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Le projet de réforme du droit français des contrats : rénovation ou révolution ? Par François Campagnola, Juriste.
Parution : vendredi 6 mai 2016
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Le projet de réforme du droit des contrats et des obligations vise à moderniser une partie d’un droit qui date de 1804 et à adapter le droit français à l’évolution du droit international et du droit européen des contrats dans lesquels il s’insère. Il vise aussi à le rendre plus attractif à l’extérieur dans un contexte de forte concurrence entre droits nationaux. Au plan technique, ce projet de réforme est le produit d’une ordonnance placée sous l’article 38 de la Constitution par la loi d’habilitation du 16 février 2015.
Ce projet a le double objet défini par le Parlement, d’une part, de réaménager le droit des contrats à droit constant dans un souci d’intelligibilité tout en introduisant, d’autre part, un certain nombre d’innovations juridiques jugées nécessaires.

Dans le premier cas, la tradition juridique française tout comme le droit européen de l’arrêt Kruslin du 24 avril 1990 étendent le champ d’application de la notion de droit constant à l’activité législative et au droit jurisprudentiel. Y sont donc incluses les décisions de justice. Dans le second cas, les modifications introduites doivent être strictement mentionnées dans la loi d’habilitation en vue de leur ratification par le Parlement et afin de ne pas être censurées au contrôle de légalité du Conseil d’État. L’ensemble de ces modifications répondent au double objectif de l’innovation juridique (suppression de la cause, devoir précontractuel d’information, régime des clauses abusives, etc.) et de la modification de la règle de droit en vue de la simplifier, de la clarifier ou de la préciser.

Sur ces bases, le projet de réforme peut se présenter sous les deux formes de l’innovation juridique et du rééquilibrage juridique. Pour l’essentiel de ses dispositions, le projet de réforme gouvernemental ne semble pas s’écarter de son cadre d’habilitation. Il en est toutefois ainsi exceptés les quelques cas où le projet introduit des modifications non prévues, ignorées de la loi ou rejetées par la jurisprudence. Rappelons qu’en la matière, il suffit d’un mot pour que le texte s’écarte de l’habilitation. Tel est le cas probable en matière de résolution unilatérale par notification, d’exception d’inexécution anticipée et de réduction du prix en cas d’exécution imparfaite.

I) Les principales innovations du projet de réforme du droit des contrats

Quelques innovations majeures alimentent la mouture définitive du projet de réforme du droit des contrats. La suppression de la cause en est la première caractéristique. Elle est suivie de l’élargissement du champ d’application de la bonne foi au domaine de la formation du contrat dont découle un certain nombre de règles relatives à l’obligation d’information des cocontractants. Vient s’y joindre la codification des apports de la jurisprudence en matière d’imprévision ainsi que la consécration de la notion de violence économique. Derrière le caractère profondément novateur de ces éléments, la logique qui sous-tend l’ensemble réside enfin très largement dans la volonté de revitalisation du caractère consensuel de la discipline.

1) La disparition de la « cause » en droit civil des contrats

Le statut de la cause en droit des contrats fut longtemps une question très controversée. Ainsi en fut-il tout particulièrement en matière d’évaluation d’un déséquilibre contractuel, de preuve de la cause ainsi que relativement à sa détermination dans les contrats aléatoire, unilatéral et réel. Traditionnellement, l’article 1108 du Code civil disposait en la matière qu’à côté des conditions de consentement, de capacité juridique et d’objet certain du contrat, la « cause licite dans l’obligation » est la 4ème condition nécessaire à la validité d’un contrat.
Dans le prolongement, son article 1131 édicte que « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ». Il en résultait alors une nullité du contrat pour défaut de cause. Cette dernière perspective fut néanmoins fragilisée par les hésitations jurisprudentielles sur le fait de savoir s’il s’agissait d’une nullité absolue et d’une nullité relative.

