Village de la Justice www.village-justice.com

Il faut sauver l’hôpital ivoirien. Par Sanogo Yanourga, Docteur en droit.
Parution : vendredi 8 janvier 2016
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/faut-sauver-hOpital-ivoirien,21177.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

L’hôpital en Côte d’Ivoire est malade. La négligence des personnels de santé dans l’accomplissement de leur mission est de plus en plus dénoncée. Il est donc important d’attirer l’attention des uns et des autres sur ce qui se passe afin que nous prenions tous la mesure du problème et voir comment nous pourrons y apporter des solutions.

Hier Awa Fadiga, aujourd’hui Nadège Yaoua Noum. Deux jeunes femmes, toutes deux victimes du système hospitalier ivoirien. L’une a été abandonnée à même le sol dans le plus moderne des CHU du pays et l’autre a chuté de son lit au moment où elle s’apprêtait à donner la vie à un enfant dans un hôpital général.
Toutes les deux ont perdu la vie du fait de la négligence coupable de ceux qui sont censés leur permettre de vivre. Dans les deux cas, il y a responsabilité pour faute dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier.

Ces deux cas représentent la face visible de l’iceberg sanitaire ivoirien. Des hommes et des femmes, anonymes, perdent quotidiennement la vie dans nos hôpitaux publics et cliniques privées sans que cela ne soit porté à la connaissance des ivoiriens. De nombreuse familles souffrent silencieusement parce qu’elles ne savent pas vers qui se tourner lorsque ces drames surviennent. Elles ne savent même pas qu’elles ont la possibilité de demander réparation, obtenir des dommages et intérêts, ce qui bien entendu n’équivaut pas le prix d’une vie humaine. Ces familles ignorent même totalement la possibilité qui leur est offerte de faire condamner à des peines de prison les responsables de ces actes commis à la suite de manquements graves de personnes formées et payées par elles-mêmes à travers l’État.

Oui, ce sont nos impôts et les diverses taxes que nous payons qui permettent d’entretenir nos hôpitaux et leurs personnels soignants. Ces familles ne doivent plus se taire, elles doivent se lever et dénoncer avec la plus forte énergie ce qui se passe afin d’arrêter l’hémorragie, stopper la propagation des métastases à tout le système de santé. Il s’agit ici de défendre leurs droits et ceux de leurs proches victimes des actes commis par action ou omission d’agents de santé qui n’ont aucune conscience des devoirs auxquels ils sont soumis. Des agents qui sans hésitation bafouent le serment d’Hippocrate et les principes énoncés dans le code de déontologie médicale.

Les autorités politiques et administratives brandissent la menace de sanctions, on entend parler de suspension, de radiation ou de poursuites pénales, c’est bien. Il faut réparer les erreurs ou les fautes commises. Les victimes ou leurs ayants droit doivent être soulagés, les présumés agents indélicats s’ils sont reconnus coupables doivent assumer leurs actes en toute responsabilité.

Mais ces menaces de sanction souvent légitimes et parfois même nécessaires constituent-elles la solution au problème ? Non pas forcément. Ne peut-on pas envisager un remède plus efficace, plus adapté à la situation ? Une solution qui sans être la panacée définitive au mal dont souffre l’hôpital ivoirien devrait tout de même permettre de réduire fortement la survenance de ces « accidents ».

Nous pensons qu’il est très important d’éduquer, former et renforcer les droits et devoirs à la fois des patients et des soignants. Dans un premier temps, il s’avère primordial pour le bien de tous que la formation professionnelle de nos personnels de santé soit actualisée. Nous devons l’adapter à l’évolution de la société ivoirienne. Nous devons former nos personnels de santé au droit médical et de la santé, les sensibiliser à l’éthique médicale et au respect de la vie humaine. Tous ces principes du droit médical et de la santé sont garantis par la Constitution ivoirienne (article 7), la Déclaration Universelle des droit de l’Homme (article 25), la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples (article 16) et par de nombreux traités internationaux.

Dans un second temps, il nous faudra aussi renforcer les droits de nos personnels de santé dans l’accomplissement de leur noble mission. Il faut les mettre dans les conditions idéales de travail. L’État doit mettre à leur disposition tous les moyens dont ils ont besoin pour travailler efficacement, ainsi nous pourrons exiger d’eux le meilleur.

Loin de nous l’idée de vouloir banaliser ce qui s’est passé, mais, nous pensons que lorsque Awa Fadiga est abandonnée à même le sol dans un hôpital, c’est tout simplement parce que le minimum requis pour lui procurer des soins fait défaut dans le service hospitalier où elle se trouve. Lorsque Nadège YAoua Noum chute de son lit, c’est vraisemblablement parce que celui-ci ne dispose pas de barrière de sécurité.

Que dire du retard de l’ambulance qui doit la conduire dans un hôpital plus spécialisé ? A qui la faute lorsque le plateau technique de nos hôpitaux est défaillant ou obsolète ? En tout cas pas aux personnels de santé. Les pouvoirs publics ont eux aussi leur part de responsabilité dans tout ce qui arrive. C’est vrai que le plateau technique de l’hôpital est fonction des missions assignées à cet hôpital. Mais au-delà, il y a les besoins souvent exprimés par les personnels soignants que les autorités sanitaires ne doivent pas négliger. Ces agents qui se trouvent sur le terrain savent mieux que personne ce dont ils ont besoin pour mener à bien leur mission. L’État se doit donc de mettre à leur disposition le matériel adéquat, quitte à diligenter des contrôles réguliers ou inopinés afin de vérifier l’usage qui en est fait.

Les patients quant à eux doivent être éduqués au droit, plus précisément au droit médical et de la santé. Ils ne doivent plus percevoir le médecin comme ce « petit dieu » qui leur sauvera la vie s’ils ne disent rien et qui ne le fera pas s’ils posent trop de questions à propos des soins qu’on veut leur dispenser. Le rapport soignant et soigné doit être juste et équitable. Il doit être un contrat efficace, un contrat médical dans lequel toutes les parties se respectent mutuellement et où chacun honore son obligation. Le premier doit soigner dans les règles de l’art. Le second doit consentir aux soins et les subir ensuite. On ne se rend pas à l’hôpital pour perdre la vie mais plutôt pour espérer la voir continuer.

Dr SANOGO YANOURGA Docteur en droit médical. syanourga@yahoo.fr
Comentaires: