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Actions de groupe santé : une coopération entre avocats et communicants pour anticiper leurs retombées.
Parution : jeudi 4 février 2016
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La loi de modernisation de notre système de santé, adoptée le 14 avril 2015, instaure les actions de groupe en matière de produits de santé et de cosmétiques. Sur le modèle de la loi Hamon, une association agréée pourra donc représenter plusieurs usagers lors d’une action judiciaire contre les différents acteurs de cette industrie.
L’action de groupe peut donc constituer un nouveau danger pour les industriels de la santé, d’un point de vue juridique, mais également pour l’image de leurs entreprises, et notamment si la situation n’est pas correctement gérée dès les premières heures de la médiatisation. Il est donc indispensable pour elles d’anticiper et d’organiser une éventuelle riposte, aussi bien sur le terrain juridique que de la communication.
Rencontre avec Cécile Derycke, avocate associée chez Hogan Lovells, et Stéphanie Prunier, partner associée chez Havas Legal and Litigation, qui nous en apprennent plus sur les stratégies à adopter.

MAJ : La procédure d’action de groupe en matière de santé est entrée en vigueur le 28 septembre 2016, suite à la publication du décret d’application des dispositions de la loi Touraine du 26 janvier 2016.

Que prévoit la loi ?

Une action de groupe ouvre la possibilité à une association de représenter plusieurs usagers pour intenter une action à l’encontre d’un ou plusieurs acteurs de l’industrie de la santé et des cosmétiques (producteurs, fournisseurs, autres prestataires ou assureurs). Les produits incriminés doivent être des produits de santé ou des produits cosmétiques, relevant du contrôle de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

486 associations sont agréées, contre 15 en matière de consommation.

Les associations reconnues comme pouvant représenter une action de groupe doivent être agréées au niveau national ou local : 486 associations sont ainsi compétentes, contre 15 associations en matière de consommation.

Et qui peuvent-elles représenter ? Des usagers du système de santé, se trouvant dans une situation similaire ou identique. Les usagers devront avoir subi un préjudice corporel pour pouvoir rejoindre une action de groupe.

En terme de procédure, une médiation est proposée en première alternative, mais n’est pas obligatoire. Aucune juridiction ne bénéficie de compétence exclusive : l’action de groupe peut donc être menée devant n’importe quelle juridiction. Une fois la décision définitive rendue et les mesures de publicité accomplies, d’autres usagers peuvent adhérer au groupe initial, et demander une indemnisation.

Déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 21 janvier 2016 [1], industriels et avocats vont devoir appréhender l’application de ces nouvelles dispositions. « C’est un nouveau monde qui s’offre à nous » s’amuse Cécile Derycke, avocate associée chez Hogan Lovells.

Des incertitudes juridiques à clarifier

Cécile Derycke, avocate associée chez Hogan Lovells

Un nouveau monde dont les contours ne sont pas encore bien définis. En effet, Cécile Derycke souligne les nombreux flous qui subsistent encore dans la loi … et les mauvaises surprises qu’elles pourraient engendrer.
Qu’est-ce qu’englobe les « usagers du système de santé » ? Et quelles sont les conditions pour reconnaître une « situation similaire ou identique » ? Comment le juge va-t-il traiter un médicament mis sur le marché depuis plusieurs années, et prendre en compte les évolutions des notices et des connaissances scientifiques ? « Un travail d’une grande complexité, qui nécessite sans doute une expertise des dossiers individuels qui sont présentés, mais aussi une expérience plus générale sur la science autour du médicament et de la pathologie concernée, confirme Cécile Derycke. Le juge devra également se positionner concernant la période sur laquelle il va se prononcer ».

Les demandes d’indemnisation devront être examinées individuellement afin d’en déterminer le montant.

Des interrogations qui laissent présager des procédures longues. « C’est un leurre de croire que l’action de groupe s’arrête au jugement » affirme Cécile Derycke. En effet, après avoir reconnu qu’un médicament a bien causé des dommages corporels, les demandes d’indemnisation devront être examinées individuellement afin d’en déterminer le montant. Une évaluation, plus complexe qu’en matière de consommation (dont les premiers bilans sont d’ailleurs mitigés), qui nécessitera l’examen détaillé du dossier médical de chaque demandeur, de leur pathologie, du lien avec le produit de santé incriminé, la prise en compte d’éventuels cotraitement… Des délais qui s’étaleront forcément sur plusieurs années, et qui pourraient nuire aussi bien aux justiciables qu’aux entreprises visées par les actions de groupe.

Dans ce contexte, les industriels du secteur ont jusqu’à juillet 2016, au plus tard, pour anticiper les répercutions de cette nouvelle procédure.

Préparation et anticipation : comment s’armer pour faire face à une action de groupe ?

Stéphanie Prunier, partner associée chez Havas Legal and Litigation.

Les différentes affaires judiciaires liées aux produits de santé ont démontré leur énorme impact médiatique, forcément néfaste pour les entreprises mises en cause. L’apparition des actions de groupe risque d’augmenter encore cet impact. « La loi est d’abord une promesse et un outil politique avant d’être un outil juridique, affirme Stéphanie Prunier, Partenaire associée chez Havas Legal and Litigation. Le retentissement médiatique de l’action de groupe est beaucoup plus puissant, et le législateur s’appuie sur la puissance de l’opinion publique pour asseoir son efficacité ». L’image de l’industrie de la santé étant déjà négative, le rôle de « grand méchant » leur colle immédiatement à la peau. « L’expertise juridique et judiciaire est évidemment importante, mais la communication l’est également pour les entreprises, explique la communicante. Le décalage entre le temps médiatique et le temps judiciaire fait que les entreprises, dès l’assignation, sont exposées, alors que la justice et le droit ne sont pas encore passés ».

Les industriels de la Santé devront réagir vite, pour faire face aux stratégies de communication des associations.

D’où l’importance de réagir vite, pour faire face aux stratégies de communication des associations. « Il faut une réactivité parfaite et pouvoir délivrer très rapidement une argumentation juridique, insiste Stéphanie Prunier. Il faut être préparé pour être le plus efficace et entrer rapidement dans l’arène médiatique. Il faut que les communiqués et les argumentations soient déjà rédigées, que le porte-parole soit désigné ».

Coordonner la communication et le juridique est donc indispensable pour assurer une défense sur les deux fronts, judiciaire et médiatique.
Mais ils ne sont pas les seuls services concernés : selon la taille de l’entreprise, une telle situation de crise peut par exemple se répercuter sur les ressources humaines, les relations clients, les relations investisseurs ou le pôle financier. La communication interne comme externe doit être rodée pour ne pas nuire au volet judiciaire et à la stratégie juridique des avocats. « Le risque est de prendre, dans la précipitation, une position que l’on ne peut pas tenir devant les tribunaux et que l’on va regretter » précise Cécile Derycke. Des enchainements complexes qui ne peuvent être correctement gérer qu’en anticipant, dans un environnement serein, toutes les retombées possibles et les réponses nécessaires. Pourtant, les premiers concernés n’en ont pas toujours pris conscience. « Les entreprises sont conscientes mais elles restent dans l’idée que ça n’arrive qu’aux autres » déplore Stéphanie Prunier.

Le premier défi est donc de faire comprendre aux industriels du secteur les multiples dangers que représentent les actions de groupe et de préparer une stratégie de défense (ou d’attaque ?) rodée. Le compte à rebours a commencé : plus que six mois.

Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice
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