Le problème de fond était ici que le Code civil ne définissait pas la notion de cause, que celle-ci était difficilement appréhendée et qu’il en a donc résulté une grande diversité d’options. Dans un certain nombre de ses décisions, la jurisprudence chercha néanmoins à réduire l’insécurité juridique qui pouvait en résulter. Pour ce faire, elle s’engagea dans un processus de subjectivisation de la cause à partir des arrêts Point-Club Video du 3 juillet 1996 et Chronopost du 22 octobre 1996 dont il résulta une redéfinition de la fonction de cause au contrat. L’option classique était de nature objective et visait essentiellement la préservation contre les engagements souscrits sans contrepartie. Dans une conception davantage subjective et concrète, la Cour s’engagea alors dans l’option du contrôle de la cohérence du contrat en fonction des cas d’espèce.

Le raisonnement de la Cour était que « l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties étant impossible… était ainsi constaté le défaut de toute contrepartie réelle à l’obligation de payer le prix ». Il en résultait un transfert d’une partie du risque contractuel du prestataire au client. Au moment de la formation du contrat, le client devait en effet se préoccuper de la viabilité économique du contrat du point de vue de l’entreprise avec laquelle il contractait. Compte tenu des déséquilibres engendrés, la Cour de cassation revint néanmoins de manière circonstanciée sur cette position dans un arrêt du 27 mars 2007 dans lequel elle considéra finalement que le prestataire devait supporter le risque économique du contrat lorsqu’il l’avait mal évalué par manque de clairvoyance.

Afin de sortir des incertitudes juridiques résultant de ces évolutions, le projet de réforme fait œuvre majeure en supprimant formellement, dans son article 1128 la cause comme condition de validité du contrat. C’est toutefois sans compter le maintien de la prise en considération de ses éléments constitutifs. L’article 1162 introduit en effet la notion de but du contrat qui ne peut déroger à l’ordre public. Dans la même veine, l’article 1163 introduit la notion d’objet du contrat. Quant au titre de la sous-section du projet qui les régit, il s’intitule « le contenu du contrat » dont le caractère abstrait peut également générer de l’incertitude juridique.

2) Le retour en force du principe de bonne foi et ses prolongements

Jusqu’à présent, le principe de bonne foi n’était pas explicitement énoncé dans le Code civil en tant que principe directeur du droit des contrats. Le champ d’application du principe de bonne foi se limitait alors au seul domaine de l’exécution du contrat de l’article 1134 qui édicte que les conventions « doivent être exécutées de bonne foi ». De leur côté, les textes européens précisent que le principe de bonne foi ne peut être écarté par la convention des parties. Enfin, dans un certain nombre d’arrêts de principe, la jurisprudence française en tira quelques décisions visant principalement à limiter l’intervention du juge dans l’exécution du contrat sur le fondement de la bonne foi.

Dorénavant, avec l’article 1104 al. 1 du projet de réforme, « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ». Sur le fond, cette extension du principe de bonne foi au domaine de la formation du contrat vise à tempérer l’exercice de la volonté et de la liberté contractuelles dans la conduite des opérations de négociation. Afin de souligner la force juridique de la disposition, l’alinéa 2 de l’article 1102 précise en outre que la disposition est d’ordre public. Enfin, l’extension du principe de la bonne foi au domaine de la formation du contrat se trouve consolidée par l’article 1112 du projet qui édicte que si « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ». La sanction en étant la nullité.

Dans le prolongement de l’impératif de bonne foi et en tant que corollaire, une obligation précontractuelle d’information du cocontractant est imposée à l’article 1112-1 sous peine d’annulation du contrat dans les conditions prévues aux cas de vice du consentement de l’article 1131 du projet. Ainsi en est-il tout particulièrement lorsque l’information en question de « lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties » excepté lorsque cette information porte sur « la valeur de la prestation ». Ceci concerne notamment les relations entre professionnel, d’une part et non professionnel ou consommateur.

L’article 1112-1 édicte à tous ces égards que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant… Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie ». A rebours, l’article 1112-2 du projet de réforme instaure une protection particulière de la confidentialité des informations divulguées à l’occasion de la négociation d’un contrat ainsi qu’une sanction de la violation du secret des affaires. Cet article dispose que celui qui « utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun ».

