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Entretien préalable en vue du licenciement, sans avocat : critiques d’un système inquisitoire déséquilibré. Par Dominique Summa, Avocat.
Parution : mercredi 10 février 2016
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Il est permis de regretter que les rapporteurs de la réforme du contrat de travail n’aient pas été plus loin dans leur désir d’améliorer la procédure de licenciement.
Le plafonnement des indemnités n’étant pas la seule piste pour donner une vision plus sereine du licenciement.
Force est de constater que l’entretien préalable en vue de licenciement est resté en dehors de toute idée réformatrice.
Et pourtant, cette étape est critiquable à plusieurs points de vue et traumatisante principalement pour le salarié.

Conçu à l’origine pour protéger le salarié, l’entretien préalable reste une épreuve traumatisante pour ce dernier et inutile. Y a t-il une chance pour faire revenir l’employeur sur sa décision ? Qui peut croire cette possibilité ?

Toutes les mesures prévues par le Code du travail, partie législative ou réglementaire font de cette entrevue une cour martiale de l’entreprise.

Régi par les articles L. 1232-2, 3 et 4 du Code du travail, plus la partie réglementaire, l’unique préoccupation pour l’employeur est de respecter le délai de convocation à l’entretien - cinq jours ouvrables avant l’entretien - et celui de la notification du licenciement - deux jours ouvrables après l’entretien.

L’objet de l’entretien est d’indiquer les motifs de la décision de licenciement non de la réformer, le salarié n’ayant que le droit d’être assisté par un représentant du personnel ou un salarié de l’entreprise ou encore – ce qui est le plus pratiqué - par un tiers extérieur à l’entreprise, syndicaliste souvent retraité inscrit sur la liste établie par l’autorité administrative trouvée à la mairie du domicile du salarié.

Le délai de cinq jours est passé par le salarié à téléphoner fiévreusement à une ou plusieurs personnes listées pour avoir conseils et assistance.

Le salarié n’aura pas toujours le réflexe d’aller voir un avocat qui pourrait le conseiller pour avoir la bonne attitude au cours de cette entretien non public, tenu à huis clos avec les dirigeants de l’entreprise et sans possibilité pour le salarié d’être représenté par un avocat qui puisse le défendre véritablement.

L’assistance légale étant limitée à une figuration muette du représentant.

Face au salarié, se tient l’aéropage composé du DRH et d’un ou plusieurs grands directeurs de l’entreprise, et de leurs dossiers constitués contre celui-ci.

L’attitude du salarié pourra être soit de repli, silencieuse, soit de contestation frontale. Une partie de poker se jouant entre les protagonistes.

Le salarié ne doit pas acquiescer aux griefs relevés contre lui ni se justifier, attitude pouvant montrer la reconnaissance d’un élément de vérité dans une situation factuelle non établie. Les réponses du salarié pouvant se retourner contre lui, ou ajouter encore plus de possibilité de motivation au dossier de l’employeur.

Car l’entretien préalable est essentiel en ce qu’il va définir les motifs de la lettre de licenciement, seuls motifs sur la base desquels les juridictions auront à se prononcer.

Cet entretien s’avère donc indispensable pour le début et la suite de la procédure de licenciement alors que le salarié est dépourvu de véritable assistance, qu’il se trouve d’ores et déjà, hors de l’entreprise, parfois soumis à une sanction disciplinaire et est obligé de comparaitre devant un tribunal d’exception de l’employeur.
Un tel déséquilibre a été sanctionné par la Cour de cassation (Chambre sociale 20 janvier 2016 n°14-21346) : la présence aux côtés de la responsable de plusieurs personnes pour l’assister transforme l’entretien préalable au licenciement en enquête et détourne la procédure de son objet.

La procédure pénale a été réformée et a ouvert le droit à la présence d’un avocat pendant la garde à vue. Pourquoi ne pas donner ce droit au salarié qui aurait le confort moral et juridique d’une défense et non d’une assistance réduite à sa portion congrue ? D’autant que pourrait s’initier une vraie négociation avec les avocats des parties, vraie procédure collaborative efficace qui déchargerait tant le DRH que le salarié, victime d’un système inquisitoire, prévu en principe dans son intérêt. « Le chemin de l’enfer… »

Dominique Summa