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Cadre légal du e-sport : les joueurs professionnels bientôt soumis au CDD spécifique sportif. Par Thierry Vallat, Avocat.
Parution : vendredi 25 mars 2016
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La remise du rapport parlementaire sur la pratique du e-sport à la ministre du Numérique Axelle Lemaire le 23 mars 2016 démontre une véritable transversalité des pratiques juridiques : l’émergence du droit de cette nouvelle discipline et sa rencontre avec le droit du sport et notre bon vieux droit du travail.

Avec le projet de loi numérique adopté le 26 janvier 2016 par l’Assemblée nationale et qui sera discuté au Sénat à partir du 26 avril prochain, se dessine en effet le nouveau cadre légal du sport électronique (voir notre précédent article).

Avec l’apparition d’une audience significative et d’enjeux financiers importants, les compétitions de jeux vidéo se sont grandement et rapidement professionnalisées.

Des équipes e-sport de plus en plus structurées se constituent avec le financement de sponsors.

Ces équipes prennent généralement la forme d’une société commerciale (une dizaine en France à ce jour, dont deux de niveau international), et engagent des joueurs (à la manière d’une équipe sportive).

A ce jour, la rémunération des joueurs est le plus souvent assise sur un statut de travailleur indépendant : les joueurs établissent une structure commerciale (autoentrepreneur ou société par action simplifiée – SAS – lorsque le seuil de 32 k€ annuel de CA est dépassé), et sont rémunérés par leur équipe en tant que prestataires.

L’objet des contrats de prestation ainsi conclus n’est pas l’entraînement et la participation à des compétitions de jeux vidéo, mais des prestations annexes à l’activité e-sportive (participation à des interviews, commentaires de matchs, mise en avant des marques sponsorisant l’équipe…). D’un point de vue formel, les joueurs participent donc aux entrainements, souvent très structurés, et aux compétitions à titre privé, et non en tant que prestataires ou salariés de leur équipe.

Les équipes ne disposent donc pas formellement d’un pouvoir hiérarchique sur les joueurs, quant à la façon dont leur entraînement doit être accompli, ou quant à leur participation à des compétitions.

Les équipes procèdent ainsi pour limiter le risque de voir requalifiée en contrat de travail la relation commerciale les liant aux joueurs qu’elles rémunèrent.

La jurisprudence retient en effet un faisceau d’indices pour qualifier la nature de la relation liant un commanditaire à un travailleur qu’elle rémunère. En effet, « l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont données à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » (Cassation sociale, 19 décembre 2000).

Au final, la mission parlementaire a fait le constat de l’absence de conclusion d’un contrat de travail adapté est défavorable tant aux joueurs (faible sécurité de l’emploi, faible protection sociale, difficultés dans la vie courante pour l’obtention de prêts ou la location d’un logement), qu’aux équipes (impossibilité d’organiser un entraînement complètement professionnel et d’éviter des transferts anarchiques de joueurs vers d’autres équipes).

Le rapport Salles-Durain préconise donc de rendre applicable à la pratique compétitive du jeu vidéo les articles L. 222-2 à L. 222-644 du Code du sport au cas des compétiteurs professionnels de jeu vidéo et des sociétés ou associations qui les emploient, ce qui permettrait aux structures e-sportives de conclure des CDD de un à cinq ans, renouvelables autant que nécessaire, dans un bon niveau de sécurité juridique.

A noter que le régime de sécurité sociale de droit commun est applicable à ces contrats (CDD d’usage sportif et CDD spécifique sportif). Il n’y aurait donc pas de coût supplémentaire pour les finances publiques.

En revanche, le statut du sportif de haut niveau, qui emporte l’accès à certaines aides financières et à une couverture sociale mise à la charge de l’État dans certains cas resterait quant à lui soumis à l’inscription sur une liste ministérielle, sur proposition d’une fédération sportive délégataire. Il ne trouverait donc pas à s’appliquer dans le cas des joueurs professionnels de jeu vidéo embauchés sur la base de ce statut.

Il y a donc fort à parier que les e-gamers professionnels seront bientôt assujettis aux CDD spécifiques sportifs mis en place par la loi n°2014-1541 du 27 novembre 2015.

Thierry Vallat, Avocat www.thierryvallatavocat.com