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La protection des professionnels face aux opérateurs de téléphonie. Par Baptiste Robelin, Avocat.
Parution : lundi 7 mars 2016
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Si l’on parle beaucoup des droits des consommateurs dans leurs relations avec les opérateurs téléphoniques, le régime applicable aux professionnels qui recourent à des services de communication électronique est plus méconnu. Ces derniers ne sont pourtant pas sans protection.

En effet, si le Code de la consommation ne leur est pas applicable par principe, le législateur a toutefois étendu aux professionnels et aux micro-entreprises certaines dispositions propres aux consommateurs. Il convient donc de recenser les mesures qui pourront le cas échéant être invoquées par une entreprise et un professionnel dans le cadre de son activité.

En outre, les professionnels pourront utilement se prévaloir des dispositions du Code civil et des principes du droit commun pour demander la résiliation ou la nullité du contrat qu’ils ont souscrit dans certains cas, voire des dommages-intérêts.
Il paraît donc opportun de faire un état des lieux des dispositions qui pourront utilement être invoquées par un professionnel afin de se protéger contre des « professionnels de la téléphonie » dont le service serait défaillant.

I- La protection bénéficiant à tout professionnel.

A- Les pratiques commerciales trompeuses.

Tout professionnel peut se prévaloir des articles L121-1 I et L121-1-1 du Code de la consommation qui interdisent les pratiques commerciales trompeuses, et parmi elles, la publicité trompeuse. Celle-ci repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur des éléments particuliers tels que l’existence, la nature ou les caractéristiques essentielles d’un bien.

Peu importe qu’un contrat soit effectivement conclu à la suite d’une telle publicité ou que le consommateur ait effectivement été trompé, mais il suffit qu’une telle pratique soit susceptible de l’avoir trompé. Attention toutefois à distinguer l’exagération commerciale de la véritable tromperie. En effet, seule la seconde peut entrainer la nullité du contrat [1].
Si un contrat est conclu sur la foi d’arguments trompeurs, la victime peut contester son engagement en invoquant la pratique commerciale trompeuse. Il est aussi possible de porter plainte auprès du procureur de la République ou d’informer les agents de la DGCCRF, de telles pratiques étant passibles d’une peine allant jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 300.000€ d’amende.

B- Les dispositions du droit commun des contrats.

Par la conclusion du contrat, l’opérateur s’engage et est donc soumis à toutes les dispositions du Code civil réglant les relations contractuelles. Il est ainsi tenu d’exécuter la convention de bonne foi : il doit respecter les délais fixés dans celle-ci, comme le délai de mise en service de la ligne. De plus, il est soumis à une obligation de résultat [2], c’est-à-dire qu’il engage sa responsabilité s’il n’atteint pas le résultat déterminé par le contrat qui est, pour un opérateur, d’assurer le bon fonctionnement de ses services et ce, même dans le cas d’une impossibilité technique qui relèverait d’une cause extérieure. Il ne peut s’exonérer qu’en raison d’un cas de force majeure.

L’obligation de résultat vaut pour la mise en service, mais aussi en cours de contrat. Ainsi, si un problème technique tel que des déconnexions intempestives, un débit lent, un grésillement sur la ligne surgit et qu’il ne provient pas de l’équipement ou de l’utilisation que l’utilisateur fait du réseau, il y a violation de cette obligation de résultat.
L’abonné peut alors réclamer, en fonction de la gravité du manquement, la résiliation du contrat « aux torts de l’opérateur » et, au minimum, obtenir le remboursement de la somme correspondant à la période pendant laquelle il n’a pas eu accès au service. Il peut aussi demander des dommages-intérêts s’il prouve un préjudice découlant du manquement à l’obligation de résultat de l’opérateur.

C- Les dispositions propres à la vente de biens.

Si du matériel a été acheté, tels que des téléphones, ceux-ci doivent être conformes d’une part, à ce qui a été convenu dans le contrat en vertu de l’article 1604 du Code Civil, et d’autre part, à la destination normale de la chose. D’après l’article 1641 du Code Civil, le vendeur est donc tenu de garantir l’acheteur en cas de défauts cachés de la chose vendue, si ces défauts la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur, s’il les avait connus, ne l’aurait pas acquise ou ne l’aurait pas acquise à ce prix.

D- Les dispositions permettant la conservation du numéro fixe et mobile.

Si le professionnel résilie son contrat avant la fin de la période d’engagement, il peut être contraint à verser à l’opérateur les mensualités restantes. Toutefois, même en cas de résiliation anticipée, il peut demander gratuitement à conserver son numéro de téléphone fixe ou mobile s’il change d’opérateur (Art L. 44, I du Code des Postes et des Communications Electroniques). L’ancien opérateur ne peut pas facturer la portabilité du numéro, seul le nouvel opérateur peut le faire à un tarif non dissuasif, mais une telle facturation est très rare en pratique. Tout retard ou abus dans la prestation de conservation du numéro donne lieu à indemnisation de l’abonné.
Pour faciliter la portabilité, l’ARCEP a imposé la communication gratuite, par l’opérateur au client qui en fait la demande, du RIO (Relevé d’Identité Opérateur) associé à son numéro [3]. Mis en place en 2012 pour les numéros mobiles, le recours au RIO est désormais possible, depuis le 1er octobre 2015, pour les numéros de téléphone fixe [4].

II- La protection des micro-entreprises.

