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Notre-Dame-des-Landes : quelle réaction de l’Etat suite au référendum ? Par Pierrick Gardien, Avocat.
Parution : mercredi 29 juin 2016
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Les électeurs de Loire-Atlantique ont dit « oui » à 55,17 % au référendum local organisé le dimanche 26 juin 2016 portant sur le transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique à Notre-Dame-des-Landes (NDDL). Dès le résultat connu, le Premier Ministre annonçait la détermination de l’État à appliquer au plut tôt le « verdict des urnes ».

Il apparaît donc intéressant de s’interroger sur les solutions juridiques offertes aujourd’hui à l’État, en lien avec les collectivités territoriales concernées, pour faire avancer le projet, suite au vote des habitants de Loire-Atlantique.

Outre les expropriations, le principal point de blocage résulte de l’occupation de la zone d’aménagement différé (ZAD) de NDDL par plus de deux-cents personnes.

Si l’État répète que l’évacuation du site par la force n’est pas souhaitable (Reuters), il n’aura sans doute pas le luxe du choix, à défaut de départ volontaire des occupants de ce secteur.

Comme l’a rappelé la ministre de l’Écologie début février sur France Inter, cette situation constituerait en effet juridiquement une « occupation sans titre du domaine public ».

En réalité, il y a fort à parier que l’occupation du site de NDDL porte effectivement en grande partie sur le domaine public, mais également sur des parcelles de domaine privé (seule une constatation sur place permettra de s’assurer de la réalité de l’occupation). Cette distinction est importante dans la mesure où, en droit français, la procédure d’expulsion applicable dépend de la qualification juridique (privé / public) du terrain occupé.

Distinguons donc ces deux situations.

1. S’agissant de l’occupation illégale du domaine public à NDDL

L’occupation du domaine public est régie par le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P).

Or l’article L.2122-1 de ce Code prévoit que : « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous ».

Ce principe est d’ordre public, et ne saurait être remis en cause, même dans l’hypothèse où l’occupation du domaine public aurait été tolérée au fil du temps (CE, 23 février 1979, Association les amis de la table ronde, n°04467 ; CAA Paris, 5 avril 2007, n°04PA03088).

Il est indéniable que les 200 personnes auto-proclamées « ZADistes » présentes sur site ne disposent d’aucun titre les habilitant à occuper la zone.

Par voie de conséquences, ces individus doivent être considérés comme des occupants sans titre du domaine public.

Il appartient à l’État de mettre fin sans délai à cette occupation.

Toute personne publique est en effet juridiquement tenue de solliciter l’expulsion de tout occupant sans titre de son domaine public (obligation et non possibilité), sous peine d’engager sa responsabilité (CE, 20 juin 1980, Commune d’Ax-les-Thermes, n°04592 ; CAA Marseille, 23 juillet 1998, Paravisini, n°97MA01853).

En la matière, l’État est donc en situation de compétence liée, et ne dispose pas de pouvoir discrétionnaire (TA Cergy-Pontoise, 19 mars 2001, Société CODIAM, n°100642). Une personne publique ne peut en effet laisser perdurer une illégalité dont elle a connaissance, sous peine de commettre une faute (carence fautive).

Pour faire cesser l’occupation sans titre, l’État doit recourir au juge : il ne peut faire usage seul de l’exécution forcée, sous peine de commettre une voie de fait (on se rappelle l’affaire dite « des paillotes » de Corse en avril 1999).

L’expulsion des occupants sans titre s’opère ainsi par l’intermédiaire du référé-mesures utiles porté devant le juge administratif. L’article L521-3 du Code de justice administrative (CJA) dispose en la matière qu’ : « en cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ».

La mise en œuvre d’une telle action supposera toutefois pour l’État de démontrer, dans le cadre de la requête :

En l’espèce, l’utilité de la mesure ne fait guère de doute.

Par ailleurs, le résultat du référendum de dimanche sera un élément de poids pour démontrer l’absence de contestation sérieuse, même si des recours en appel sont encore à ce jour envisagés par les opposants au projet.

Enfin, la condition d’urgence est traditionnellement appréciée de manière très restrictive par le juge, et pourrait être la plus difficile à remplir en l’espèce. Si l’État choisissait de s’engager dans cette voie, il conviendrait en effet de démontrer l’urgence au titre, le cas échéant :

Ceci supposera donc de disposer d’éléments sérieux à avancer au juge dans une telle action et démontrant l’urgence, pour un projet engagé juridiquement depuis 2008.

Le juge pourra alors, dans les meilleurs délais (Article L511-1 CJA), et, au besoin, sous astreinte (Article L911-3 CJA), ordonner aux occupants sans titre de libérer les lieux (domaine public occupé) s’il considère que les trois conditions sont remplies.

Le concours de la force publique pourra alors, le cas échéant, être requis pour libérer le site.

2. S’agissant de l’occupation illégale du domaine privé à NDDL

Comme en matière d’occupation sans titre du domaine public, l’État (exécutif) ne peut se faire justice seul au nom du principe de séparation des pouvoirs et aura besoin du juge pour libérer les terrains occupés de son domaine privé (le cas échéant).

Il est établi que des relevés d’identité préalables des occupants sont inenvisageables en pratique à NDDL, tant la situation apparaît tendue, ce qui rend sans intérêt les procédures privées de requête à fin de constat, et l’expulsion par voie d’assignation.

Par suite, l’évacuation de terrains du domaine privé occupés illégalement par des personnes non-identifiées s’opère classiquement par l’intermédiaire du juge judiciaire via une requête à fin d’expulsion présentée devant le président du tribunal de grande instance (TGI) du lieu de l’occupation.

L’ordonnance rendue par ce dernier étant exécutoire de plein droit (Article 495 du Code de procédure civile), le concours de la force publique pourra être requis pour obtenir rapidement la libération des lieux après commandement de quitter les lieux signifié par huissier, à défaut d’obtempération des occupants sans titre.

Enfin, la voie pénale pourrait s’envisager dans l’hypothèse d’une violation de domicile avec voie de fait, qui pourrait être caractérisée s’agissant, par exemple, d’occupation illégale de corps de ferme sur site (Article 38 Loi DALO).

Si le chiffre de 1.500 CRS mobilisés sur plusieurs semaines pour reprendre possession de la zone est déjà évoqué (BFMTV), le précédent de l’évacuation de l’occupation illicite du « Barrage de Sivens » incite l’État à la plus grande prudence en la matière.

Pierrick Gardien Avocat Droit Public Barreau de Lyon [->contact@sisyphe-avocats.fr] 07 80 99 23 28 http://www.sisyphe-avocats.fr/ http://twitter.com/avocatpublic