3) Vices du consentement et violence économique

Les vices du consentement de longue date répertoriés sont la lésion, l’erreur, le dol et la violence. Dans la nouvelle mouture du projet, la lésion a tout d’abord disparu. Cette nouvelle mouture reprend par ailleurs une grande partie des avancées de la jurisprudence en ces différentes matières. C’est le cas de la distinction entre erreur de droit et erreur de fait ainsi qu’en matière d’erreur sur les motifs, de dol du tiers et de réticence dolosive.

Concernant le domaine de la violence, l’article 1140 du projet édicte qu’ « il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable ». L’article 1141 précise que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence » tout en validant la qualification pour les cas où « la voie de droit est détournée de son but ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif ». Vient s’y ajouter l’introduction des notions d’abus de faiblesse, de dépendance économique et de violence économique.

Cette dernière introduction constitue, à la demande expresse du législateur, une des innovations majeures du projet de réforme. Elle vise à offrir une protection particulière à la partie faible dans la relation contractuelle. Dans une décision du 3 avril 2002, la jurisprudence avait déjà dégagé la notion d’exploitation abusive par dépendance économique dans les relations professionnelles en droit des affaires.
De son côté, le droit législatif français était néanmoins resté silencieux sur le sujet contrairement à nombre de droits européens. L’article 1143 du projet vient donc combler cette lacune. Il édicte qu ‘« il y a également violence lorsqu’une partie abuse de l’état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie pour obtenir un engagement que celle-ci n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de faiblesse ». La sanction fixée par l’article 1142 en est la nullité que « la violence… ait été exercée par une partie ou par un tiers ». Il s’agit d’une nullité relative dont il appartient au juge de fixer le périmètre.

Par extension, le projet de réforme ne semble pas se limiter aux seules situations de dépendance économique. Il est en effet probable qu’il appréhende l’ensemble des situations d’abus de faiblesse économique dans le champ contractuel. Dans ce cas, il appartiendra au juge de déterminer le standard du faible en droit des contrats à raison notamment de la situation des parties selon qu’elles sont professionnelles, simples particuliers, consommateurs, salariés ou emprunteurs non professionnels. Il devrait en résulter une définition jurisprudentielle du point de rupture entre l’usage légitime d’une position de force et l’exploitation abusive d’une situation de faiblesse.

Il est toutefois considéré que le recours à la notion de vulnérabilité ne doit pas devenir une arme dans les relations d’affaires. Tel serait le cas si le recours à la situation de dépendance avait pour effet de permettre aux parties d’échapper abusivement à leurs obligations contractuelles. De ce point de vue, le projet de réforme n’a pas voulu ériger l’abus de vulnérabilité économique en un quatrième vice du consentement. Elle l’a en effet maintenu intégré dans la notion de violence en tant que vice du consentement, ce qui en atténue la portée. De même convient-il d’en avoir une définition stricte. Le dispositif ne vaut que pour les situations manifestes et extrêmes. L’article L 1141 du projet parle également d’avantage manifestement excessif.

4) Force majeure et théorie de l’imprévision dans le nouveau droit civil des contrats

Le droit civil français connaît de longue date la force majeure. L’article 1148 du Code civil dispose en matière contractuelle qu’ « il n’y a lieu à aucun dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il est obligé, ou a fait ce qui lui est interdit ». De son côté, la jurisprudence s’est par ailleurs attachée à définir de manière plus précise le périmètre et le contenu de la notion. C’est cet apport jurisprudentiel que le projet de réforme a synthétisé dans un article 1218 consolidé par un article 1351.

Cet article 1218 dispose qu’ « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Dans son second alinéa, il introduit une distinction selon que l’empêchement d’exécuter l’obligation est temporaire ou définitif. Dans le premier cas, l’exécution du contrat n’est que « suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ». Dans le second cas, « le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations… ». En complément, l’article 1351 en précise les modalités en édictant que « l’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure ».

