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Le licenciement d’un salarié pour avoir engagé une action en résiliation judiciaire est nécessairement nul. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : vendredi 19 février 2016
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Le fait pour un employeur de reprocher dans la lettre de licenciement la saisine prud’homale du salarié en demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail a pour conséquence de rendre le licenciement nul, et ce, quelles que soient les autres fautes du salarié invoquées dans la lettre de licenciement.

C’est ce que vient de juger la Cour de cassation dans un arrêt du 3 février 2016 (n°14-18600) publié au bulletin des arrêts de la Cour de cassation, privilège réservé aux arrêts dont elle souhaite souligner l’importance.

En l’espèce, le 4 mars 2010, un salarié a saisi le conseil de prud’hommes, d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de ce dernier invoquant une modification unilatérale de son contrat de travail. Le salarié était licencié moins d’un mois plus tard pour fautes graves par lettre du 7 avril 2010.

La lettre de licenciement faisait état de multiples fautes professionnelles du salarié, et mentionnait l’action judiciaire dans les termes suivants : « De plus, il ne pouvait vous échapper que votre position de direction de région vous amenait à jouer un rôle moteur dans ce projet. Or, loin de nous exprimer clairement votre désaccord, vous n’avez cessé de tenter de compromettre les travaux en cours et avez engagé parallèlement avec moi-même des discussions en vue de rompre votre contrat de travail par la voie d’une rupture conventionnelle. Je n’y ai pas donné suite au regard du fait que je ne souhaitais pas votre départ et vous nous avez fait alors parvenir le 17 mars une demande de résiliation judiciaire de contrat de travail aux torts de KPMG dont j’attends avec intérêt de connaître exactement les tenants et aboutissants car cette saisine du conseil de prud’hommes de Nanterre en cours de contrat de travail n’a été précédée de votre part d’aucun courrier ou aucune demande formelle mettant en cause une évolution de votre contrat qui vous aurait été préjudiciable. Si cette action en tant que telle n’est pas répréhensible, contrairement aux éléments précédents, cela me semble en dire long sur l’incompatibilité de nos positions.  »

La cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 9 avril 2014 (n°12/02343) déboute le salarié de sa demande de résiliation judiciaire, considérant que les manquements invoqués n’étaient pas suffisamment avérés. En revanche, elle prononce la nullité du licenciement aux motifs que le grief tiré de la saisine prud’homale constitue une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice.

L’employeur s’est pourvu en cassation, en faisant notamment valoir que la lettre de licenciement ne faisait pas grief au salarié d’avoir agi en justice mais de ne pas avoir avisé la société d’un désaccord, et que lorsque la lettre de licenciement invoque plusieurs motifs parmi lesquels l’exercice d’une action en justice, les juges ne peuvent prononcer la nullité qu’après avoir recherché si c’était ladite action qui était à l’origine de la rupture du contrat.

La Cour de cassation rejette cette argumentation aux motifs que « l’employeur reprochait au salarié dans la lettre de licenciement d’avoir saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation de son contrat de travail, la cour d’appel, qui a ainsi implicitement mais nécessairement écarté la preuve d’un abus ou d’une mauvaise foi de ce dernier dans l’exercice de son droit d’ester en justice, en a exactement déduit que ce grief, constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement  »

L’intérêt de cette décision réside dans le fait que l’illicéité du grief tiré de la saisine prud’homale inscrit dans la lettre de licenciement entraîne à lui seul la nullité du licenciement, de sorte que les autres griefs n’ont pas à être examinés par le juge, et ce peu important qu’ils puissent justifier un licenciement.

De même, les juges n’ont pas à rechercher, contrairement à ce qu’invoquait l’employeur dans son pourvoi, si l’action judiciaire est bien à l’origine du licenciement.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum