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Jurisprudence récente sur l’année Lombarde. Par Yann Gré, Avocat.
Parution : mardi 31 mai 2016
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Certaines banques ont pris l’habitude de calculer les intérêts de leurs prêts sur la base d’une année fictive de 360 jours.

Cette pratique est cependant condamnée par la jurisprudence, qui semble désormais s’unifier en faveur des emprunteurs.

De nombreuses banques calculent les intérêts des prêts qu’elles consentent à leurs clients sur la base d’une année fictive de 360 jours, et non sur la base de l’année civile, composée de 365 jours ou de 366 jours les années bissextiles, comme c’est le cas en 2016.

Il s’agit d’une pratique très ancienne, développée au Moyen Âge par des banquiers installés au nord de l’Italie. En raison de son origine, cette année bancaire fictive est appelé année « Lombarde ».

Cette pratique, encore largement répandue, est désormais condamnée par les tribunaux.

A/ La position de principe de la Cour de cassation :

Par un arrêt en date du 19 juin 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 12-16.651) a jugé que « le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile ».

Selon cette décision, lorsque les intérêts sont calculés sur 360 jours au lieu d’être calculés sur l’année civile, la nullité de la clause d’intérêt doit être prononcée et les intérêts au taux contractuel doivent être remplacés par des intérêts au taux légal.

Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt de la première chambre civile de cette même Cour en date du 17 juin 2015 (pourvoi n°14-14326) qui a précisé que « le taux conventionnel doit, comme le taux effectif global, être calculé sur la base de l’année civile dans tout acte de prêt consenti à un consommateur ou à un non professionnel  ».

B/ L’application par le juge du fond :

Par un arrêt en date du 2 avril 2015, la 16ème chambre de la cour d’appel de Versailles (RG N° 13/08484) a prononcé la nullité de la stipulation d’intérêt d’un prêt consenti par le Crédit Lyonnais qui comportait la clause suivante «  les intérêts courus entre deux échéances seront calculés sur la base de 360 jours, chaque mois étant compté pour 30 jours rapportés à 360 jours l’an. En cas de remboursement anticipé, les intérêts courus depuis la dernière échéance seront calculés sur la base du nombre de jours exact de la période écoulée, rapportés à 360 jours l’an. Nous vous précisons que le taux effectif global des prêts est indiqué sur la base du montant exact des intérêts rapporté à 365 jours l’an  ».

La Cour avait précisé qu’un « taux d’intérêt n’étant pas calculé sur une année civile s’il est expressément calculé sur 360 jours, comme tel est le cas en l’espèce, force est de constater par simple application des textes en vigueur, que le taux d’intérêt annuel nominal contractuel n’est pas valablement stipulé au contrat de prêt immobilier  ».

En dépit d’une résistance de certaine tribunaux de grande instance, de multiples décisions récentes, rendues dans toute la France, sont venues confirmer cette jurisprudence :

- Par un arrêt en date du 20 octobre 2015 (RG 14/04878), la cour d’appel de Toulouse a sanctionné la clause d’un contrat de prêt consenti à un consommateur prévoyant que les intérêts sont calculés sur la base d’une année bancaire de 360 jours et d’un mois de 30 jours.

Selon cette décision, en présence d’une telle clause, la banque encourt la déchéance de son droit aux intérêts conventionnels.

Dans cette décision, rendue à l’encontre de la Caisse d’Epargne Midi-Pyrénées, la cour d’appel de Toulouse indique, notamment, ce qui suit :

« Le contrat mentionne explicitement que les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû au taux nominal conventionnel indiqué aux conditions particulières, sur la base d’une année civile de 360 jours et d’un mois de 30 jours.
Aux termes de l’article R 313-1 du Code de la consommation, III. pour toutes les opérations de crédit autres que celles mentionnées au II, le taux effectif global est dénommé ’taux annuel effectif global’ et calculé à terme échu, exprimé pour cent unités monétaires, selon la méthode d’équivalence définie par la formule figurant en annexe au présent article. La durée de la période doit être expressément communiquée à l’emprunteur.
L’annexe ci-dessus visée mentionne : l’écart entre deux dates utilisées pour le calcul est exprimé en années ou en fraction d’années. Une année compte 365 jours ou pour les années bissextiles 366 jours, 52 semaines ou 12 mois normalises. Un mois normalisé compte 30,41666 jours (c’est à dire 365/12), ...
Il en résulte que le taux annuel de l’intérêt doit être déterminé par référence à l’année civile laquelle comporte 365 ou 366 jours et non 360 jours selon l’usage bancaire.
Il en résulte que la convention d’intérêts est irrégulière et que la Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées encourt la déchéance de son droit aux intérêts conventionnels
 ».

- Par un arrêt en date du 12 novembre 2015, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Chambre 8 C, RG 13/12166, époux J C/ Caisse d’Épargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse) a adopté la même position que les cours d’appel de Versailles et Toulouse.

Selon cette décision, la simple présence, sur une offre de prêt, d’une clause indiquant que les intérêts sont calculés sur la base d’une année de 360 jours suffit pour que les intérêts conventionnels soient remplacés par des intérêts au taux légal.

Pour la Cour, une telle clause « méconnaît les dispositions combinées des articles 1907 alinéa 2, L 313-1 et L 313-2 du Code de la consommation dont il résulte que le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur, doit comme le taux effectif global être calculé sur la base de l’année civile, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal ».

