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Brexit, et maintenant ? Par Geoffrey Delepierre, Etudiant.
Parution : lundi 27 juin 2016
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Emphatique, André Siegfried à l’occasion de l’ouverture de son cours Histoire des îles britanniques à la Sorbonne, avertissait ses étudiants : « Messieurs, l’Angleterre est une île ; et je devrais m’arrêter là ». Le sociologue nous rappelait ici que bien que berceau de la démocratie parlementaire moderne, la Grande-Bretagne ne s’est jamais véritablement vécue comme une nation universelle ou continentale, dont le destin se tracerait dans le sillon d’une communauté de destins et de valeurs, fut-elle européenne. Cette singularité insulaire vient à nouveau de s’exprimer à travers le choix d’une majorité du peuple britannique de quitter l’Union européenne et devrait continuer de susciter nombre de commentaires et d’analyses de toutes sortes.

S’il s’agit d’un évènement inédit, il ne tient pas exclusivement cette qualité de son caractère inaugural mais aussi de ce qu’il dit des évolutions récentes de la conception d’appartenance à l’Union. Loin est en effet la considération du professeur Jean Boulouis écrivant en 1997 que « les traités n’envisagent ni l’exclusion, ni le retrait d’États membres. [...] Si l’on doit donc admettre que retrait ou dénonciation semblent juridiquement impossibles, il faut également reconnaître que ce qui s’y oppose réside dans une situation de fait et tient essentiellement au caractère progressivement indissoluble de l’appartenance. Dans ces conditions, l’évocation d’une dénonciation ou d’un retrait ne sont que des moyens de pression politique visant, moins à préparer un départ, qu’à créer des conditions plus favorables à la négociation en vue de l’obtention d’avantages. Et de cela, la pratique fournit en effet plus d’une illustration », [1]. De telle manière qu’il y a encore peu, cette hypothèse paraissait inconcevable si ce n’est subsidiaire, pour ne pas dire sans intérêt.

Aujourd’hui l’épisode du Brexit vient au contraire nous démontrer - de manière spectaculaire - que ce qui n’était encore il y a peu de temps qu’«  (…) une question juridique pour le moins saugrenue (…) est devenue aujourd’hui un élément concret de réflexion » [2].

Ainsi à travers cet article nous nous proposons de présenter modestement le fonctionnement du mécanisme de retrait volontaire de l’Union européenne prévu à l’article 50 TUE, que les Britanniques s’apprêtent à inaugurer, et qui, soyons en certains, ne manquera pas de captiver notre attention dans les mois et les années qui viennent.

I/ L’article 50 TUE, une « mesure en trois temps »

Si le retrait d’un État de l’Union n’est pas à proprement parler une première – l’Algérie en 1962 et le Groenland en 1985 procédèrent à une telle entreprise pour des raisons historiques évidentes et selon des modalités particulières – il n’en demeure pas moins que la procédure de retrait volontaire d’un État-membre de l’Union est aujourd’hui prévue par des dispositions récentes et encore jamais appliquées.

Convenons ainsi de présenter dès à présent, et succinctement, ce mécanisme inédit. Tant l’article 312 CE issu du Traité de Rome que l’article 51 UE du traité de Maastricht prévoyant pourtant respectivement leur durée d’existence – illimitée – excluaient qu’un État signataire puisse s’en retirer. Ce n’est qu’à l’occasion de la rédaction du traité de Lisbonne que la situation d’un retrait du processus européen par un de ses États membres, a été explicitement prévue par les textes européens. Elle est dorénavant encadrée par l’article 50 TUE, aux termes duquel une telle opération se réalise en trois temps :

- L’État exprimant le souhait de quitter l’Union notifie sa décision au Conseil européen, après avoir pris une telle décision conformément à ses règles constitutionnelles.

- A la suite de cette notification, l’État concerné entreprend un processus de négociations avec l’Union avant de conclure un accord fixant les modalités du retrait volontaire. Cet accord est conclu par le Conseil statuant à la majorité qualifiée – selon les dispositions de l’article 218, paragraphe 3 TFUE - au nom de l’Union et après approbation du Parlement européen.

- La cessation de l’application des traités pour l’État concerné intervient à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait, ou à défaut, dans un délai de deux ans après l’édiction de l’accord. Toutefois le Conseil européen et l’État faisant défection peuvent conjointement décider de proroger ce délai.

Notons que les paragraphes 2 et 3 de l’article 50 TUE disposent clairement que le membre du Conseil européen représentant l’État en question ne saurait participer en cette qualité à la procédure de négociation et ne participe donc pas aux délibérations du Conseil.

II/ Que nous dit le Brexit du droit institutionnel de l’Union et du régime juridique de la procédure de retrait ?

Tout d’abord conformément au souhait des rédacteurs du projet de Constitution pour l’Europe puis du Traité de Lisbonne [3], l’existence d’un tel mécanisme entend démontrer la compatibilité du projet européen avec le respect de la souveraineté des États. En effet comme pour la démarche d’adhésion, la procédure de retrait résulte d’une pure expression de volonté de l’État concerné. S’agissant du retrait l’on pourrait même aller jusqu’à parler de décision unilatérale de celui-ci, de telle manière que dans la situation où aucun accord ne serait trouvé durant le processus de négociation, l’État cessera de facto d’appartenir à l’Union à l’issue de deux années faute d’accord. D’autre part, cet exemple porte également une sérieuse atteinte à l’assertion selon laquelle l’Union serait devenue profondément « anti-démocratique », en ce sens que la seule condition absolue au retrait volontaire est que le pays concerné se conforme aux exigences de son dispositif constitutionnel dans l’élaboration de sa décision de retrait.

