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Procès Spindirft 2 - du droit pénal au droit maritime : un louvoyage délicat. Par Jérôme Heilikman, Juriste.
Parution : lundi 8 février 2016
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Le 10 février 2016, un procès est attendu au tribunal de Lorient qui verra s’opposer une jeune femme amputée d’une jambe lors de la collision avec le maxi-trimaran Spindrift 2 au skipper professionnel Yann Guichard lors du départ de la Volvo Ocean Race. Cette affaire dramatique soulève de nombreuses questions juridiques… aux conséquences financières tout aussi importantes !

Rappel des faits

Juin 2015 - Alors que les sept bateaux de la Volvo Race s’élançaient, vers Göteborg, un terrible accident est venu interrompre le départ de Lorient. Le Cross Etel (Centre opérationnel des secours en mer) est averti d’une collision survenue en marge du départ. Celle-ci s’est produite sur une zone en principe réservée aux bateaux de spectateurs, entre le maxi-trimaran de 40 mètres Spindrift 2, qui ne participe pas à la course, et le semi-rigide d’un bénévole de l’organisation, chargé de la surveillance du plan d’eau.

La femme d’un bénévole est grièvement blessée. Habitué de ce type de manifestations nautiques, il avait embarqué avec lui trois autres personnes dont son épouse, âgée de 47 ans. C’est elle qui a été grièvement blessée aux jambes lors de la collision, après avoir été touchée par le safran (gouvernail) du trimaran. Transportée par une vedette de la SNSM (Sauveteurs en mer), elle a été amputée d’une jambe à l’hôpital.

Selon un témoin qui se trouvait sur la zone du drame, le trimaran Spindrift 2 se dirigeait vers la ligne de départ et la côte, en limite de zone d’exclusion. Le bateau a viré sur bâbord (gauche) presque à l’arrêt et a ensuite filé vers le large en direction d’un groupe d’embarcations de l’organisation : deux semi-rigides et une vedette. Le safran du trimaran a touché l’un des boudins du semi-rigide et une femme a été projetée à l’eau sous la violence du choc, tandis qu’une autre personne sautait juste avant l’impact.

Analyse juridique

Le tribunal devra déterminer les circonstances exactes du drame et notamment les chefs de responsabilité du Spindrift :

Cet événement renvoie à la notion d’abordage et de phase d’attente ou d’entraînement en amont d’une compétition nautique, phase qui suscite nombre d’interrogations depuis quelques années. Cette problématique de délimitation entre la phase d’entrainement et la compétition est d’autant plus opportune au regard des contrats d’assurances. En outre, cette délimitation est particulièrement délicate dans l’univers de la compétition nautique où se distingue lors d’une régate, phase d’entrainement, phase d’attente dans l’hypothèse de plusieurs séries de supports au départ et enfin phase de compétition.

En principe les compagnies d’assurance rejettent toute prise en charge de leur assuré, exception faite de dispositions particulières, quand les dommages résultent d’une participation à des régates et des courses croisières, ainsi qu’à leur entrainement.

Si la question ne donne pas lieu à débat concernant la phase de compétition proprement dite, celle-ci étant aujourd’hui clairement délimitée, la question concerne surtout la notion d’entrainement.

Notion juridique de l’abordage

L’abordage consiste en la collision entre deux navires. La question qui se pose à ce sujet est, au cas de dommages résultants d’une telle collision, comment gérer la responsabilité de chaque navire, et de chaque capitaine ou skipper.

Les règles de l’abordage sont applicables à la réparation des dommages qu’un navire a causés, soit par exécution ou omission de manœuvre, soit par inobservation des règlements, à un autre navire, ou aux personnes ou aux choses se trouvant à leur bord, alors même qu’il n’y aurait pas eu abordage.

Les articles L. 5131-1 et s. du Code des transports définissent le régime de responsabilité applicable en matière d’abordage entre navires de mer ou entre navires de mer et bateaux de navigation intérieure et doivent donc régir la collision entre deux bateaux de plaisance.

