Village de la Justice www.village-justice.com

Marché public de travaux : attention à l’effet cliquet du projet de décompte final ! Par Sébastien Palmier, Avocat.
Parution : mercredi 10 février 2016
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Marche-public-travaux-attention,21410.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans cette affaire (CE 16 décembre 2015, Sté RUIZ, req.n°373509), le Conseil d’Etat rappelle la règle selon laquelle les sommes qui ne figurent pas dans le projet de décompte final n’ont pas en principe à être réglées par le maître de l’ouvrage.
Dans le cadre d’un marché public de travaux régi par les dispositions du CCAG-Travaux, le projet de décompte final est un document essentiel puisque sa vocation première est de figer les différentes sommes que le titulaire est susceptible de réclamer au maître de l’ouvrage au titre de l’exécution du marché : oublier un poste de préjudice dans le projet de décompte final empêche en principe toute réclamation ultérieure de la part de l’entreprise y compris lors de la contestation du décompte du marché.

Le projet de décompte final fige les sommes qui peuvent être réclamées par l’entreprise

Pour le Conseil d’État, le projet de décompte final a vocation à retracer l’ensemble des sommes auxquelles peut prétendre l’entrepreneur du fait de l’exécution du marché afin de permettre au maître d’œuvre, s’il le souhaite, de rectifier ce projet dans le cadre de la procédure d’établissement du décompte général (CE 8 avril 2009, Sté Compagnie Française Eiffel Construction Métallique, req. n° 295342) .

L’entreprise titulaire doit donc intégrer dans le projet de décompte final toutes les sommes correspondant aux prestations réalisées y compris donc les éventuels travaux supplémentaires et les divers surcoûts liés au chantier.

L’article 13.3.3 du CCAG-Travaux dans sa version issue de l’arrêté du 8 septembre 2009 confirme cette règle en indiquant que « le titulaire est lié par les indications figurant au projet de décompte final ». Le commentaire qui figure sur Legifrance dans le corps même de l’arrêté est très clair : « dans le projet de décompte final, le titulaire doit récapituler les réserves qu’il a émises et qui n’ont pas été levées, sous peine de les voir abandonnées ».

Concrètement, cela implique qu’après avoir remis son projet de décompte final, l’entrepreneur ne peut plus réclamer le paiement d’une somme qui n’y figurerait pas compris lors de la contestation du décompte du marché, peu importe qu’elle corresponde aux prévisions initiales du marché ou bien à des travaux supplémentaires et/ou à d’éventuels surcoûts non prévus.

L’absence d’indication dans le projet de décompte final vaut donc abandon de créance (CAA Nancy 28 mai 2009, Sté Locatelli, req. n° 08NC00637). Il en résulte que l’absence de prise en compte dans le décompte général d’une somme dont l’entrepreneur n’a pas demandé le paiement à l’occasion de son projet de décompte final, ne saurait donc être reprochée au maître d’ouvrage et caractériser un différend susceptible d’être élevé par l’entrepreneur dans son mémoire en réclamation relatif au décompte général.

Le projet de décompte final a donc pour effet de figer définitivement les droits financiers que l’entrepreneur pourra réclamer dans le cadre de la procédure d’établissement du décompte général et définitif. Dans l’hypothèse où elle se trouverait dans l’incapacité de chiffrer certaines créances au stade de l’établissement du projet de décompte final, elle a donc tout intérêt à formuler des réserves précises pour préserver ses droit financiers ultérieurs. De la même façon, il appartient à l’entrepreneur de reprendre dans son projet de décompte final toutes les réclamations financières formulées en cours d’exécution du marché y compris celles qui font déjà l’objet d’une procédure juridictionnelle en application des dispositions de l’article 50 du CCAG-Travaux.

Stratégies pour tenter d’échapper à l’effet cliquet du projet de décompte final

L’entrepreneur qui a omis d’inclure certaines sommes dans son projet de décompte final n’a pas le choix : soit il s’aperçoit qu’il a omis d’intégrer dans son projet de décompte final l’intégralité des sommes correspondant aux prestations réalisées mais renonce à s’en prévaloir au stade de la contestation du décompte général et définitif. Les sommes sont alors définitivement perdues ; soit il peut tenter de réintégrer celles-ci dans le cadre de la procédure d’établissement et de contestation du décompte général et définitif.

Deux hypothèses peuvent alors être envisagées.

Dans la première hypothèse, l’entrepreneur tente de de réintégrer les sommes qu’il a oublié d’indiquer dans son projet de décompte final dans le cadre de la contestation du décompte général via un mémoire en réclamation. Si le maître de l’ouvrage se prévaut à titre principal de l’effet clicquet des dispositions de l’article 13.3.3 du CCAG-Travaux sans se prononcer sur le bien fondé de la créance, l’entreprise n’a aucune chance de recouvrer les sommes omises (CAA Nancy 3 février 2015, Centre Hospitalier de Chaumont, req. n° 13NC01240).

La deuxième hypothèse est identique à la première mais cette fois-ci le maître de l’ouvrage instruit le mémoire de réclamation et notifie une décision de rejet total ou partiel sur le fond, sans se prévaloir de l’effet cliquet du projet de décompte final. Dans ce cas, la cour administrative d’appel de Paris a déjà eu l’occasion de considérer que le maître d’ouvrage est dans ce cas réputé avoir implicitement renoncé à se prévaloir de l’effet cliquet du projet de décompte final s’il ne s’en est pas prévalu lors de l’instruction du mémoire en réclamation de l’entrepreneur relatif au décompte général. En d’autres termes, la défense au fond du maître d’ouvrage a pour effet de purger l’omission qui entache le projet de décompte final de l’entrepreneur, et ce dernier pourra dès lors valablement porter sa demande de paiement devant le juge administratif, le maître de l’ouvrage ne pouvant plus se prévaloir devant le juge de l’effet cliquet du projet de décompte final au non du principe de loyauté des relations contractuelles (CAA Paris 18 décembre 2012, SA Colomboa, req. n°11PA01446).

Dans la présente affaire, le Conseil d’Etat rappelle sans surprise d’une entreprise qui omet d’inclure dans son projet de décompte final l’indemnisation des préjudices liés aux éventuels retards du chantier ou la révision du prix de son marché n’est plus recevable à réclamer cette somme au maître de l’ouvrage au stade de la contestation du décompte général du marché, conformément aux stipulations de l’article 13.3 CCAG-Travaux. Ce point est donc acquis.

En revanche, l’arrêt ne brille pas par sa clarté concernant la confirmation ou l’infirmation de la solution dégagée par la cour administrative d’appel de Paris. A y lire de plus près, mais ce point devra être confirmé, il semblerait que le Conseil d’Etat considère, contrairement à la solution dégagée par la cour administrative d’appel de Paris, que le maître de l’ouvrage puisse se prévaloir pour la première fois devant le juge administratif de l’effet cliquet du projet de décompte final. Le principe de la loyauté des relations contractuelles ne jouerait donc que pour le maître de l’ouvrage et plus pour l’entrepreneur. Une sorte de revirement de jurisprudence conforme à l’air du temps…

La prudence est donc de mise et l’entrepreneur doit apporter une attention toute particulière à l’élaboration de son projet de décompte final car le moindre oubli peut couter très cher...

CE 16 décembre 2015, Sté RUIZ, req.n°373509

Me Sébastien PALMIER-Spécialiste en Droit Public Cabinet Palmier & Associés- Experts en marchés publics http://www.sebastien-palmier-avocat.com