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Loi Travail : faut-il s’accrocher aux branches ? Par Magali Baré, Consultante.
Parution : vendredi 24 juin 2016
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Je pourrais vous entretenir longuement sur la question de savoir si l’article 2 de la loi Travail opère réellement un renversement de la hiérarchie des normes et si la supplétivité n’est pas, en réalité, le passage d’une logique combinatoire à une logique de contournement de la hiérarchie des normes puisque la norme s’efface et qu’il n’est même plus question de s’interroger sur le caractère plus favorable ou non d’une mesure. Sujet particulièrement intéressant pour la juriste que je suis.

Rassurez-vous, on me l’a vivement déconseillé !

Il reste heureusement une question qui m’intéresse particulièrement : cette place centrale de l’accord et particulièrement de l’accord d’entreprise, est-elle réellement le remède miracle qui nous est promis ? La primauté de l’accord d’entreprise est-elle vraiment un moyen infaillible pour définir les meilleures règles possibles, au plus près des salariés et pour le plus grand bien de l’entreprise, dans un élan de simplification naturelle des règles qui encadrent la relation de travail ?

Bien sûr, je ne suppose pas que chaque employeur attend fébrilement la possibilité de négocier un accord collectif d’entreprise passant au rabot tous les avantages accordés à ses salariés par leur convention collective. D’ailleurs, la négociation dérogatoire ne passe pas nécessairement par une réduction des droits accordés aux salariés mais peut se traduire par une adaptation plus fine aux réalités opérationnelles.

Néanmoins, cet article 2 ouvre plus largement la possibilité de pouvoir négocier à la baisse au niveau de chaque entreprise et fait craindre des pratiques de dumping social entre entreprises appartenant au même secteur d’activité. Il peut, en effet, être tentant de gagner en performance en revoyant à la baisse certaines règles qui ont une incidence sur le coût du travail.

La fixation d’une règle uniforme pour l’ensemble de la profession par l’accord de branche, le plus souvent étendu, permettait de garantir que les entreprises intervenant sur un même marché appliquent des règles, en partie, comparables en matière sociale.

Désormais, la valeur marchande d’une entreprise pourra reposer, entre autres, sur sa capacité à avoir conclu des accords collectifs moins disant et elle en tirera un avantage concurrentiel si elle répond à des appels d’offre.

A cela, il est répondu que l’accord majoritaire va progressivement être généralisé et que cela garantit la légitimité des accords conclus.

C’est faire peu de cas des situations délicates auxquelles peuvent être confrontés les négociateurs, dont le niveau d’expertise sur ces sujets techniques est variable, face à des entreprises voisines devenues plus compétitives grâce à leurs accords collectifs, ou encore face à un risque de voir procéder aux licenciements de certains de leurs collègues si le texte n’est pas signé.

N’oublions pas que la généralisation du principe majoritaire est accompagnée d’une disposition qui organise dans le même temps son dévoiement. Le texte prévoit la possibilité de contourner l’insuffisance de l’audience électorale des signataires d’un accord collectif en ayant recours à un référendum auprès des salariés. Ce repêchage, non seulement remet en question la légitimité des acteurs de la négociation, mais il semble considérer que la somme des intérêts individuels – exprimée par referendum – serait équivalente à l’intérêt collectif dont les négociateurs sont les représentants.

La conclusion des accords à un niveau plus élevé présenterait l’inconvénient d’avoir des négociateurs plus éloignés du terrain mais aussi moins sensibles à ce type d’argument et elle favorise des négociations prenant en compte l’intérêt de toute la profession. Que diront les salariés d’une entreprise qui sera quasiment contrainte à un alignement par le bas sur un accord conclu dans une entreprise voisine lorsque leur emploi sera en cause ?

L’argument de la simplification laisse songeur. La pratique quotidienne des relations sociales permet de contempler des textes à la qualité rédactionnelle douteuse, non pas en raison d’un manque de compétences de leurs rédacteurs, mais parce que certaines formulations, plus longues et/ou plus tortueuses que les autres permettent d’emporter la signature en mettant tout le monde d’accord mais pas forcément sur la même chose. Il est difficile de soutenir qu’avec ce type de consensus mou, la norme gagne en clarté et en simplicité tant dans sa lecture que dans son application future.

