mai 2006, 04-47455 ; soc. 6 oct. 2010, 09-65103).

Elle concerne également les risques qui surviennent hors du lieu de travail mais du fait du travail : tentative de suicide durant un arrêt maladie pour syndrome anxio-dépressif consécutif à un harcèlement (civ. 2, 12 juillet 2007, 06-18428).

Ce faisant, dès lors que le risque se réalise, la Cour de cassation constate que le résultat escompté n’est pas obtenu, et que l’employeur manque incidemment à son obligation de sécurité de résultat.

Cette solution est contestée par le patronat, qui considère qu’elle le découragerait d’agir véritablement pour la santé et la sécurité des salariés dans la mesure ou, quoi qu’il fasse, si le risque finit par se réaliser, il engagera sa responsabilité. En réalité, moins le patronat prendrait de mesures pour préserver ses ouailles, plus le risque aurait de chances de se réaliser, et plus il risquerait d’engager sa responsabilité. Il s’agit dès lors pour l’employeur de garantir la réalisation d’un risque idéalement raréfié, et cette nécessité découle de son droit d’exploitation d’une force de travail.

C’est pourquoi il peut sembler que, n’ayant pas retenu l’existence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, alors que la survenance d’un attentat a pu traumatiser ses salariés, la chambre sociale, par son arrêt du 25 novembre 2015, ait, dans une certaine mesure entendu le patronat.

De l’obligation de résultat à l’obligation de moyens renforcée ?

Plusieurs avocats ont déduit de la décision commentée que l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur n’était plus de résultat, et que la chambre sociale retient désormais une obligation de moyens renforcée [3], en dépit de la formule utilisée par la chambre sociale dans son arrêt, par laquelle elle affirme que la cour d’appel a pu déduire l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat.

Il existe, en effet, une suggestion doctrinale selon laquelle entre l’obligation de résultat et l’obligation de moyens, il pourrait se trouver notamment une obligation de moyens renforcée.

Dans l’hypothèse de l’obligation de moyens, le créancier doit prouver que le débiteur a commis une faute.

Dans l’hypothèse de l’obligation de résultat, si le résultat escompté n’est pas atteint, le débiteur est présumé responsable. Il lui appartient alors de démontrer que son inexécution provient d’un cas de force majeure pour s’exonérer de sa responsabilité.

Et, dans l’hypothèse de l’obligation de moyens renforcée, si le résultat escompté n’est pas atteint, le débiteur est encore présumé responsable, mais il peut démontrer qu’il n’a commis aucune faute dans l’exécution de son obligation.

Il s’agit ici d’un renversement de la charge de la preuve, par rapport à l’obligation de moyens, mais d’un assouplissement par rapport à l’obligation de résultat, puisque l’employeur pourra s’exonérer en démontrant qu’il n’a commis aucune faute, ce qui est plus abordable que de démontrer l’existence d’un cas de force majeur.

D’ailleurs, la chambre sociale avait déjà eu l’occasion de se prononcer exactement dans le même sens un an plus tôt s’agissant d’une salariée victime d’un harcèlement moral (soc. 3 déc. 2014, 13-18743). Et d’autres arrêts ont été rendus, en sens voisin, dans lesquels la chambre sociale ne retient pas l’existence de risques psychosociaux caractérisées ou avérées du fait de la réorganisation de l’entreprise (soc. FNAC, 5 mars 2015, 13-26321 ; Soc. AREVA, 22 oct. 2015, 14-20173).

L’arrêt commenté et les arrêts idoines ont un point commun :

Dans l’arrêt du 3 décembre 2014, le juge du fond a estimé que la victime n’établissait pas de faits précis et circonstanciés laissant présumer un harcèlement moral.

Dans les arrêts du 5 mars et du 22 octobre 2015, il a estimé que l’employeur avait pris toutes les mesures pour éviter les risques allégués par les syndicats.

Et dans l’arrêt commenté, il a estimé que les éléments médicaux produits par M. X sont dépourvus de lien avec les attentats dont il a été témoin dans l’exercice de son travail.

Par conséquent, dans ces espèces, il ressort de la vérité judiciaire qu’aucun risque ne s’est réalisé du fait du travail.

Même si les syndicats ont soulevé la possibilité de risques dans les arrêts du 5 mars et du 22 octobre 2015, les juges du fond n’ont pas retenu la réalisation d’un risque et ont estimé que l’employeur avait tout mis en œuvre pour les éviter. D’un certain point de vue, la décision de réorganisation pourrait en elle-même créer le risque, mais empêcher la possibilité des réorganisations d’entreprises constitueraient des atteintes disproportionnées au principe de la liberté d’entreprendre.