Il ressort des autres éléments de la définition que la prise en compte de l’imprévisibilité de l’événement générateur de force majeure est conditionnée au fait que le changement de circonstance qu’elle induit rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour les parties. Par ailleurs, dans la mesure où l’événement échappe au contrôle du débiteur, il s’agit d’un événement extérieur juridiquement autonome dont l’imprévisibilité s’évalue à la date de conclusion du contrat.
Le principe de l’inévitabilité de l’évènement y est entendu comme la situation dans laquelle les effets de l’évènement « ne peuvent être évités par des mesures appropriées » du débiteur. Ce principe renvoie donc au comportement du débiteur avant et au moment des faits ainsi qu’à l’éventuelle obligation de diligence qu’il doit pouvoir manifester en la matière. Au titre de l’article 1218-2, il en résulte que le débiteur qui est exonéré de sa responsabilité de non-exécution du contrat ne peut être condamné à des dommages-intérêts.

Enfin, le contrat est simplement réduit « à due concurrence » lorsqu’il n’y a qu’inexécution partielle. Dans ce cas, peut également jouer l’article 1223-1 du projet selon lequel « le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix ». Enfin, la résolution de plein droit de l’accord devient le droit commun et s’oppose au primat de la résolution judiciaire pour inexécution de l’article 1184 du Code civil. En la matière, l’article 1224 du projet dispose en effet que « la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice ».

II) L’évolution des équilibres juridiques au sein du droit civil des contrats

En-deçà des innovations majeures du projet, l’apport de la réforme du droit des contrats réside dans un certain nombre de rééquilibrages juridiques. Afin de contrebalancer le poids des contrats spéciaux, le projet de réforme vise tout d’abord à rééquilibrer l’ensemble de la matière au profit de la théorie générale du droit des contrats. Viennent s’y ajouter les rééquilibrages des rapports entre consensualisme et unilatéralisme, d’une part, et sécurité contractuelle et interventionnisme judiciaire, d’autre part.
Enfin, le projet tente d’aligner les régimes des cessions de dettes et de contrat sur celui de la cession de créance. Pour des raisons évidentes qui tiennent à la prégnance du consensualisme dans les deux derniers cas, elle n’y parvient qu’imparfaitement.

1) La revitalisation du droit général des contrats

Pendant les dernières décennies, l’évolution du droit des contrats a vécu au rythme du développement des droits spéciaux. Il s’agit des contrats spéciaux, d’une part, ou du des droits de la consommation et de la concurrence, d’autre part. Avec cette réforme du droit des contrats, l’heure est donc au retour à la théorie générale des contrats qu’il s’agit d’actualiser par rapport à ce qu’elle était en 1804.
Il en résulte la codification de l’œuvre déterminante de la jurisprudence sur deux siècles ainsi que l’intégration d’un certain nombre de principes nouveaux qui puisent leurs sources dans le développement de ces droits spéciaux. Il en résulte également, sous réserve des interprétations jurisprudentielles ultérieures, que l’ensemble n’est déjà plus sans effet sur l’évolution à venir de l’équilibre des intérêts au contrat.

L’œuvre de modernisation et de rénovation modifie une partie des équilibres juridiques du droit général des contrats. Ainsi, le principe du caractère consensualiste du droit des contrats est-il clairement réaffirmé au regard de considérations d’ordre public très présentes dans le domaine des droits spéciaux. On y retrouve ainsi, en préliminaire, des références explicites à la liberté contractuelle et à la force obligatoire du contrat. Au-delà, la philosophie du projet n’en est pas moins orientée par le souci des équilibres contractuels et des contreparties que cet objectif requiert.
Ainsi en est-il de la limitation de l’interdiction des clauses abusives de l’article 1171 nouveau au domaine des contrats d’adhésion. De même qu’en est-il la clause contractuelle permettant d’assumer le risque d’imprévision en contrepartie de la prise en compte de ce denier dans le Code civil. Pareil en ce qui concerne l’obligation de motiver sa décision qui pèse sur le contractant faisant jouer son pouvoir unilatéral de résiliation du contrat ou de détermination d’un prix.

L’évolution des équilibres juridiques qui affectent aujourd’hui le droit général des contrats n’est enfin pas sans générer des incertitudes et insécurité juridiques en raison des silences du texte de projet de réforme et du fait de la souplesse des formulations en vue de l’adaptabilité des règles à un large éventail de situations.