L’article L. 5131-3 du Code des transports distingue deux catégories d’abordage :

  1. Si l’abordage est causé par la faute de l’un des navires, la réparation des dommages incombe à celui qui l’a commise.
  2. Si l’abordage est fortuit, s’il est dû à un cas de force majeure ou s’il y a doute sur les causes de l’accident, les dommages sont supportés par ceux qui les ont éprouvés, sans distinguer le cas où soit les navires, soit l’un d’eux, étaient au mouillage au moment de l’abordage.

L’article L. 5131-4 du Code des transports précise :
S’il y a faute commune, la responsabilité de chacun est proportionnelle à la gravité des fautes respectivement commises. Toutefois, si, d’après les circonstances, la proportion ne peut être établie ou si les fautes apparaissent comme équivalentes, la responsabilité est partagée par parties égales.
Soulignons que l’action en réparation des dommages se prescrit par deux ans à partir de l’événement.

Abordage à l’occasion d’une compétition nautique

Un arrêt de la Cour de cassation rendu le 18 mars 2008 (pourvoi n°06-20558) dans une affaire relative à un abordage entre deux catamarans, a rappelé qu’en cas d’abordage entre navires de mer, ou entre navires de mer et bateaux de navigation intérieure, sans qu’il y ait lieu de distinguer le cas où ceux-ci participaient à une régate, les indemnités dues à raison des dommages causés aux navires, aux choses ou aux personnes se trouvant à bord doivent être réglées conformément aux dispositions du chapitre premier de la loi du 7 juillet 1967 relative aux événements de mer, qui commandent, avant toute mise en cause d’une responsabilité personnelle, de rechercher si les circonstances de la collision révèlent la faute de l’un des navires ou une faute qui leur est commune.

Par un ailleurs, la Cour d’appel de Poitiers a du s’interroger dans un arrêt rendu le 22 octobre 2014 sur la définition des navires en course et des navires hors course dans le cadre d’un litige né de l’abordage entre deux voiliers survenus à l’issu d’une régate dans les eaux littorales de Noirmoutier-en-l’Ile. La cour relève qu’un des navires se dirigeait vers la zone de départ afin de participer à la régate de sa catégorie. Quant au second navire, les juges relèvent qu’il avait terminé sa course et s’éloignait de la zone de départ. Dans cette affaire, si aucun des deux navires n’étaient engagé sur le parcours de la régate, tous deux étaient inscrits à cette régate et participaient à celle-ci. Selon la cour, cette inscription entraîne ipso facto l’applicabilité exclusive des règles de course à la voile quand bien même les participants, ne seraient pas, au moment de l’abordage en action de course.

Dans l’affaire de l’abordage entre le Spindrift 2 et le zodiac occasionné en marge du départ de la compétition nautique, la solution sera toute autre dès lors que ni le maxi-trimaran, ni le pneumatique ne participait à ladite course. En terme de responsabilité, les conséquences sont loin d’être anodines notamment pour l’organisateur.

En effet, un abordage produit dans le cadre d’une compétition nautique peut amener les juges à considérer que les concurrents participent entièrement à leurs propres risques et que les victimes doivent apporter la preuve d’une faute lourde ou dolosive à l’encontre de l’organisateur pour que ce dernier voit sa responsabilité engagée.

A l’inverse, en dehors de tout cadre de compétition, les juges pourraient retenir la responsabilité de l’organisateur ayant manqué à son obligation de résultat dans la bonne organisation de la course.

La notion de limitation de responsabilité, ou plus exactement, de limitation du montant de la réparation du dommage

Une fois les jeux de responsabilité engagés, il convient d’appréhender une spécificité maritime. Le principe en droit terrestre est la réparation intégrale du dommage. Or, le droit maritime connait en la matière une institution particulière et ancienne. Il s’agit de la limitation du montant de la réparation du dommage car en aucun cas elle ne saurait limiter la responsabilité de la personne qui reste entière. A l’instar de l’organisateur, la responsabilité du chef de bord n’est pas absolue et il peut voir sa responsabilité limitée en différentes circonstances

La loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer a affirmé que la navigation de plaisance, qu’elle soit compétitive ou de loisir, n’a aucune particularité sur ce point avec la navigation de commerce, solution corroborée par la loi du 3 juillet 1967 sur les assurances maritimes qui prévoit la constitution d’un fonds de limitation en matière de navigation de plaisance.

La chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée en ce sens dans un arrêt de principe du 26 mars 1996 où celle-ci affirme que « Vu l’article 58 et 59 de la loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires ; Attendu que la limitation de responsabilité prévue par l’article 58 de la loi susvisée est applicable aux navires de plaisance ». La limitation de responsabilité doit en effet jouer au profit de tout utilisateur, du moment qu’il est potentiellement rendu responsable d’un dommage.

La limitation de responsabilité ne semble donc pas poser de difficulté quant à son application au milieu de la plaisance sportive étant donné que la jurisprudence y est favorable. A juste raison, l’extension du principe se justifie par la présence, tant en mer que dans les eaux intérieures, d’un nombre de plus en plus élevé d’engins de plaisance. Cependant, force est de constater, que les conditions d’application du fonds de limitation de responsabilité est complexe, tant dans sa constitution que dans ses subtilités et que ce mécanisme n’a pas été élaboré pour tous les types d’engin.

Reste alors à déterminer la taille ou les caractéristiques du support, au-dessous desquelles la limitation sera exclue. L’étude de cette question est d’autant plus importante que la plupart des navires participants aux manifestations nautiques, entrant dans la catégorie des régates, sont de faibles tailles, encore faut-il s’accorder sur la notion de « navire ».

Il est opportun d’illustrer cette question, toujours objet de controverses, par un arrêt rendu par la cour d’appel de Caen le 12 septembre 1991 qui énonce que « le zodiac est une embarcation frêle, construite en matériau léger, qui n’est pas conçue pour effectuer des expéditions maritimes et dont le rayon d’action est nécessairement limité en raison de l’impossibilité de stocker à bord du carburant, une telle embarcation n’est, à l’évidence, pas concernée par le système complexe de limitation et de constitution du fonds de limitation ». De toute évidence, au regard des critères retenus, si l’argumentation des juges concerne la qualification juridique d’un zodiac, leur décision semble applicable à un spectre « d’engins » beaucoup plus large tels que des dériveurs, supports participant régulièrement à des compétitions nautiques.

Les motifs d’exclusion au droit à la limitation

La convention du 19 novembre 1976 interdit en effet le bénéfice de la limitation en cas de faute inexcusable. Le chef de bord participant à une manifestation nautique ne pourra donc pas bénéficier d’une limitation de responsabilité en cas de faute commise témérairement et intentionnellement et avec conscience qu’un dommage en résulterait probablement. La qualification de la « faute » sera à l’appréciation des juges et reposera sur des critères tenant à la compétence du chef de bord mais également des circonstances de la navigation ou de sa préparation. Ici apparaît clairement une difficulté pour les tribunaux, qui pourraient difficilement concevoir qu’un skipper ou un membre d’équipage amateurs puissent agir avec conscience qu’un dommage résulterait probablement de leur acte. A l’inverse, de nombreuses situations qui auraient été susceptibles de permettre une limitation de responsabilité à un équipage novice, seront probablement appréciées différemment au regard de la qualité d’un chef de bord professionnel, considéré le plus souvent comme un navigateur expérimenté à partir du moment où il désire participer à une compétition nautique de haut niveau.

Il conviendra alors pour la jurisprudence de retenir une conception objective de la faute inexcusable.

Autrement dit, celle-ci sera analysée par rapport à une personne normalement avisée et prudente, et probablement retenue dès lors que l’intéressé, non pas avait conscience qu’un dommage résulterait de son acte, mais en aurait dû avoir conscience.

A la justice de se prononcer…

Jérôme Heilikman Président fondateur de l\\\'Association Legisplaisance Doctorant en droit privé Juriste maritime et droit social des marins http://www.legisplaisance.fr http://www.facebook.com/legisplaisance