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Plaider la contrainte pénale ? Par Marc-Antoine Julien, Docteur en droit.
Parution : mercredi 27 avril 2016
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Après plus d’an et demi d’application, qu’en est-il de la contrainte pénale ?
Issue de la loi du 15 août 2014, et malgré des incertitudes concernant sa nature juridique, la contrainte pénale reste avant tout une nouvelle alternative à l’emprisonnement.
Parfois décrite comme un « SME de luxe », elle implique un suivi resserré de la personne condamnée. Faut-il la plaider ? Comment la plaider ?

I- Les conditions pour plaider la contrainte pénale.

La contrainte pénale est codifiée à l’article 131-4-1 du Code pénal [1]. Le texte prévoit que « lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale » de l’auteur le permet, et pour les infractions punies d’une peine inférieure ou égale à 5 ans (augmentation du quantum à 7 ans prévue pour janvier 2017) la contrainte pénale peut s’appliquer. Les obligations des articles 132-44 et 132-45 CP peuvent être prononcées, de même que les mesures d’assistance de l’article 132-46 CP. A savoir, un TIG peut aussi être prononcé dans ce cadre, ainsi que l’injonction de soin (à ne pas confondre avec l’obligation de soin) mais uniquement lorsque le SSJ est aussi prévu pour l’infraction retenue.

Le législateur n’a pas été plus précis, mais dans une circulaire du 26 septembre 2014 [2] la DACG a précisé les modalités du prononcé et de mise en œuvre de la contrainte pénale. A l’origine, elle était envisagée pour les personnes en voie de marginalisation afin de faire échec au processus de passage à l’acte ainsi qu’au processus de la récidive. Rappelons que la contrainte pénale est directement le fruit de la conférence de consensus qui parlait alors d’une « nouvelle peine de probation » [3].

Après plus d’un an de mise en œuvre, il s’avère que le public visé à l’origine n’est pas du tout celui pour lequel la contrainte pénale est prononcée. Le suivi de la personne et le poids des obligations sont d’une importance telle qu’elle ne doit surtout pas être une personne marginalisée.
Il faut garder à l’esprit que le juge correctionnel n’est quasiment jamais suffisamment informé sur la vie de la personne. Trop peu d’enquêtes de personnalité sont réclamées, et, à moins que la personne soit déjà sous écrous ou en cours de SME, il n’y aura aucun rapport des SPIP la concernant. Le plaideur devra donc avant tout informer le magistrat sur le contexte social, familial et financier.

Le plaideur devra donc mettre en avant les mêmes arguments que pour plaider un SME ou un aménagement de peine, à savoir :
- contrat de travail en cours ou recherche d’emploi déjà engagée,
- une adresse connue/un hébergement certain,
- des contacts familiaux réguliers et sains,
- un soin psychologique/psychiatriques ou le traitement d’une addiction en cours ou des démarches accomplies en ce sens.

Attention aux effets de la récidive sur la peine encourue qui doit, en tout état de cause, restée inférieure à 5 ans. Ce qui nous fait dire que finalement la contrainte pénale ne peut pas servir à répondre aux multirécidivistes puisque par définition, elle ne pourra pas s’appliquer à eux. Reste que la disqualification de l’état de récidive peut encore être plaidée afin de pouvoir appliquer la contrainte pénale. C’est la raison pour laquelle la contrainte pénale se plaidera plus facilement pour des multirécidivistes en matière d’infractions routières, la récidive de certaines de ces infractions gardant le seuil de la peine encourue sous la barre des 5 ans.

Lorsqu’elle est prononcée, un emprisonnement maximum est aussi prononcé en cas d’inexécution des obligations. Ce dernier ne peut excéder 2 ans ou le maximum de la peine encourue. La personne condamnée sera convoquée dans les 8 jours au SPIP. S’en suivra une période d’évaluation de 4 mois. Un rendez-vous par mois sera organisé auprès du CIP en charge du dossier. Le régime juridique du suivi de la contrainte pénale est décrit aux articles 474 CPP et des articles 713-42 à 713-48 du CPP.

II- Plaider le sursis avec mise a l’épreuve ou la contrainte pénale ?

Dès le départ, la contrainte pénale a été mal qualifiée. Une hésitation est née, s’agissant de sa rétroactivité, sur le point de savoir s’il s’agissait d’une nouvelle peine (loi pénale plus sévère), ou d’une nouvelle alternative à l’incarcération (loi pénale plus douce). Finalement la Cour de cassation a tranché en la considérant comme une nouvelle alternative à l’emprisonnement et donc rétroactive [4].

La contrainte pénale est, encore maintenant, victime d’un problème identitaire. Les acteurs (magistrats ou avocats) ont du mal à se positionner sur le point de savoir s’il faut la considérer comme une mesure plus contraignante ou moins contraignante que le SME [5]. D’autant qu’elle partage avec le SME et le SSJ les mêmes obligations (celles des articles 132-44 et 132-45 CP).

