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Levée des sanctions économiques en Iran, pas si vite ! Par Astrid Kwapinski, Juriste.
Parution : lundi 8 février 2016
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Avec une population de près de 80 millions de personnes et un PIB de plus de 400 milliards de dollars US, l’Iran est la plus grande économie à rejoindre le système mondial de commerce et de finance depuis que la Russie a émergé suite à la chute de l’Union Soviétique, il y a plus de 20 ans. Actuellement, l’Iran possède la quatrième plus grande réserve mondiale de pétrole et la deuxième plus grande réserve de gaz au monde. Cependant, les sanctions économiques avaient contribué à une diminution d’environ 40% de sa production énergétique par rapport au niveau antérieur à la Révolution de 1979.

Plus récemment, la série de sanctions américaines et européennes de 2012 avait provoqué une chute des exportations d’environ 20%. Au lendemain de la levée historique des sanctions, l’Union européenne pourrait devenir le premier partenaire commercial de l’Iran. Cependant les entreprises européennes devront rester vigilantes, car malgré la levée d’une partie des sanctions, certaines restent en vigueur.

I. Le JCPOA, un accord historique

L’accord historique conclu le 14 juillet 2015 entre l’Iran, l’Union Européenne et le P5 + 1, (Etats-Unis, Royaume Uni, France, Chine, Russie et Allemagne), dit Accord de Vienne, après des années de négociations, prévoit un adoucissement des sanctions en contrepartie d’une réduction du programme nucléaire iranien et de son objectif exclusivement pacifique.
L’accord, intitulé le Plan d’Action Global Conjoint “Joint Comprehensive Plan of Action” (JCPOA) [1], prévoit une procédure de mise en œuvre complexe et progressive des obligations de chaque Etat. Le JCPOA conditionne la levée des sanctions à la vérification par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) au respect par l’Iran de ses obligations. Le 16 janvier 2016, l’AIEA a publiquement déclaré que l’Iran avait respecté ses engagements.
Ce faisant, certaines sanctions économiques frappant le pays ont été immédiatement levées par l’Union européenne et les Etats-Unis
. L’Implementation day, date à laquelle les sanctions ont été levées, représente une étape cruciale du JCPOA, cependant cet accord s’inscrit dans la durée, c’est pourquoi il faudra encore attendre dix ans pour voir toutes les sanctions éliminées, sous réserve, bien entendu, que les parties respectent leurs obligations respectives.

II. La levée des sanctions

A. La levée des sanctions européennes

L’article 215 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne [2] constitue le fondement légal des sanctions lorsque de telles mesures sont nécessaires pour atteindre des objectifs communs en matière de politique étrangère et de sécurité. Le Conseil européen, avec l’aide de la Commission européenne, promulgue les sanctions, cependant ce ne sont pas des mesures pénales, seuls les Etats membres peuvent criminaliser les violations aux sanctions édictées par le Conseil. Il appartient également aux Etats membres de mettre en œuvre tous les aspects des sanctions (délivrance d’autorisations, exécution, poursuites).
Les sanctions européennes à l’égard de l’Iran consistaient en des sanctions dites commerciales et des sanctions dites ciblées qui visaient de nombreux secteurs d’activités. Un système d’autorisation préalable pour les transactions avec des banques ou des citoyens iraniens avait été mis en place.

Le 16 janvier 2016, la plupart des sanctions économiques prononcées par l’Union Européenne à l’encontre de l’Iran ont été levées. Les entreprises européennes peuvent désormais largement accéder au marché iranien. Les secteurs du pétrole, du gaz, de la pétrochimie, du transport, des métaux précieux, des logiciels, et des devises iraniennes sont aujourd’hui ouverts aux entreprises européennes, tout comme les banques, la finance et les assurances. Toutefois, le nucléaire iranien ne fait pas partie des secteurs ouverts aux entreprises européennes. Après environ dix ans, toute autre sanction européenne mise en œuvre pour limiter le secteur nucléaire en Iran sera levée, sous réserve, bien entendu, du respect par l’Iran de ses obligations. Des centaines d’entités et d’individus ont également été retirées des listes noires.

La levée des sanctions européennes ouvre la voie aux entreprises européennes en Iran, cependant, il convient également d’analyser le fonctionnement des sanctions américaines car elles peuvent encore impacter les sociétés européennes.

B. La levée des sanctions américaines

Les Etats-Unis utilisent les sanctions économiques pour atteindre des objectifs diplomatiques et de sécurité intérieure. Le Président a le pouvoir d’émettre un décret (executive order) lorsque certaines conditions sont remplies. Plusieurs agences fédérales sont en charge de leur exécution : l’OFAC [3] (Office of Foreign Assets Control, sous l’égide du Département du Trésor), le Département de la Justice, mais aussi le Département du Commerce, le Département d’Etat, ainsi que d’autres agences locales, comme le NY State Department of Financial Services.

Les sanctions américaines sont applicables à tous ceux qui relèvent de la compétence juridictionnelle américaine, à tout acte sur le territoire américain, effectué par une personne américaine (morale ou physique), c’est-à-dire : les citoyens américains, et détenteurs d’une « carte verte » où qu’ils se trouvent, les sociétés constituées selon la loi américaine, ainsi que toute personne présente aux Etats-Unis, y compris les filiales, et les succursales de sociétés étrangères. Dans le cas de l’Iran, les sanctions étaient également applicables aux succursales et filiales étrangères de sociétés américaines depuis 2013.