2) Consensualisme contractuel et unilatéralisme juridique

Dans un article 1101, le projet de réforme précise que « le contrat est un accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ». Dans son article 1172, il dispose par ailleurs que « les contrats sont par principe consensuels » et donc libre de tout formalisme. Les différentes formes de contrat sont alors : « le seul échange de consentement quel qu’en soit le mode d’expression » pour ce qui est du contrat consensuel - les formes « déterminées par la loi » en matière de contrat solennel - la « validité… subordonnée à la remise d’une chose » pour ce qui est du contrat réel. Ces mêmes contrats sont enfin précisés comme étant : synallagmatique ou unilatéral - commutatif - à titres onéreux ou gratuit - de gré à gré - aléatoire - cadre ou d’adhésion - à exécutions instantanée ou successive.

Le projet de réforme introduit également une quasi-définition de la liberté contractuelle. L’article 1102 dispose en effet que « chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi ». Pour mieux marquer cette limite, son alinéa 2 précise néanmoins que « la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ». Enfin, le projet innove surtout en ce qu’il introduit dans le Code civil respectivement un nouveau dispositif sur la promesse de contracter et l’institution du pacte de préférence. Dans le premier cas, le projet de réforme rompt avec la jurisprudence Cruz de 1993 selon laquelle la rétractation anticipée du promettant faisait obstacle à la formation du contrat promis.

Avec l’article 1124-2, c’est aujourd’hui l’inverse qui est la norme. Dans une logique volontairement contractualiste, la rétractation anticipée « n’empêche pas la formation du contrat promis ». Sur le fondement de l’article 1121, la sanction en est l’exécution forcée en nature du contrat. Dans le prolongement, le projet de réforme protège le bénéficiaire d’une promesse de contrat contre les agissements des tiers. Enfin, dès lors qu’il s’avère que le tiers est de mauvaise foi, « le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul » ( art. 1124-3).

L’article 1123 du projet introduit par ailleurs dans le Code civil l’institution du pacte de préférence tiré d’un arrêt de chambre mixte de 2006. Le pacte de préférence y est décrit comme étant « le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter. En cas de dédit, le bénéficiaire du pacte peut agir respectivement en nullité du contrat formé avec un tiers et en substitution dans les droits de ce tiers ».
Deux éléments viennent se greffer à cette dernière définition. D’une part, il appartient au bénéficiaire d’apporter la preuve de l’existence du pacte ainsi que de son intention de s’en prévaloir. D’autre part, pour consolider le régime de la preuve et borner l’action du bénéficiaire du pacte de référence, le même article introduit un principe d’action interrogatoire par laquelle le tiers peut demander au bénéficiaire confirmation écrite dans un délai raisonnable de son intention de contracter à peine de perdre tout droit d’action contre ce même tiers.

La recherche de l’équilibre du contrat est garantie dans le projet de réforme au moyen de deux dispositions. Dans le droit antérieur, pour contrecarrer un déséquilibre significatif entre droits et obligations des parties au contrat, il convenait de passer par la notion juridique incertaine d’absence partielle de cause. Dans le prolongement de l’arrêt Point-club Video, l’article 1169 dispose également aujourd’hui que « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». Dans le prolongement de l’arrêt Chronopost, l’article 1170 dispose que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

Le projet rééquilibre également le domaine de l’interprétation du contrat en supprimant l’article 1162 du Code civil qui disposait que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation ». Il le remplace par un article 1188 qui édicte que « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties… lorsque cette intention ne peut être décelée… selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation ».

Enfin, le projet de réforme encadre plus strictement la pratique de l’unilatéralisme en droit civil des contrats. Il le fait en réaffirmant la dimension consensuelle du régime des promesses unilatérales en cas de dédit. De même en est-il en matière de fixation du prix. Dans le régime jurisprudentiel de 1995, le prix pouvait être unilatéralement fixé sans que la validité du contrat en soit affectée. Désormais, le principe redevient la fixation bilatérale du prix, la fixation unilatérale n’étant plus que l’exception cantonnée au seul contrat-cadre.

