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La lutte contre « la traite des êtres humains » : quelle politique criminelle de l’Union européenne ? Par Ahlem Hannachi, Docteur en droit.
Parution : jeudi 7 juillet 2016
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Le « crime de traite des êtres humains » est considéré comme une entreprise criminelle transnationale et l’une des infractions pénales les plus graves, qui porte atteinte à la dignité et à la liberté des personnes, et qui constitue une violation des Droits de l’homme et une forme moderne d’esclavage. La nouvelle directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 portant sur la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains et la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre du Conseil 2002/629/JAI du Conseil, établit un socle commun de règles minimums dans toute l’Union européenne (UE), relatives à la définition pénale et les sanctions. Elle prévoit également des mesures destinées à une prévention plus efficace de ce phénomène pour renforcer la protection des victimes.

La traite des êtres humains, autrefois appelée « commerce d’esclaves », a longtemps été organisée juridiquement, justifiée par des philosophes éminents, tolérée par les trois grandes religions [1]. Aujourd’hui, tous les systèmes juridiques la réprouvent en tant que violation grave de la dignité humaine. Au cours de l’histoire, une évolution doctrinale eut lieu et aboutit à l’abolition progressive de l’esclavage [2]. Puis, le 14 décembre 2000, le protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée a apporté des précisions à la définition du concept de « traite des êtres humains », jusqu’alors imprécise [3].

Bien que ces textes internationaux aient un caractère peu contraignant, ils ont été le catalyseur d’un mouvement normatif européen. À leur suite, l’Union européenne adopta la décision-cadre 2002/629/JAI du 19 juillet 2002 [4] pour y incorporer certaines clauses du protocole. Aujourd’hui abrogée, la décision- cadre contenait des obligations de nature pénale mais une protection des victimes insuffisante.
Puis le 5 avril 2011, l’Union européenne adopta une nouvelle directive UE n° 2011/36 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes [5]. La directive a une valeur contraignante, puisque les États membres s’exposent désormais à des sanctions en cas de non-respect.

Face à l’évolution tardive du droit de l’Union européenne au regard du droit international, il convient d’analyser dans quelle mesure la directive UE n° 2011/36, qui remplace la décision cadre 2002/629/JAI, en comble les vides juridiques. Puisque le phénomène de la traite des êtres humains se développe au moyen de la criminalité organisée, nous étudierons d’abord l’élaboration du cadre juridique européen contre la traite des êtres humains (I), puis les finalités spécifiques de l’incrimination de la traite par le législateur européen (II).

I. — L’élaboration d’un cadre juridique européen contre la traite des êtres humains

La décision-cadre 2002/629/JAI visait déjà un rapprochement des dispositions de droit pénal des États membres dans le domaine de la traite des êtres humains, en vue d’une politique criminelle unifiée. La décision-cadre 2002/629/JAI et à sa suite la directive UE n° 2011/36 ont fixé : les actes à incriminer et leurs éléments constitutifs pour créer un champ d’application matériel (A) et les conséquences juridiques qui en découlent dans un champ d’application spatial (B).

A – Le champ d’application matériel

Tant la décision-cadre de 2002 que la directive de 2011 visent à protéger la liberté et la dignité de l’être humain dans un contexte mondial d’inégalités économiques et sociales, en vue d’éviter la marchandisation de l’être humain, assimilée à une grave violation des droits de l’homme [6]. Ces deux textes punissent le crime non seulement de l’auteur, mais également de l’instigateur et du complice.

En examinant les conduites à incriminer, on note que les deux textes européens respectent les dispositions internationales incitant les États à sanctionner certains actes. De facto, les États membres doivent sanctionner les conduites typiques comme : le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement, l’accueil des personnes, y compris l’échange ou le transfert du contrôle exercés sur les personnes [7].
Par recrutement s’entend toute conduite réalisée à travers des mesures matérielles ou intellectuelles qui orientent la victime vers des fins incriminées et poursuivies par le sujet actif du crime. Ceci étant, le recrutement peut aussi être entendu comme le fait d’accueillir une personne contre son gré, ce qui sera généralement assimilé à l’action d’un passeur ou d’un hébergeur, d’un transporteur ou d’un transitaire.
Si l’échange ou le transfert du contrôle exercé sur les victimes de la traite vont de paire avec une livraison matérielle de la personne, cela pourrait être inclus dans la vérification des antécédents criminels du transporteur ou du passeur. Toutefois en l’absence de livraison, le transfert matériel n’est pas réglementé. Il s’agira par exemple dans un État membre d’une femme enfermée dans un établissement pour prostitution, qui sera vendue par la suite à un nouveau propriétaire comme un élément de cet établissement, et ce sans jamais en sortir. C’est pourquoi tant la décision-cadre de 2002 que la directive de 2011 incluent le transit et le transport dans le crime de traite comme deux présupposés distincts.

Outre les actes précédemment listés, la directive de 2011 exhorte les États membres à prendre « les mesures nécessaires pour que soit punissable le fait d’inciter à commettre l’une des infractions visées à l’article 2 » [8]. Néanmoins l’acte de tentative est difficile à apprécier tant sa forme est imparfaite dans son exécution. C’est le cas par exemple d’un transfert qui doit se réaliser dans un autobus ou un bateau intercepté avant l’embarquement des personnes victimes de la traite. Mais si le transporteur capture des femmes, le crime sera consommé lors de la découverte de l’activité, bien que la phase postérieure au transport ne soit pas réalisée. Au contraire, si la capture et le transport sont réalisés par des personnes différentes, il n’y a pas de difficulté à sanctionner pour infraction consommée l’agent qui capture et pour tentative le transporteur de la victime de traite [9].

Par ailleurs, les actes à l’encontre de victimes majeures ne peuvent être incriminés que du fait des mesures suivantes : par la menace de recours, ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte [10]. Il s’agit ici de violence physique et psychique sur la personne qui va être l’objet de la traite ; c’est-à-dire, par l’intimidation ou par la menace d’un mal futur ou incertain qui peut retomber sur la victime ou sur ses proches (parents, enfants, frères, conjoints, amis proches, etc.). Il serait plus débattu d’envisager la force exercée sur les choses (par exemple la destruction des maisons, des véhicules appartenant à la victime ou à sa famille). La mention distincte de l’usage de la force sur une chose en ferait une circonstance aggravante à l’encontre des criminels [11].
Concernant l’abus d’autorité, la directive de 2011 remplace le terme d’autorité par celui de pouvoir. Il existe un abus de pouvoir lorsque le sujet actif est un fonctionnaire ou un agent public qui utilise ses fonctions pour commettre le crime. La directive ne le considère pas comme une circonstance aggravante, mais comme une infraction aggravée. Subséquemment, le champ d’application de cette disposition dépend de la compréhension de chaque État membre du concept d’autorité, de même du terme agent ou fonctionnaire public.

Cependant, aucune de ces circonstances aggravantes n’est nécessaire pour incriminer une conduite qui touche les enfants [12]. Par conséquent, la directive de 2011 incrimine la traite en fonction de l’utilisation de mesures spécifiques si elle est commise sur des personnes majeures, et au vu de mesures indéterminées si elle est commise sur des mineurs.
La directive de 2011 exhorte les États à prévoir aussi la responsabilité des personnes morales, mais tout en laissant les États membres libres d’opter pour des mesures administratives ou pénales [13]. Pour incriminer la personne morale du crime de traite, il faudra que ce crime soit commis à son bénéfice, et à condition que la personne physique agisse à titre individuel en tant que membre d’un organe de la personne morale, ou comme exerçant un pouvoir de direction au sein de la personne morale.

La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques ; c’est un fait cumulatif pour la personne morale dont le nom et l’avantage continuent d’agir. Il faut noter également que la décision-cadre et la directive rendent responsables les personnes morales uniquement de l’incrimination de base du crime de traite (« les infractions visées par les articles 2 et 3 »), en négligeant les autres infractions aggravées mentionnées dans l’article 4 [14] qui pourraient ainsi leur être appliquées. Il paraît s’établir un double niveau de responsabilité : plus intense dans le cas des personnes physiques et moins soutenu dans le cas de personnes morales.

En définitive, il convient de noter que, pour que l’infraction soit consommée, il faut que le dommage soit réalisé dans son intégralité, impliquant souvent plusieurs crimes connexes réalisés par différentes personnes de diverses nationalités. Face à la complexité de cette situation, il s’avère primordial de déterminer le champ d’application spatial.