La nouvelle architecture du Code du travail ne paraît pas aussi simple à utiliser que les promoteurs le certifient. Là ou il n’y avait qu’une disposition, il y en aura au moins trois : lorsque l’on s’interrogera sur la règle à appliquer ou sur la latitude consentie à l’accord d’entreprise sur un sujet, il faudra commencer par s’enquérir du principe fondamental correspondant, regarder ensuite s’il existe un accord de branche ou d’entreprise applicable sur le sujet et s’interroger sur le caractère supplétif ou non de l’accord de branche sur les différents points abordés, puis prendre connaissance des dispositions supplétives prévues par le Code du travail si aucun accord collectif n’est conclu.

Si l’on prend l’exemple du travail de nuit, l’accord de branche ne sera que supplétif, sauf pour la fixation du nombre minimal d’heures entraînant la qualification de travailleur de nuit sur une période de référence qui relèvera d’un accord de branche étendu (Art. L. 3122-16). Autre exception, dans les zones touristiques internationales, le futur article L. 3122-19 prévoit qu’ « un accord collectif de branche, de groupe, d’entreprise, d’établissement ou territorial peut prévoir la faculté d’employer des salariés entre 21 heures et minuit ». L’absence de hiérarchisation entre les différents accords possibles laisse penser que si plusieurs accords de niveaux différents sont conclus pour un même périmètre, la règle la plus favorable au salarié serait appliquée. Une analyse minutieuse sera donc nécessaire pour parvenir à déterminer le cadre juridique que l’employeur est tenu de respecter.

Ceux qui auraient encore des doutes sur la simplification attendue sont invités à prendre connaissance des dispositions de la loi relatives à l’articulation entre les différents accords pouvant être conclus dans une entreprise comportant des établissements et/ou faisant partie d’un groupe. Le principe paraît simple : l’articulation entre accord d’entreprise, accord d’établissement et accord de groupe, désormais aligné sur l’accord d’entreprise, va dépendre de la rédaction de ces mêmes accords.

L’accord conclu au niveau de l’établissement est applicable sur ce périmètre, sauf si l’accord d’entreprise décide de s’y substituer. Ce dernier est également applicable, à moins que l’accord de groupe décide qu’il remplace les accords d’entreprise, peu important leur caractère plus ou moins favorable ou leur date de conclusion.

Il n’est pas à exclure que cet enchevêtrement des sources internes de différents niveaux au sein d’un groupe, conclues avec des partenaires sociaux différents et dont le poids électoral peut varier considérablement d’une entité à une autre, non seulement alourdisse la manipulation des dispositions conventionnelles pour les acteurs locaux mais soit difficilement acceptée par le collectif de travail qui se verra substituer un accord conclu à un niveau supérieur à celui qui avait été négocié par ses représentants les plus proches.

Ces dispositions profiteront sans doute aux groupes dotés de services spécialisés en droit du travail qui pourront simplifier leur ingénierie conventionnelle devenue parfois extrêmement complexe au gré des négociations successives et de l’intégration de nouvelles entités. Cela leur sera sans doute utile, sans avoir pour effet de développer massivement un dialogue social déjà bien implanté dans ces grandes entreprises.

En revanche, l’intérêt de ces nouvelles dispositions pour les petites entreprises et les PME ne paraît pas aussi évident alors même qu’elles devaient être les grandes bénéficiaires de cette loi censée leur apporter plus de souplesse et une plus grande stabilité de la norme.

Ces structures ne bénéficient pas du concours d’experts en législation sociale et n’ont pas facilement accès à la négociation collective. Il n’est donc pas certain qu’elles puissent s’emparer de ces nouvelles règles et améliorer ainsi la qualité de leur environnement juridique en le rendant plus stable, plus simple ou mieux adapté à la réalité de leur organisation.

En ce sens, il y a fort à craindre que l’objectif poursuivi ne soit pas atteint.

Magali Baré Consultante Cabinet IDée Consultants www.ideeconsultants.fr