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L’indépendance de l’arbitre : fiction ou réalité ? Par David Nyamsi, Juriste.
Parution : mercredi 20 avril 2016
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Que faut-il révéler ? Jusqu’où va l’obligation de révélation de l’arbitre ? Tel est le dilemme devant lequel se trouve les arbitres. D’un côté, il est de bon ton de défendre que l’obligation de révélation est une garantie incontournable que doivent donner les arbitres aux parties. D’un autre côté, il est raisonnable de penser que ladite obligation (si elle est absolue) de révélation, pourrait se révéler un frein pour les arbitres pressentis. Quelle est l’état actuel de la jurisprudence et doctrine arbitrales à ce sujet ?

Être « indépendant ». Cela résonne bien. Dans une certaine mesure, c’est un objectif à atteindre pour certains. Se détacher d’une contrainte vis-à-vis d’autrui donne le sentiment d’avoir accompli quelque chose, d’avoir franchi une étape. Les pays sous tutelle, colonisés, se battent pour accéder à l’indépendance. Pour eux, il est de leur droit absolu de décider par eux-mêmes, et pour eux-mêmes sans ingérence extérieure. C’est, en soi, un corollaire de la liberté. Pour un pays ou une organisation politique, l’indépendance est donc l’acquisition de sa totale souveraineté politique, et ce par opposition au fait d’être régenté par une autorité suzeraine, voire coloniale.

Le Larousse définit l’indépendance comme étant le «  caractère de quelqu’un qui ne se sent pas lié ou qui ne veut pas être soumis aux autres, à la discipline morale, aux habitudes sociales, etc ». Et d’ajouter que c’est également l’état de quelqu’un, d’un groupe, qui juge, décide, etc. en toute impartialité, sans se laisser influencer par ses appartenances politiques, religieuses, par des pressions extérieures ou par ses intérêts propres. En somme, c’est l’état d’une personne libre de toute sujétion.
Nous souscrivons totalement à cette définition, qui s’arrime totalement avec le principe fondamental qu’est l’indépendance.

L’indépendance s’apprécie subjectivement et objectivement. De manière objective, un arbitre ne doit pas être affecté par l’existence de liens matériels (relations d’affaires), affectif (amitié ou inimitié) avec une partie, ou les conseils des parties à l’arbitrage. Subjectivement, l’indépendance est appréciée en fonction de l’effet que produit la situation de dépendance de l’arbitre (doute raisonnable sur l’indépendance de l’arbitre).
Ainsi définie, l’indépendance pourrait sembler être une vue de l’esprit, tellement les personnes sont liées entre elles par toutes sortes de relations, financières, sociales, familiales, associatives, politiques, amicales, etc.

L’acte uniforme OHADA sur l’arbitrage à son article 6 dit que l’arbitre doit être à la fois indépendant et impartial. Pour Meyer, ce sont là deux qualités somme toute indissociables, qui ne doivent pas être prises l’une pour l’autre. L’impartialité étant quant à elle, la qualité de l’arbitre qui ne favorise pas une partie, et de fait n’en lèse pas une autre.
Les liens ou connexions pouvant exister entre les arbitres et les parties ou leurs conseils ne sont pas de freins à l’indépendance des premiers et à leur impartialité. L’article 4.1 du règlement d’arbitrage de la CCJA exige de l’arbitre qu’il soit indépendant. Autrement dit, un arbitre désigné par les parties ou par la cour doit apporter la « garantie » de son indépendance afin de pouvoir entendre de l’affaire. C’est là qu’intervient l’obligation de révélation de l’arbitre. Cette obligation pèse sur tous les arbitres. En effet, les arbitres pressentis doivent, sans délai, communiquer à la Cour, toutes les informations qui, selon eux-mêmes, pourraient être de nature à susciter le « doute » dans l’esprit des parties ou de leurs conseils sur leur indépendance ou impartialité.

L’obligation de révélation pèse de façon permanente sur les arbitres. De fait, toute information non révélée par un arbitre et étant de nature à créer un doute raisonnable dans l’esprit des parties doit faire l’objet d’une révélation automatique. Les arbitres ont donc la contrainte, au risque d’être récusés ou de voir leur sentence être annulée, de faire connaitre tous faits ou circonstances qu’ils supposent être de nature à pouvoir créer dans l’esprit des parties et/ou de leurs conseils, un doute. Il est aussi intéressant que pour la jurisprudence et la doctrine arbitrales, cette obligation pèse sur les arbitres à toutes les étapes de la procédure. La déclaration d’indépendance et d’impartialité que transmettent les arbitres avant le début de la procédure arbitrale n’est donc que le gage de l’inexistence, au meilleur de leur propre connaissance, à cette étape de la procédure, de tous faits ou circonstances tombant sous le coup de l’obligation de révélation.

Dans le même ordre d’idées, l’article 5.1 du règlement d’arbitrage du Centre d’arbitrage du Gicam précise que : « Seules des personnes indépendantes à l’égard des parties et de leurs conseils au sens de l’article 10 et qui sont nommées ou dont la nomination est confirmée par les instances compétentes du Centre conformément aux dispositions du présent règlement d’arbitrage, peuvent intervenir en qualité d’arbitre dans un arbitrage soumis au Centre d’Arbitrage du GICAM ».

Il nous semble nécessaire de réitérer ici que ladite obligation d’indépendance et d’impartialité, non seulement emporte une contrainte de révélation constante et ce, tout au long de la procédure, emporte aussi l’obligation de transparence. En effet, les arbitres doivent tout révéler.
Cette obligation de transparence, en France par exemple, a fait l’objet de nombreuses décisions de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation. Il va sans dire que lesdites décisions suscitent de vifs échanges entre partisans de la transparence totale des arbitres comme un corollaire incontournable de l’obligation d’indépendance et ceux qui estiment que l’obligation existe certes, mais devrait être atténuée du fait que les arbitres ne seraient pas tenus de faire part de tous faits ou circonstances pouvant créer un doute raisonnable.

Ainsi, dans l’affaire ayant fait l’objet de l’arrêt de cassation du 1er février 2012, une entreprise ayant confié à une société d’experts en tarification de l’énergie la mission de négocier des tarifs avec la société EDF. Un litige étant survenu, une procédure d’arbitrage a été engagée entre l’entreprise et les experts. Il s’est trouvé que le président de la formation arbitrale, qui avait été désigné par le Centre d’arbitrage et accepté par les parties, avait dans le passé, été le Conseil de l’EDF lors dans plusieurs contentieux (Or EDF n’était pas partie à cet arbitrage).
L’existence de ce lien avec un tiers à l’arbitrage, en l’occurrence EDF n’avait pas été signalée par le président de la formation arbitrale dans sa déclaration d’indépendance et d’impartialité. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Bordeaux a d’abord rejeté le recours en annulation de la sentence pour défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre. Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation, qui étend ainsi l’obligation de révélation de l’arbitre même dans ses relations avec les tiers.

Au total, il ressort que la pratique, la jurisprudence et la doctrine arbitrales sont constantes sur le fait que l’obligation d’indépendance et partant, d’impartialité, de révélation et de transparence sont des dispositions d’ordre public. Il ressort que l’obligation d’impartialité et d’indépendance est réelle. Les extensions à cette obligation aussi.

David Nyamsi Secrétaire Général du Centre d'Arbitrage du Gicam Enseignant-Chercheur Consultant