B – Le champ d’application spatial

Le principe de territorialité est déterminé conformément à l’article 10 de la directive de 2011. C’est un principe qui régit l’application spatiale de ce crime et la compétence des tribunaux nationaux. Les tribunaux des États membres sont compétents pour juger les crimes de traite lorsque l’infraction est commise, totalement ou partiellement, sur le territoire d’un État membre. Ce principe est défini comme un axe central de l’application future des législations pénales nationales.

Deux autres principes s’ajoutent à celui de la territorialité :
a) le principe de la personnalité de l’auteur de l’infraction qui serait un ressortissant de l’Union européenne ;
b) le principe de la double incrimination selon lequel, pour punir les ressortissants de l’un des États de l’Union européenne pour les crimes commis à l’étranger quand ces derniers reviennent sur leur territoire national, il est nécessaire que la conduite incriminée soit sanctionnée dans les deux États : celui dans lequel a été commis le crime et l’État de la nationalité de l’infracteur.

Nonobstant, l’article 10 § 3 de la directive de 2011 [15] dispose que les États membres peuvent ne pas soumettre ces crimes à la double incrimination, ni à la déposition antérieure de la victime dans le lieu où le crime a été commis ou à une dénonciation de l’État du lieu où a été commis le crime [16].

Mais, dans le cas où un État membre veut élargir le champ de compétence de ses tribunaux au-delà des critères indiqués [17], il doit le faire connaître à la Commission. Ni la décision-cadre ni la directive, en dépit de la gravité du crime de traite, n’ont considéré approprié d’utiliser le principe d’universalité pour déclarer compétents des tribunaux de tout État pour juger le crime de traite, montrant un manque de préoccupation de l’Union quant à la lutte contre la traite des êtres humains.
Il faut signaler enfin que le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark ne sont pas liés par la présente directive ni par les positions respectives adoptées en relation avec l’espace de liberté, de justice et de sécurité [18].

II. — Les finalités spécifiques de l’incrimination du crime de traite des êtres humains par le législateur européen

Les finalités propres à la lutte contre le crime de traite relèvent de la compétence de l’Union européenne. Il convient d’étudier tout d’abord la partie subjective de l’incrimination (A), puis les délits dérivés par aggravation (B).

A – La partie subjective de l’incrimination

La décision-cadre de 2002 et la directive de 2011 définissent de manière constante l’exploitation sexuelle comme inhérente à l’’exploitation d’une personne. La décision- cadre de 2002 fait allusion dans le second considérant de l’article 1., « à d’autres formes d’exploitation sexuelle », et mentionne spécifiquement les scènes pornographiques ou la production de matériel pornographique réalisé avec le consentement vicié de la victime [19]. La directive de 2011 use d’une formule plus indéterminée qui laisse aux États membres une marge de manœuvre pour inclure des finalités comme les délits d’exhibitionnisme ou de provocation obscène.

Par ailleurs, pour combler les lacunes de la décision-cadre, la directive de 2011 inclut de nouvelles finalités dans la traite des êtres humains, comme celle des prélèvements d’organes, les expérimentations médicales, chirurgicales ou pharmacologiques sans le consentement des victimes.

Quant à la finalité de l’exploitation pour réaliser des activités criminelles, cette dernière constitue une nouveauté qui fut introduite dans le considérant 11 de la directive de 2011. Cette introduction s’explique par la réalité criminelle qui est apparue en Europe avec l’immigration de chefs de bandes étrangers opérant en coordination avec d’autres membres de la bande ou de leur propre famille. Cependant, cette criminalité ne correspond pas à la structure de la traite classique, qui requiert l’absence de consentement ou le consentement vicié de la victime. Les guérilleros d’une bande ou les membres de familles dédiées à la criminalité sont présumés consentants, sauf dans le cas de traite de mineurs telle que l’utilisation d’enfants pour le vol à l’étalage.
Cette finalité plus extensive du considérant 11 n’est pas explicitée dans l’article 2 § 3 de la directive de 2011 qui se réfère exclusivement aux finalités spécifiques à la traite, ce qui pourrait constituer une lacune importante. Par ailleurs, en ce qui concerne la vente d’enfants en vue d’adoption, celle-ci n’est pas expressément prohibée dans l’article 2 § 3 de la directive de 2011, sauf si l’État membre en décide autrement. On peut donc en conclure que les finalités énoncées dans cette disposition constituent une harmonisation a minima.