A rebours de cette tendance au rééquilibrage, le projet de réforme assoie la figure du contrat d’adhésion qu’il définit comme étant celui dont les conditions générales n’ont pas été négociées mais déterminées à l’avance par un seul des contractants. Il s’agit donc d’une tout autre philosophie du contrat que celle défendue tout au long de ce projet. La notion est particulièrement prégnante concernant les contrats de distribution avec clause d’exclusivité.

3) L’impératif de sécurité contractuelle et l’étendue des pouvoirs du juge

La sécurité juridique du contrat est pour partie l’autre impératif du projet de réforme. Son article 1221 consacre tout d’abord le principe de l’exécution forcée en nature du contrat dont la limite ultime est l’impossibilité d’exécution ainsi que la « disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ».

L’impératif de sécurité des contractants se retrouve en matière de durée du contrat. Afin de préserver le principe de l’autonomie de la volonté au contrat, l’article 1210 consacre celui de la prohibition du contrat perpétuel sans pour autant le définir précisément. Par ailleurs, son article 1211 consacre le principe de la liberté de mettre fin au contrat à durée indéterminée. Il introduit enfin une sécurité juridique maximale en matière de contrat à durée déterminée au moyen de l’obligation de l’exécuter jusqu’à son terme au besoin par l’exécution forcée. L’impératif de sécurité contractuelle prend également la forme d’une couverture juridique de l’ensemble du cycle contractuel. Pour ce faire, le projet de réforme organise les règles régissant l’ensemble de la phase précontractuelle.

L’intervention du juge dans le contrat est par ailleurs susceptible de remettre en cause l’exercice de la volonté des parties au contrat et de restreindre, en aval, le domaine de la liberté contractuelle. Pour cette raison, l’intervention judiciaire est parfois présentée comme un facteur d’incertitude. En matière de sanction de l’inexécution du contrat, l’article 1224 du projet de réforme intervertit donc les mécanismes de résolution en érigeant en principe général du droit la clause résolutoire et en rétrogradant au niveau résiduel le domaine de la résolution judiciaire. Dans le même temps, l’intervention du juge est, dans un certain nombre de circonstances limites, de nature à sauver le contrat ou à le faire perdurer. C’est particulièrement le cas en matière d’imprévisibilité, de détermination du prix ou de régime des clauses abusives.

En matière d’imprévisibilité et de flexibilisation du droit contractuel de longue durée, la procédure de recours au juge cherche également à conserver l’assise consensuelle du contrat. Il s’agit donc d’un mécanisme en 3 temps. La partie désavantagée par le changement de circonstance fait tout d’abord une demande de renégociation à son cocontractant. En cas de refus ou d’échec, les deux parties peuvent, d’un commun accord, demander au juge d’adapter le contrat. Ce n’est donc qu’en cas d’absence d’accord qu’il peut y avoir recours unilatéral au juge en vue de réviser le contrat ou d’y mettre fin aux conditions fixées par lui. Pendant ce temps, les parties continuent à exécuter leurs obligations.

Pour finir, trois domaines de la réforme ne semblent pas, en la matière, avoir atteint ici l’objectif de sécurité juridique initialement recherché. Il s’agit, d’une part, du recours au juge pour la fixation du prix lorsque l’unilatéralisme organisé par les articles 1164 et 1165 du projet donne lieu à des clauses abusives. Il s’agit, d’autre part, du rôle que joue le juge en matière d’évaluation du domaine des clauses contractuelles abusives introduites dans le Code civil par l’article 1169 du projet. Ceci concerne notamment les relations contractuelles entre professionnel et non-professionnel ainsi qu’entre professionnels d’inégale puissance. En matière de clause abusive, le rôle du juge se trouve en effet renforcé du fait que l’article 1169 érige le primat judiciaire au rang de principe général de droit.