Les entreprises dont le nombre de salariés employés est inférieur ou égal à cinq peuvent bénéficier de certaines dispositions du Code de la consommation lorsque l’objet des contrats en cause n’entre pas dans le champ de leur activité principale. Les dispositions en question portent sur les contrats conclus « hors établissement » c’est-à-dire les contrats conclus :
• en la présence physique simultanée des parties dans un lieu qui n’est pas celui où l’opérateur exerce son activité de manière habituelle,
• dans le lieu où l’opérateur exerce son activité de manière habituelle mais immédiatement après avoir sollicité l’abonné dans un lieu différent où les parties étaient physiquement et simultanément présentes,
• pendant une excursion organisée par l’opérateur ayant pour but ou effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services.

Dans ces cas, le fournisseur est notamment soumis à une obligation d’information précontractuelle et, en cas de litige, c’est à lui de prouver l’information effective de l’abonné. Si cette obligation a été effectivement violée, elle susceptible d’être sanctionnée par une amende administrative ne pouvant excéder 15.000€ pour les personnes morales.

De plus, le nouvel abonné dispose d’un délai de 14 jours pour se rétracter (Art. L.121-21 du Code de la consommation), délai qui court à compter de la conclusion du contrat de fourniture de services ou de la livraison des biens. Les conditions, le délai et les modalités d’exercice de ce droit de rétractation figurent au titre de l’obligation d’information précontractuelle. La violation des dispositions relatives à ce droit de rétractation est passible d’une amende ne pouvant excéder 75.000€ pour les personnes morales.

III- Les dispositions du Code de la Consommation, en pratique non applicables au professionnel.

A- Les dispositions excluant purement et simplement les professionnels.

Le Code de la consommation contient beaucoup de dispositions protectrices des consommateurs, mais il les limite aux personnes physiques agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. A titre d’exemple, les professionnels ne peuvent bénéficier de l’obligation générale d’information précontractuelle (Art. L.111-1 du Code de la consommation), de la protection particulière en cas de contrats conclus à distance (Art. L.121-19 à L.121-19-4 du Code de la consommation), de celle contre le démarchage téléphonique (Art. L.121-20 et L.121-34 du Code de la consommation) ou encore de la garantie de conformité (Art. L.211-4 du Code de la consommation).
Toutefois, certains textes de ce code sont étendus aux professionnels, à certaines conditions très strictes.

B- Les dispositions applicables en cas de rapport indirect avec l’activité professionnelle.

L’article L.132-1 du Code de la consommation qui répute non écrite les clauses abusives vise les « contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ». La notion de non-professionnel a été interprétée, dans le cadre de cet article, comme visant le professionnel contractant dans un domaine n’ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle. Ce rapport direct a cependant été apprécié de façon sévère par la Cour de cassation qui a par exemple reconnu l’existence d’un rapport direct entre un contrat de location de matériel téléphonique et l’activité de fabrication de bracelets en cuir [5].

C- Les dispositions applicables aux personnes physiques exerçant une activité professionnelle.

En 2008, la loi Châtel fait référence au « non-professionnel » dans de nouveaux textes et notamment dans ceux portant sur les contrats de services de communications électroniques. Cette notion de non-professionnel fait l’objet d’un débat doctrinal. Si la Cour de cassation a considéré que les personnes morales pouvaient être qualifiées de non-professionnel [6], elle a expressément exclu les sociétés commerciales [7].
De plus, d’après les travaux préparatoires de cette loi, la catégorie de non-professionnel vise à protéger les professionnels qui « sont en pratique placés dans une situation exactement semblable à celle des consommateurs en ce qui concerne la gestion courante des contrats de service nécessaires à l’exercice de leur activité ». A ce titre, le législateur a jugé nécessaire «  d’assimiler aux consommateurs les personnes physiques agissant pour leurs besoins professionnels ».

Ainsi, il nous semble que doivent pouvoir être qualifiés de non-professionnels les personnes morales n’exerçant pas d’activité professionnelle ainsi que les personnes physiques agissant pour leurs besoins professionnels. Ceux-ci pourraient alors bénéficier, pour les contrats conclus avec les fournisseurs de services de communication électronique, d’une obligation d’information contractuelle à la charge de l’opérateur, de l’interdiction de surtaxe des numéros de service après-vente, service d’assistance technique ou service de réclamations et de l’encadrement des conditions d’engagement de l’abonné, tant sur la durée que sur les sommes dues en cas de résiliation anticipée (Art. L.121-83 à L.121-85-1 du Code de la consommation).

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[1Crim. 21 mai 1984 n°83-92.070.

[2Cass. civ. I, 8 novembre 2007, pourvoi n° 05-20637 - Cass. civ. I, 19 novembre 2009, pourvoi n° 08-21645 : « tenu d’une obligation de résultat quant aux services offerts, le fournisseur d’accès ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité à l’égard de son client en raison d’une défaillance technique, hormis le cas de force majeure, c’est-à-dire d’un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible au moment de son exécution, ce que la défaillance technique relevée, même émanant d’un tiers, ne permettait pas de caractériser à défaut d’imprévisibilité ».

[3Article 5 II de la décision n°2012-0576 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 10 mai 2012 précisant les modalités d’application de la conservation des numéros mobiles « Les opérateurs mobiles mettent notamment à disposition des abonnés entreprises le RIO mobile correspondant à chaque numéro mobile actif, soit sous forme électronique par le biais d’espaces clients accessibles par le réseau internet, lorsqu’ils existent, soit par une mention sur le support de facturation correspondant à la ligne mobile concernée. »

[4Article 22 de la décision n° 2013-0830 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 25 juin 2013 précisant les modalités d’application de la conservation des numéros fixes.

[5Civ. 1ère, 5 nov 1996, n° 94-18667.

[6Civ. 1ère, 23 juin 2011.

[7Com. 2 dec 2013, n°12-26.416.

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