Village de la Justice www.village-justice.com

Manquement d’initié : le Conseil d’Etat augmente de 50 % la condamnation d’un professionnel soumis au contrôle de l’AMF. Par Sylvain Verbrugghe, Juriste.
Parution : lundi 2 mai 2016
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Manquement-initie-Conseil-Etat,22063.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Depuis 2011, la personne sanctionnée par la commission des sanctions de l’AMF n’a plus « tout à gagner » à former un pourvoi à l’encontre de la décision.

Un arrêt du 6 avril 2016, rendu par les 6ème et 1ère sous sections réunies du Conseil d’Etat (RG n°374224) [1] nous rappelle que depuis la loi n°2010-1249 du 22 octobre 2010 et son décret d’application n°2011-968 du 16 août 2011, la Haute juridiction peut «  sur le recours principal ou incident du président de l’Autorité des marchés financiers, soit confirmer la décision de la commission des sanctions, soit l’annuler ou la réformer en tout ou en partie, dans un sens favorable ou défavorable à la personne mise en cause » (article R621-45 du Code monétaire et financier - CMF).

En l’espèce, un professionnel exerçant d’importantes fonctions au sein de la banque UBS informe son cousin de l’imminence d’une OPA amicale de SNCF Participations sur les titres GEODIS, admis aux négociations sur Euronext. Le « cousin » investissait ainsi pour 8 millions d’euros dans les titres et réalisait pour 6 millions d’euros de plus value.

Aux termes de l’enquête réalisée à sa demande, la Commission des sanctions de l’AMF condamne le banquier à une amende de 400.000 euros pour manquement à l’obligation de s’abstenir de transmettre une information privilégiée, et son cousin à une amende de 14 millions d’euros, pour manquement à l’obligation de s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée.

Professionnel soumis au contrôle de l’AMF, le banquier a saisi le Conseil d’État (article R621-45 CMF) d’une demande d’annulation de la décision. Le Président de l’AMF a formé un pourvoi incident sur le fondement de l’article R621-45 du CMF en sollicitant une augmentation de la sanction pécuniaire, assortie d’une sanction disciplinaire.

La Haute juridiction relève qu’à défaut de preuve matérielle contre le banquier, la Commission des sanctions a rendu sa décision en se référant à un faisceau d’indices concordants [2], sans qu’il ne lui soit nécessaire d’établir précisément les circonstances dans lesquelles l’information privilégiée est parvenue jusqu’au « cousin ».

En l’occurrence, il ressort de l’enquête mené par le rapporteur que l’investissement a été réalisé massivement, en contrariété avec les habitudes de l’investisseur, moins de vingt-quatre heures après que le banquier ait eut connaissance de manière certaine du projet d’OPA de la SNCF Participations.

L’information était alors non publique, précise et ayant manifestement vocation à avoir une incidence sur la valeur du titre GEODIS [3], donc privilégiée.

L’investissement du « cousin » ne pouvait en conséquence s’expliquer que « par l’assurance que la communication de l’information privilégiée en cause lui donnait que le cours des titres GEODIS allait bientôt connaître une forte hausse » de sorte que la Commission a pu, à bon droit, estimer que les investissements avaient été réalisés sur la base de la transmission d’une information privilégiée.
Le Conseil d’État rejette donc la demande du banquier tendant à obtenir l’annulation de la décision.

En revanche, sur le pourvoi incident du président de l’AMF, la Haute juridiction considère que :

« le manquement de transmission d’information privilégiée commis par le banquier revêt une particulière gravité, en méconnaissance d’une obligation essentielle pour l’intégrité et la sécurité du marché et la protection de l’épargne investie ; qu’il a été commis en toute connaissance de cause par l’intéressé, qui exerçait à l’époque des faits d’importantes fonctions au sein de la banque UBS, qui exigeaient une abstention totale de communication à des tiers des informations privilégiées auxquelles il avait accès  »

Le Conseil d’État porte le montant de la sanction à 600.000 euros, soit 50 % de plus que la sanction prononcée par la Commission, et prononce à l’encontre du banquier un blâme, outre la publication de la décision sur le site internet de l’AMF.

Sylvain VERBRUGGHE Juriste

[2Sur la méthode du faisceau d’indices, cf CE, 6ème et 1ère SSR, 30/12/2010, 326987, Publié au recueil Lebon

[3Sur la notion d’information privilégiée, cf notre article du 11 mars 2014 Délit d’initié et notion d’information privilégiée.