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Données personnelles et Big Data : nouveaux enjeux pour le droit de la concurrence. Par Valérian Bonnard, étudiant, et Florence Bonnet, CIL.
Parution : mardi 17 mai 2016
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L’autorité de la concurrence française et le Bundeskartellamnt allemand ont récemment publié une étude sur les enjeux liés à la protection des données à l’ère des Big Data. Le rapport met en lumière le nécessaire rapprochement entre le droit de la concurrence et le droit à la vie privée, et invite les autorités nationales de la concurrence des États membres à tenir compte de la protection des données personnelles pour l’avenir.

Évolution des relations entre droit de la concurrence et protection des données

Historiquement et à plusieurs reprises, la Cour de justice des Communautés européennes comme la Commission européenne ont été amenées à rappeler la séparation entre ces deux droits.
Ainsi, lorsque la Commission a entériné la fusion-acquisition de WhatsApp par Facebook [1], a-t-elle également rappelé que les préoccupations concernant la protection de la vie privée n’entraient pas dans le périmètre du droit européen de la concurrence mais relevait de la réglementation de protection des données personnelles.

Mais en 2014, la décision rendue par l’autorité française [2] marque un tournant. Sanctionnée pour abus de position dominante, la société GDF Suez s’est vue contrainte de permettre l’accès à ses bases de données clients à ses concurrents. Cette décision ne fut pas sans soulever des difficultés éthiques et juridiques quant au respect de règles relatives à l’information et au consentement des personnes, ou à la légitimité de cet accès.

Plus récemment (le 2 mars 2016), le Bundeskartellamnt a lancé une procédure contre Facebook visant à déterminer si la validation des conditions générales de Facebook par laquelle l’utilisateur consent à l’utilisation des données personnelles les concernant peut être associé à un abus de position dominante du célèbre réseau social.
A ce titre et selon la jurisprudence nationale, la présidente de l’autorité allemande rappelle que « les sociétés leaders sont sujettes à des obligations spécifiques telles que la mise en place de conditions générales adéquates d’autant plus si elles sont représentatives du marché » [3]. Dès lors que le modèle économique des réseaux sociaux repose sur l’utilisation des données personnelles, les consommateurs doivent être suffisamment informés sur le type et sur le volume des données collectées.

Dans son analyse, l’autorité prendra aussi en compte la difficulté qu’éprouvent les utilisateurs à comprendre et à visualiser la portée du contrat qu’ils acceptent lors de la création de leur compte. L’autorité allemande estime que si le lien entre une position dominante et cette pratique contractuelle était établi, les conditions générales pourraient être qualifiées de pratique restrictive de concurrence. De plus, le Bundeskartellamnt indique vouloir travailler en collaboration avec des « Data Protection Officers », des associations de consommateurs mais aussi avec la Commission européenne et les différentes autorités nationales de la concurrence, au cours de cette procédure.

Vigilance vis-à-vis des traitements de données personnelles

L’étude des autorités de la concurrence décrit les multiples interactions entre Big Data, données personnelles et droit de la concurrence, et défend l’idée que les données, pourraient devenir le nouvel instrument de domination du marché.

Les autorités rappellent que, dans certains cas, des obligations légales issues d’autres branches de droit peuvent être assimilées à des éléments de contexte permettant d’évaluer la situation au regard du droit de la concurrence. Compte tenu de la place prise par les données dans l’économie, il est donc nécessaire et naturel de mettre en perspective le droit de la concurrence et les droits et libertés des individus au titre desquels figure la protection des données personnelles,

L’étude invite enfin à prendre en compte les politiques d’utilisation des données personnelles mises en place par les acteurs économiques lorsque celles-ci sont susceptibles d’impacter significativement les rapports de concurrence sur un marché, particulièrement en situation de position dominante lorsque le modèle économique repose sur l’utilisation de ces données.

La donnée personnelle au cœur des enjeux du droit de la concurrence

Dans le contexte des Big Data, les données personnelles sont source de puissance et de domination du marché. Il est donc urgent d’en réguler l’accès, l’utilisation et la valorisation pour garantir le libre jeu de la concurrence. Afin de s’y retrouver face à diversité des acteurs fournissant un produit ou un service « gratuit » tout en basant leur modèle économique sur la captation de données, les autorités de la concurrence préconisent d’intégrer les spécificités des marchés numériques aux études de cas, telles que l’effet réseau, le dynamisme du marché, le multi-homing [4]. Elles préconisent l’adoption d’une vision « data-centric » en ne tenant plus seulement compte du prix, mais aussi du volume, des conditions et de la qualité des données collectées. Les deux autorités estiment qu’aujourd’hui et plus encore demain, l’analyse des rapports de concurrence doit impliquer la prise en compte du sort des données personnelles.

Ainsi le profilage pourrait rapidement devenir un sujet d’actualité dans le cas par exemple où il aboutirait à une discrimination par les prix, pratique incriminée par le droit de la concurrence, mais aussi lors de fusion-acquisitions de sociétés avec consolidation de bases de données personnelles, en raison de l’importante perturbation du libre jeu de la concurrence que cela pourrait causer.

A l’instar de nombreuses autres réglementations impactées par les règles de protection des données, le droit de la concurrence est donc amené à poursuivre son évolution afin de tenir compte de la place qu’occupent désormais les traitements de données dans l’économie de marché.

Etudiant en Master 2 Droit des TIC à Lille II, stagiaire chez @CILCONSULTING

[1Commission Européenne, 3 octobre 2014, Décision M.7217 – Facebook/ WhatsApp, point 164.

[2Autorité de la concurrence française, 9 septembre 2014, décision n° 14-MC-02.

[3Cour de Justice Fédérale Allemande, 16 Novembre 2013, KZR 61/11, point 54.

[4Phénomène décrivant l’attitude des consommateurs qui usent de plusieurs prestataires différents pour un même type de

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