Enfin le consentement d’une victime de traite n’est pas pris en compte lorsqu’il est obtenu par des moyens indiqués dans l’incrimination de base (violence, intimidation, tromperie…) [20].

B – Les infractions dérivées par aggravation

Les situations aggravantes de l’incrimination de base définies dans la décision-cadre de 2002 sont précisées dans la directive de 2011 et permettent d’être plus sévère dans la sanction. La directive prévoit un concours de circonstances aggravantes quand il s’agit d’« une victime au moins les mineurs particulièrement vulnérable » [21].

Il s’agira par exemple d’une victime de traite cumulant plusieurs causes de vulnérabilité : elle est une étrangère sans abri, ou une femme enceinte sans papiers et résidente illégale, etc. La décision-cadre dans son article 7.2 [22] inclut une interprétation légale sur la vulnérabilité particulière du mineur lorsque son âge est inférieur à celui de la majorité du consentement sexuel selon la législation nationale et quand l’infraction est commise à des fins d’exploitation de la prostitution d’autrui ou en vue d’exercer d’autres formes d’exploitation sexuelle, y compris la pornographie. Ceci fait référence aux mineurs âgés entre treize et seize ans, en fonction de la législation étatique de chaque pays. Le fondement de ces circonstances aggravantes tient à la matérialité de l’infraction [23].

Toutefois, l’article 4 § 2, a, de la directive de 2011 se limite à inclure le terme « traite », sans précision supplémentaire, ce qui implique que toute traite de mineur constitue, quels que soient l’âge du mineur et la finalité poursuivie, une incrimination aggravée. Dans le cas de traite commise dans le cadre d’une organisation, l’organisation est définie comme « […] une association structurée, établie dans le temps, de plus de deux personnes agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions […] » [24]. Dans les législations européennes, la sanction de l’élément de l’organisation s’articule autour de la distinction entre la simple appartenance à l’organisation et un rôle de commande dans celle-ci, ce dernier constituant une circonstance aggravante.

Quant à la mise en danger de la vie de la victime, la décision-cadre et la directive se réfèrent uniquement à la mise en danger grave de la vie de la victime, produite intentionnellement comme en cas de négligence (faute) grave ou de dol direct de premier degré. Il ne serait pas également fondé que les législations nationales incluent comme infraction dérivée par aggravation la commission de la traite causant une dépréciation de la propriété de la victime ou celle d’un tiers étroitement liée à celle-ci (dégâts, dommages, incendies, etc.), à moins qu’elle soit d’une particulière gravité.
Pour la traite perpétrée par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, cette circonstance aggravante n’était pas appliquée par la décision-cadre de 2002.
Néanmoins, cette omission a été corrigée par certaines législations nationales. La directive de 2011 prévoit expressément cette circonstance aggravante et en réduit le champ d’action et la portée, puisqu’il ne suffit pas que le sujet actif soit un fonctionnaire qui se prévaut d’une telle condition, mais il est nécessaire qu’il s’en prévale dans le cadre de sa compétence [25].

Quant aux conséquences juridiques de l’infraction, c’est-à-dire les sanctions, la décision-cadre consacre la punition de la participation au trafic illégal des immigrants, au même titre que la régulation de la traite des êtres humains, en dépit de la plus grande gravité de cette dernière. Pour ces deux incriminations, la sanction de base va jusqu’à huit ans d’emprisonnement, marquant ainsi une plus grande préoccupation de l’Union européenne pour le contrôle des flux migratoires que pour la violation de la dignité humaine causée par la traite. Toutefois, la directive de 2011 réduit la peine de l’incrimination de base à une peine privative de liberté d’une durée maximale d’au moins cinq ans et qui s’élève au moins jusqu’à dix ans de privation de liberté dans le cas des infractions dérivées par aggravation, de sorte que, non seulement elle ne corrige pas l’équation punitive existante entre la traite et l’immigration illégale, mais réduit la peine liée à l’infraction de base de la traite. Donc, le problème s’aggrave en sous-protégeant les victimes de traite.