Les sanctions américaines envers l’Iran consistent en des sanctions dites « primaires » et des sanctions dites « secondaires ». Les sanctions dites « primaires » correspondent à l’embargo imposé par les Etats-Unis pour les activités américaines liées à l’Iran. Ces sanctions interdisent de manière générale l’import/export, direct ou indirect, de marchandises, technologie, et de services (ou leur facilitation), depuis et vers l’Iran, et toute relation avec le gouvernement iranien par des « personnes américaines » (privées et morales), et pour les personnes morales détenues ou contrôlées par des personnes morales américaines. Elles avaient été prises aussi pour des actes liés au terrorisme, et celles-ci restent donc en place.

Les Etats-Unis ont également mis en place des sanctions dites « secondaires » qui s’appliquent aux personnes non-américaines dans le cadre de certaines activités en rapport avec l’Iran. Ces mesures secondaires sont désormais suspendues. Elles avaient pour but de dissuader les personnes non-américaines de prendre part à des activités avec l’Iran sous peine de lourdes amendes (ex : amende d’un montant de 8,9 milliards de dollars prononcée en 2014 contre la BNP pour avoir violé l’embargo). Dans ce contexte, lorsqu’une tierce personne (non-américaine, et non iranienne) effectuait une transaction visée par des sanctions, cette personne risquait de perdre l’accès au marché américain, et s’exposait à des poursuites par les agences fédérales américaines. Désormais, il est possible pour les personnes physiques et morales non-américaines d’intervenir dans différents secteurs économiques en Iran (tels que la finance, la banque, les assurances, l’énergie, la pétrochimie, le transport) sans risquer de sanctions financières de la part des Etats-Unis.

Les Etats-Unis ont également supprimé de nombreuses personnes et institutions de leur « liste noire », notamment la Banque Nationale d’Iran et la National Iran Oil Company. Désormais, aucune amende ne peut être prononcée à l’encontre de personnes physiques et morales étrangères lorsqu’elles traitent avec ces entités. Les Etats-Unis et l’Union européenne vont également restituer progressivement près de 100 milliards de dollars d’avoirs gelés. De plus, le système d’autorisation (licensing) va être développé pour permettre aux sociétés étrangères détenues par des personnes américaines de participer à des activités approuvées par le JCPOA (vente d’avions commerciaux, de pièces détachées et de services, importation vers les Etats-Unis de tapis iraniens et de denrées alimentaires).

III. Des risques persistants

Malgré cette avancée historique, l’embargo américain envers l’Iran persiste encore pour les personnes physiques et morales américaines, avec quelques exceptions (autorisations délivrées par l’OFAC). Il est donc toujours interdit pour toute personne américaine d’effectuer une transaction ayant un lien, direct ou indirect, avec l’Iran, ou de la faciliter, sous peine de sanctions financières et/ou pénales. Dès lors, les entreprises françaises doivent veiller à ce qu’aucun intermédiaire américain, salarié d’une entreprise française de nationalité américaine, ou porteur d’une « carte verte », ne participe à un projet en Iran.

Les entreprises américaines peuvent craindre d’être associées à des projets commerciaux en lien avec l’Iran et préférer ne pas prendre le risque d’être exposées à des sanctions, du fait de l’activité de leurs partenaires. Cette pratique qualifiée de « De-Risking » peut conduire ces entreprises, principalement les banques et les compagnies d’assurances, à adopter un comportement excessivement prudent avec leurs partenaires et ainsi freiner les projets commerciaux.

Enfin, le mécanisme dit du « Snap Back  » (retour en arrière) est un paramètre à prendre en compte avant d’engager toute activité commerciale en Iran. En effet, le JCPOA prévoit que les sanctions levées peuvent à tout moment être rétablies en cas de non respect par l’Iran de ses obligations pendant les dix années à venir. Les Etats-Unis et à l’Union européenne doivent s’abstenir de réintroduire des sanctions à l’encontre de l’Iran, cependant cette obligation ne doit pas compromettre le dispositif de règlement des conflits du JCPOA. Ce mécanisme a été créé pour permettre la résolution des conflits, mais dans le cas où le problème ne puisse être résolu avec ce dispositif, les parties peuvent cesser de respecter leurs obligations, cela conduirait à réimposer les sanctions. En pratique, le mécanisme de Snap-Back prendrait environ 35 jours entre le moment de la violation et le moment où les sanctions seraient remises en place. Toutefois, les contrats signés pendant la suspension des sanctions ne seraient pas affectés par leur ré-institution (grandfathering clause).

Par ailleurs, le JCPOA n’a pas supprimé les sanctions mises en œuvre pour des politiques outre-nucléaires, telles que des sanctions concernant le soutien par l’Iran à des activités terroristes, ou des violations des droits de l’homme. De plus, de nombreux acteurs économiques importants figurent encore sur la « liste noire », ainsi une procédure de due diligence complète demeure incontournable par les entreprises qui envisagent de conquérir le marché iranien.

Astrid Kwapinski Juriste