Quoi qu’il en soit, la contrainte pénale est indéniablement un nouvel outil pour éviter l’emprisonnement et doit donc être envisagée en complément du SME par les plaideurs.

S’agissant du SME, l’article 132-41 CP empêche que soit prononcé plus de deux SME totaux. La contrainte pénale peut donc venir en supplément. Il faut d’ailleurs constater que la contrainte pénale est bien souvent prononcée lorsque des SME ont déjà échoués ou sont encore en cours.
Certains magistrats peuvent se laisser convaincre de prononcer une contrainte pénale à titre de dernière chance.

Le problème du SME est que, lorsque les obligations sont mal exécutées, la révocation du SME est prononcée directement par le JAP et peut avoir un effet domino entraînant ainsi un emprisonnement finalement assez long. Si la personne fait l’objet en plus d’une contrainte pénale, le JAP peut se laisser convaincre de ne pas révoquer le SME pour permettre à la personne condamner de poursuivre son parcours en contrainte pénale. En outre, le processus de révocation de la contrainte pénale est moins automatique que celui du SME puisque le JAP devra saisir le juge délégué ou le président du tribunal (article 713-47 CPP). Un nouveau débat contradictoire s’ouvre et l’avocat y aura sa place. La circulaire prévoit que « le magistrat fixera, dans les limites du quantum établi par la juridiction de jugement, la durée de l’emprisonnement à exécuter, en tenant compte de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné, de la gravité de l’inobservation des mesures, obligations et interdictions, ainsi que du délai pendant lequel la contrainte pénale a été exécutée et des obligations qui ont déjà été respectées ou accomplies. L’emprisonnement prononcé pourra donc être sensiblement inférieur au maximum fixé par la juridiction ».

L’avocat a donc tout intérêt à jouer la carte de l’articulation entre les 2 mesures. Il faut donc plaider la contrainte pénale pour les personnes déjà condamner à du SME et qui font état de démarches de réinsertion positives.

III- Plaider la contrainte pénale ou un aménagement de peine.

Il ne sera pas inutile de rappeler aux magistrats que depuis la loi pénitentiaire de 2009 [6], l’emprisonnement ferme en matière délictuelle doit rester l’exception (article 132-24 CP).

Le plaideur peut décider d’une stratégie : plaider la contrainte pénale pour individualiser la réponse pénale immédiatement plutôt que d’attendre que le JAP soit saisit pour un aménagement ab initio. Le magistrat du siège pourrait être tenté, après un appel du pied de la part de l’avocat, de « garder la main » sur le contenu des obligations et l’individualisation de la peine. Il s’agit d’utiliser ici les « guerres de compétences » entre magistrats. Bien évidemment, cela fonctionnera plus ou moins bien selon les juridictions et l’état des relations entre magistrats dans chaque juridiction.

Attention, il peut parfois être plus avantageux pour le client de ne pas plaider la contrainte pénale et de laisser l’emprisonnement de très courte durée être prononcé. L’idée est que l’aménagement de peine qui s’en suivra pourrait être moins contraignant que les obligations de la contrainte pénale. Par exemple, pour une peine de 4 mois, mieux vaut plaider l’aménagement sous forme de PSEM devant le JAP plutôt que la contrainte pénale devant le juge correctionnel. La phase d’évaluation de la contrainte pénale tant de 4 mois, la contrainte sera nécessairement plus longue.

En conclusion, le plaideur avisé prendra garde à :
- ne pas plaider la contrainte pénale pour un primo délinquant ;
- plaider la contrainte pénale après un ou plusieurs échecs de SME en valorisant les gages de réinsertion de son client ;
- anticiper, sur la base des réquisitions du ministère public, si un aménagement ab initio ne sera pas moins lourd qu’une contrainte pénale ;
- en tout état de cause, ne surtout pas « bouder » la contrainte pénale qui reste avant tout une nouvelle alternative à l’incarcération ;
- investir largement le champ de l’exécution des peines, champ pour lequel le législateur développe les débats contradictoires.

Marc-Antoine Julien Docteur en droit privé et sciences criminelles Lauréat du prix Vendôme 2015

[1Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales NOR : JUSX1322682L.

[2Circulaire du 26 décembre 2014 de présentation des dispositions de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales applicables au 1er janvier 2015.

[3Rapport du jury de consensus remis au Premier ministre le 20 février 2013, consultable sur http://conference-consensus.justice.gouv.fr/documentation/.

[4Crim. 14 avril 2015, n° 15-80.858.

[5Pascal Le Roy, « De la mise à l’épreuve à la contrainte pénale. Quelle évolution vers quel contenu ? », Criminocorpus [En ligne], La prévention des récidives : Évaluation, suivis, partenariats, Les suivis.

[6Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire NOR : JUSX0814219L.

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