En ce qui concerne les personnes morales, la décision-cadre invite les États membres à adopter des mesures nécessaires – administratives ou pénales – pour invoquer la responsabilité de la personne morale et pour que cette dernière puisse être passible de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, faisant allusion ainsi aux mêmes principes qui sont établis pour les personnes physiques. Les sanctions prévues peuvent inclure des amendes en guise de peines de substitution.

La décision-cadre contient, en parallèle des peines privatives de droit des personnes physiques, d’autres sanctions telles que les mesures d’exclusion du bénéfice, d’un avantage ou d’une aide publique ; des mesures d’interdiction temporaire ou permanente d’exercer une activité commerciale ; le placement sous surveillance judiciaire ; la mesure judiciaire de dissolution ; la fermeture temporaire ou définitive d’établissements ayant servi à commettre l’infraction [26].

Enfin, conscient de la trame économique qui a donné lieu à la réalisation du crime de traite, l’article 7 de la directive de 2011 mentionne la nécessité pour les États membres de saisir et confisquer les instruments et les produits des infractions visées, utilisés et/ou qui ont procédé à la traite [27]. Concernant les mesures de protection des victimes, il est essentiel d’éviter que les investigations policières et judiciaires génèrent un processus de victimisation secondaire pour les victimes.

De là, la nécessité d’adopter des mesures imminentes pour la protection des victimes [28].
Ces mesures sont guidées par :
a) la nécessité de protéger la vie, l’intégrité physique et la liberté des victimes de la traite pour qu’elles ne soient pas doublement victimes du délit et des représailles que peuvent leur infliger les trafiquants ;
b) le respect de la vie privée et de l’intimité des victimes qui ont été exploitées pour éviter leur marginalisation sociale ;
c) la protection des victimes pour ne pas entraver l’enquête sur l’infraction et surtout ne pas consolider des prédits sur les résultats ultérieurs du processus. Cette dernière garantit la possibilité de succès en cas d’une recherche satisfaisante de preuves et de témoignages.

Parmi ces mesures de protection définies dans la directive de 2011, on retrouve premièrement la sanction d’office (ès qualités) des infractions de traite, permettant à la victime de ne pas exercer elle-même l’action pénale, en laissant le ministère public s’en occuper, garantissant également les conseils et la représentation juridique gratuite. Il s’agit deuxièmement de la protection des victimes à partir d’une perspective de genre et d’attention à la diversité. Puisque la finalité de la traite est différente selon le sexe des victimes (prostitution pour les femmes, travail dans la construction pour les hommes), il est logique que les mesures d’assistance et de soutien soient également adaptées.

À noter qu’a été aussi abrogée la possibilité de désistement de l’action pénale ou l’extinction de la peine contre des victimes ayant été obligées d’exécuter ou de participer à l’exécution de conduites criminelles dans le cadre de la traite.
Enfin, il faut noter que lorsqu’une victime est mineure, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui prime, avec l’adoption de mesures visant à éviter la prescription des crimes de traite commis à leur encontre [29]. Ces dispositions sont complémentaires à celles figurant dans la directive CEE n° 2004/81 qui permettent de solliciter la suspension de l’exécution de l’expulsion et l’octroi des permis de travail et de résidence de 6 caractères exceptionnels aux victimes de traite quand elles dénoncent ou collaborent avec les autorités policières ou judiciaires dans la lutte contre les réseaux organisés.

Pour conclure, la directive de 2011 relative à la traite des êtres humains présente deux aspects fondamentaux et novateurs en relation avec d’autres dispositions antérieures de l’Union européenne.
Tout d’abord, elle fait face au phénomène du trafic des êtres humains non seulement dans une perspective répressive, mais également préventive et protectrice, comme en témoignent les mesures de protection de la victime et de prévention de la traite. Ensuite, elle apporte des solutions d’abord ad intra, exhortant les États membres à coordonner leurs recours et institutions avec ceux de la société civile ; ensuite ad extra, en insistant sur la nécessité d’une coordination et d’une coopération avec les pays tiers dont sont souvent issues les victimes de traite. Toutefois, les peines prévues pour la répression du crime de traite sont notoirement plus faibles que celles prévues pour la répression du trafic illégal des immigrants.