Néanmoins il convient de souligner qu’il est regrettable que l’intervention de la procédure de retrait n’opère pas la réalisation d’un parallélisme des formes avec la procédure d’adhésion. En effet dans le cadre de la procédure d’adhésion, après information des parlements nationaux et européens, l’État candidat adresse sa candidature au Conseil qui se prononcera après consultation de la Commission et approbation du Parlement (art. 49 TUE). A la suite de cette première phase se met en œuvre un dialogue interétatique au cours duquel les États membres négocient avec le candidat avant la ratification d’un traité d’adhésion.

L’adhésion résulte ainsi d’un strict et long processus organisé en deux phases successives. Or la procédure de retrait est quant à elle bien moins contraignante et bien moins soucieuse des appréciations de chaque État membre, dès lors que dans le cadre d’une négociation la procédure, la phase de négociation est purement européenne en réalisant à la majorité qualifiée au Conseil ; dans le cas d’un échec des négociations le retrait se réalise sans l’accord des États membres. Il n’existe ainsi pas de véritable phase interétatique permettant à chaque État membre de procéder à des négociations avec l’État sur le départ. Ce qui semble être regrettable tant l’absence d’une telle phase - qui en plus de ne pas permettre aux États de contribuer individuellement à l’aménagement du retrait de l’un des leurs dans les meilleures conditions possibles - semble apporter bien moins de valeur à la procédure de retrait qu’à celle d’adhésion, qui ont pourtant toutes deux de lourdes conséquences quant au fonctionnement et à l’avenir de l’Union.

Enfin l’on pourrait presque regretter que le départ de la Grande-Bretagne ne soit pas l’occasion d’éclaircir le sort qui serait fait à l’appartenance à la zone euro (à laquelle elle n’appartient pas) d’un État quittant l’Union. Cette question est d’autant plus opportune qu’il s’agissait de la situation à laquelle nous aurions pu être confrontés dans le pire des scénarios relatif la crise grecque à ses moments les plus dramatiques.
Or à la seule lecture de l’article 50 TUE rien n’indique clairement que l’exercice du droit de retrait par un État lui permettrait de demeurer ou non dans la zone euro. D’ailleurs en 2009, en pleine crise des dettes souveraines, la BCE [4] indiquait que face à une situation de retrait d’un État membre, le maintien de celui-ci dans la zone euro était « possible voire même inévitable », tant l’exigence de stabilité est vitale en ce domaine. Par conséquent faudrait-il explicitement consacrer deux procédures distinctes de retrait, l’une afférant au retrait tel que prévu par le TUE et l’autre afférant au retrait de la zone monétaire ? [5]. Cette hypothèse nous parait pour le moins inopportune, tant elle est par nature contraire aux objectifs et aux principes gouvernant la construction de l’Union, qui ne saurait se constituer durablement « à la carte » - situation qui devrait d’ailleurs significativement se raréfier avec le retrait de la Grande-Bretagne.

Toujours est-il que le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union, pour regrettable qu’il est, sera néanmoins riche d’enseignements tant sur le plan politique que juridique, et ce, au regard des nombreuses questions que devrait poser la procédure de négociation et des clarifications qu’elle apportera quant au régime juridique de l’article 50 TUE.

Pour l’heure l’enclenchement du mécanisme de retrait par la Grande-Bretagne, tend à nous confirmer que les traités européens sont profondément démocratiques et respectueux de la souveraineté des États-membres, dont les concessions de souveraineté ne se justifient qu’en raison de leur volonté de participer au développement d’une communauté durable de valeur(s) et de destin(s) sur le continent européen.

Toutefois malgré les riches enseignements qu’offrira cet évènement à l’observateur et au juriste attentifs, il n’en demeure pas moins qu’il nous faut garder à l’esprit qu’il s’agit ici d’une situation qui aura un impact certain sur l’avenir de l’Union. Sera-t-il de nature à encourager les États membres à renforcer leurs liens avec l’Union vers l’approfondissement, ou au contraire sera-t-il à l’origine d’un processus d’entrainement pour d’autres États tentés par la sortie ? Pour cette dernière hypothèse, rien ne semble être moins sûr.

La situation britannique par rapport à l’Union est, et a toujours été, des plus singulières et des plus « originales » ;

« L’Angleterre est une île » et nous nous arrêterons là.

Geoffrey DELEPIERRE Collaborateur parlementaire. Elève avocat SciencesPo Lille. Faculté de Droit de l\'Université de Lille

[1BOULOUIS , Droit institutionnel de l’Union européenne, Montchrestien 6e ed, 1997, p. 67

[2VILA, "La sortie d’un Etat membre dans le TUE" RTD Eur. 2011, p.273

[3LAURENT, LE CACHEUX, Constitution européenne : l’Union politique dans les limbes" OFCE, 4 juillet 2003

[4Rapport à l’attention de la BCE dirigé par P. Attanassiou : "Withdrawal and expulsion from the EU and EMU", 18 décembre 2009

[5VILA op.cit.

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