Dans l’affaire qui lui était soumise, la cour d’appel d’Aix a sanctionné la banque en la condamnant à rembourser aux emprunteurs la différence entre les intérêts au taux contractuel et les intérêts au taux légal.

Cette procédure concernait deux prêts, l’un comportant la clause suivante : « le calcul des intérêts dus est effectué sur la base d’une année de 360 jours (soit 12 mois de 30 jours) » et l’autre, la clause ci-après : « le taux effectif global est déterminé conformément aux articles L 313-1 et L 313-2 du code de la consommation en tenant compte notamment des primes d’assurance décès invalidité, des frais de dossier et des frais de garantie lorsque ceux-ci sont connus de manière précise antérieurement à la conclusion du contrat. Les intérêts seront calculés sur le montant du capital restant dû aux taux fixé aux conditions particulières sur la base d’une année bancaire de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours ».

- Par jugement en date du 15 avril 2016 (RG n° 14/07072), le tribunal de grande instance de Montpellier a également adopté la même position, en sanctionnant une clause d’un contrat de prêt émanant de la Caisse d’Épargne du Languedoc Roussillon précisant que « durant la phase d’amortissement, les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû, au taux d’intérêt indiqué ci-dessus sur la base d’une année bancaire de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et un mois de 30 jours ».

Le tribunal indique que «  la stipulation concernant le taux conventionnel qui vise une période de 360 jours se trouve frappée de nullité, peu important, comme le soutient la banque que le calcul sur 360 jours soit plus favorable à Madame X, dès lors que la loi sanctionne l’irrégularité formelle affectant la stipulation d’intérêts conventionnels sans subordonner la sanction qu’elle édicte à une incidence défavorable pour l’emprunteur ».

Par trois arrêts successifs, la cour d’appel de Paris a également retenu cette solution :

- Par un arrêt en date du 7 avril 2016 (Pôle 4 Chambre 5, RG 15/23325), rendu dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière, la cour d’appel de Paris a jugé qu’en présence d’une clause indiquant que les intérêts d’un prêt sont calculés sur la base d’une année de 360 jours, la nullité de la stipulation d’intérêts doit être prononcée.

Dans l’affaire qui était soumise à la cour, le contrat de prêt consenti par le Crédit Lyonnais (LCL) à ses clients contenait une clause indiquant, comme dans l’affaire précédemment soumise à la cour de Versailles que « les intérêts courus entre deux échéances seront calculés sur la base de 360 jours, chaque mois étant compté pour 30 jours rapportés à 360 jours l’an. Nous vous précisons que le taux effectif global des prêts est indiqué sur la base du montant exact des intérêts rapportés à 365 jours l’an ».

Cette décision indique, notamment, ce qui suit :

«  Il résulte de l’application combinée des articles 1907, alinéa 2, du code civil, et L.313-1, L.313-2 et R.313-1 du Code de la consommation, que le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile.
...
Ainsi, si l’acte prévoit que le TEG est calculé sur 365 jours conformément aux prescriptions réglementaires, la stipulation concernant le taux conventionnel vise une période de 360 jours, et se trouve ainsi frappée de nullité, peu important que la banque soutienne qu’elle aurait en réalité calculé les intérêts sur la base de 365 jours et non 360, allégation d’ailleurs contredite par les calculs adverses, dès lors que c’est la clause elle-même qui doit être déclarée nulle, emportant substitution de l’intérêt légal
 ».

- Par deux décisions en date du 12 mai 2016 (Pôle 5 Chambre 6, RG 15/00202 et RG 15/01363), une autre chambre de la cour d’appel de Paris a confirmé cette position.

Dans la première de ces deux décisions (RG 15/00202), concernant la Caisse d’Épargne, la Cour a considéré que « la Caisse d’Épargne et de Prévoyance ne peut pas se prévaloir, au regard du caractère d’ordre public des dispositions du Code de la Consommation susvisées, de l’accord des parties sur un intérêt conventionnel calculé sur 360 jours au lieu de 365 ou 366 jours pour une année bissextile  » et que «  la violation de la règle selon laquelle les modalités du calcul de l’intérêt conventionnel doit être fixée par écrit sur la base d’une année civile de 365 ou 366 jours pour les années bissextiles entraîne la nullité de la stipulation de l’intérêt nominal et la substitution du taux légal ».

Dans la seconde décision (RG 15/01363), concernant la Banque Populaire Rives de Paris, la cour indique, de même, que « la Banque Populaire Rives de Paris ne peut pas arguer, au regard du caractère d’ordre public des dispositions du Code de la consommation susvisées, de la mention d’un intérêt conventionnel calculé sur 360 jours au lieu de 365 ou 366 jours pour une année bissextile au prétexte que cela est plus lisible pour les emprunteurs et sans conséquence sur le calcul du taux effectif global ou celui des intérêts  ».

La Cour prononce donc la nullité de la clause d’intérêts en indiquant que la stipulation contractuelle selon laquelle l’intérêt conventionnel est calculé sur une année bancaire de 360 jours est nulle et de nul effet.

Au vu de ces multiples décisions récentes, la jurisprudence semble désormais s’unifier en faveur des emprunteurs concernés par cette pratique bancaire.

Avocat au Barreau du Val de Marne (94) site : http://www.yanngre.com blog : http://yanngre.blogspot.fr
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