Enfin, le développement de la catégorie des standards juridiques dans le projet de réforme ouvre grande la porte à l’immixtion du juge dans la relation contractuelle. La part d’indéterminé juridique qui en résulte prend assise sur la prolifération des notions relatives dans le texte du projet de réforme. Ainsi en est-il lorsque le juge doit circonscrire le domaine de la bonne foi ou juger des « conditions normales » de contractualisation, des « déséquilibres significatifs » et de la « disproportion manifeste » susceptibles d’exister au sein de la relation contractuelle. Ainsi en est-il notamment en matière de fixation unilatérale du prix. De même est-il en raison du recours fréquent à la notion de « raisonnable » en matière de délais contractuels, d’évaluation des qualités personnelles des individus ou de détermination des coûts d’une exécution de contrat.

4) Régime des cessions : l’impossible alignement de la dette sur la créance

Pour innovant qu’il soit, le principe de la cession de dettes dégagé par le projet de réforme s’inscrit dans le prolongement des avancées juridiques qui ont déjà caractérisé le statut de la cession de créance. A cet égard, la question s’inscrit dans l’aboutissement d’un processus d’objectivisation et de patrimonialisation des rapports entre débiteur et créancier au détriment du lien personnel qui les unisse traditionnellement.

Pour ce qui la concerne en propre, la cession de créance est l’opération juridique par laquelle un créancier, le cédant, transfère à un cessionnaire sa créance contre son débiteur, appelé débiteur cédé. Si les créances sont des biens ayant une valeur marchande, la cession de créance apparaît alors comme une forme particulière de vente. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle est traitée par le Code civil. Dans ce cas, la vente peut avoir pour objet une créance échue ou encore une créance à échoir.

Bien que la créance puisse être assimilable à un bien, la cession de créance ne s’en inscrit pas moins dans le cadre d’une opération qui reste triangulaire. L’article 1690-1 précise que « le cessionnaire n’est saisie à l’égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur ». Surtout, l’article 1693 dispose que « celui qui vend une créance ou un autre droit incorporel, doit en garantir l’existence au temps du transport, quoiqu’il soit fait sans garantie ». Il est complété par un article 1694 qui édicte que le cédant « ne répond de la solvabilité du débiteur que lorsqu’il s’y est engagé, et jusqu’à concurrence seulement du prix qu’il a tiré de la créance ». Cette garantie ne s’entend par ailleurs que pour « la solvabilité actuelle du débiteur, et ne s’étend pas au temps à venir, si le cédant ne l’a pas expressément stipulé » (Civ. Art. 1695).

La question du statut juridique de droits réel ou personnel se pose a fortiori en ce qui concerne le domaine de la cession de dettes. Il en est ainsi parce que l’intuitu personae joue un rôle essentiel dans la cession de dettes. Du point de vue du créancier, la personne du débiteur, ses qualités, ses activités et son patrimoine sont en effet autant d’éléments déterminants à la formation de la créance. Il en est ainsi parce que la créance contre un débiteur a une valeur en soi tandis que la dette ne vaut que par la situation du débiteur. C’est donc la nécessité du lien personnel entre débiteur et créancier qui permet de transcrire cette situation. Dès lors, rien ne permet d’envisager la possibilité de cession de dettes sans l’accord du créancier. Pour ce faire, le nouvel article 1327 stipule qu’« un débiteur peut, avec l’accord du créancier, céder sa dette ». Contrairement à ce qu’il en est en matière de cession de créance, il ne prévoit donc pas d’exemption au principe du consentement du créancier.

Dans le prolongement, les articles nouveaux 1216 et suivants fixent de manière relativement précise le régime de la cession conventionnelle de contrat qui n’est toutefois pas ignoré du droit positif. Il en résulte, à peine de nullité, une obligation de constater la cession en forme solennelle par un écrit. A l’inverse de ce qu’il en est pour la créance et plus encore que pour la cession de dettes, le fondement de la cession de contrat est pleinement consensuel. Il en résulte l’impérative obligation de l’accord du cédé. Cet accord peut faire l’objet du contrat d’origine tout en portant sur un cessionnaire encore inconnu. Dans ce cas, la cession ne libèrera le cédant de ses obligations contractuelles qu’avec le consentement express du cédé.

François Campagnola Juriste d'entreprise