Le raisonnement se décline en deux parties.

Soit, le risque s’est réalisé. Et alors, il existe nécessairement un défaut de prévention et cela constitue incidemment un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat. Il existe donc à la charge de l’employeur une obligation de réparation consécutive à la réalisation du risque. C’est ce que l’on pourrait retenir au titre de la responsabilité-garantie de l’employeur en contrepartie de son autorisation d’exploiter une force de travail.

Soit, le risque ne s’est pas réalisé. Et alors, le juge du fond doit apprécier si les mesures prises par l’employeur pour l’éviter sont suffisantes.

Il ne s’agit dès lors même pas d’un revirement par rapport à l’arrêt SNECMA, puisque dans celui-ci, le juge du fond avait retenue que le dispositif d’assistance mis en place était insuffisant à éviter le risque d’isolement du technicien, qui s’était réalisé conséquemment à la réorganisation de l’entreprise (soc. 5 mars 2008, 06-45888). C’est donc l’appréciation souveraine des juges du fond qui a été déterminante.

C’est pourquoi, la solution de l’arrêt commenté ne consacre donc en rien un abaissement du niveau d’exigence de la chambre sociale s’agissant de l’obligation de sécurité de l’employeur en cas de réalisation du risque. Elle ne concerne que l’obligation de prévention de l’employeur dans le cas où le risque ne se réalise pas.

Bien sûr, cela ne manquera pas d’alimenter le débat doctrinal si par malheur, et malgré l’accomplissement des diligences de l’employeur validées par la chambre sociale, le risque finit par se réaliser à la Fnac ou à Areva.

L’obligation de résultat de l’employeur en matière de prévention des risques.

Ainsi, dans le cadre de l’obligation de prévention de l’employeur, la chambre sociale fait la différence entre « prendre des mesures » et « tout mettre en œuvre » pour éviter le risque. Dans le premier cas, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat sera retenu (soc. 29 juin 2011, 09-69444), alors que dans le second cas, le manquement ne sera pas retenu (soc. 3 décembre 2014, 13-18743 ; soc. 25 novembre 2015, 14-24444).

La chambre sociale retient donc une obligation de sécurité de résultat, pour autant que le résultat escompté correspond à l’absence de risque, dans le cas où il peut être évité, et à sa minimisation optimale dans le cas où il est inévitable, par exemple du fait d’une activité dangereuse ou dans le cadre d’une réorganisation d’entreprise. L’accomplissement de toutes les diligences exigées par les articles L.4121-1 et L.4121-2 Code du travail est l’indicateur permettant au juge du fond d’apprécier l’existence ou non d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat. C’est exactement ce qui ressort de l’arrêt commenté.

A cet égard, l’arrêt commenté ne représente pas non plus un revirement à l’égard de l’arrêt du 6 octobre 2010. Dans cet arrêt, la chambre sociale affirmait que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité de résultat car les mesures de vidéosurveillance et des réunions sur le thème de la sécurité n’étaient pas suffisantes à éviter le risque.

Par conséquent, il s’agissait en l’espèce d’une situation dans laquelle le risque était évitable, mais où l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures pour l’éviter.

Dans les faits de l’arrêt commenté, la cour d’appel a pu estimer que les mesures mises en place par l’employeur (assistance médicale jour et nuit, orientation vers les psychiatres), étaient suffisantes à minimiser le risque de mal-être lié aux attentats car elles correspondaient aux mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

La question se pose alors de savoir si les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail constituent une liste exhaustive des mesures que l’employeur doit mettre en œuvre pour que son action soit considérée comme suffisante, alors que l’employeur est passible d’une sanction pénale s’il n’accomplit pas ses obligations conformément à ces dispositions (L.4741-1 et L.4741-9 du code du travail). Les dispositions d’un accord ou d’une convention collective prévoyant un complément aux dispositions légales ne serait pas à exclure a priori.

Cette question risque de se poser avec plus vigueur si, hypothèse ci-dessus évoquée s’agissant des arrêts du 5 mars et 22 octobre 2015, un risque se réalise conséquemment aux réorganisations dont les diligences réalisés par l’employeur pour préserver la santé des salariés ont été validées par la chambre sociale. D’autant que la réorganisation d’une entreprise relève du pouvoir de direction de l’employeur et est une des expressions de la liberté d’entreprendre.

En tout cas, en l’état actuel de la jurisprudence, il n’apparaît pas sans équivoque que l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur ne soit plus retenue par la chambre sociale, dans le cadre de son obligation de prévention, comme dans celui de la réalisation du risque.

Teddy Francisot Juriste en droit social

[2Emmanuel DOCKÈS, Précis Dalloz, Droit du travail, 2016