Ahlem Hannachi PhD in international criminal law and criminal policy (Panthéon-Sorbonne University-Paris 1) The master Philosophy Ethics fundamentally (Panthéon-Sorbonne University-Paris 1) Trainee lawyer (Law Office E.Z. Sadeg) - Paris (France) Private Consultant / Auditor\'s Quality -Paris (France -Egypt)

[1T. Jagland (secrétaire général du Conseil de l’Europe), Contre la traite des êtres humains, une prise de conscience européenne, JCP 6 mai 2013. 3, supplément, p. 3.

[2E. David, Éléments de droit pénal international et européen, Bruylant, 2009. 183.

[3Protocole additionnel à la Convention des Nation unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, disponible sur http://www.uncjin.org/Doc u m e n t s / C o n v e n t i o n s / d c a t o c / final_documents_2/convention_ %20traff_french.pdf (consulté le 30 avr. 2014).

[4Décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, 19 juill. 2002, relative à la lutte contre la traite des êtres humains, JOCE, n° L. 203.

[5Dir. UE n° 2011/36 du Parlement européen et du Conseil, 5 avr. 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, JOUE, n° L. 101.

[6L’infraction de traite des êtres humains (ou human trafficking) est considérée en droit international comme un crime contre les droits de l’homme. Idem au sein de l’Union européenne, v. Décision-cadre 2002/629/JAI, 19 juill. 2002, consid. 3 : « La traite des êtres humains constitue une violation grave des droits fondamentaux de la personne et de la dignité humaine […] ».

[7Dir. UE n° 2011/36, art. 2.

[8Dir. UE n° 2011/36, art. 3.

[9V. J. J. Queralt Jiménez, Derecho penal español. Parte especial, éd. Atelier. 2010. 186.

[10Dir. UE n° 2011/36, art. 2 § 1.

[11Il faut noter que la jurisprudence espagnole par exemple admet comme modalité de coercition la force utilisée sur les choses (coupures d’électricité, d’eau, changements de serrures, etc.).

[12Dir. UE n° 2011/36, art. 2 : « 5. Lorsque les actes visés au paragraphe 1 concernent un enfant, ils relèvent de la traite des êtres humains et, à ce titre, sont punissables, même si aucun des moyens visés au paragraphe 1 n’a été utilisé ».

[13Dir. UE n° 2011/36, art. 5 et 9.

[14Dir. UE n° 2011/36, art. 4.

[15Dir. UE n° 2011/36, art. 10 : « 3. Pour les poursuites concernant les infractions visées aux articles 2 et 3 qui ont été commises en dehors du territoire de l’État membre concerné, chaque État membre prend, dans les cas visés au paragraphe 1, point b), et peut prendre, dans les cas visés au paragraphe 2, les mesures nécessaires pour que sa compétence ne soit pas subordonnée à l’une des conditions suivantes : a) l’acte en cause constitue une infraction pénale sur le lieu où il a été commis ; ou b) les poursuites ne puissent être engagées qu’à la suite d’une plainte de la victime faite sur le lieu de l’infraction ou d’une dénonciation émanant de l’État sur le territoire duquel l’infraction a été commise ».

[16Grâce aux accords internationaux, l’exigence de la double incrimination a été abrogée dans les crimes d’exploitation sexuelle et de pornographie infantile, et peuvent être punis les ressortissants des pays membres qui ont commis de telles infractions criminelles dans des pays tiers où de telles conduites ne constituent pas une infraction. L’article 2.2 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JOCE, n° L. 190) établit que le mandat d’arrêt et de la remise s’applique à la traite des êtres humains sans avoir à prendre en considération un contrôle de la double incrimination des faits entre les États membres.

[17Les critères d’expansion de compétence qui sont énoncés dans l’article 10 § 2 de la directive de 2011 sont : la nationalité ou la résidence habituelle de la victime, la résidence habituelle sur le territoire d’un État membre du sujet actif du crime, agissant pour le compte d’une personne morale établie sur le territoire d’un État membre.

[18V. JOUE, n° C. 115, 9 mai 2008. 295 : le protocole n° 21 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de liberté et de justice (art. 1er et 2 du protocole annexé au TUE et au TFUE). V. JOUE, n° C. 115, 9 mai 2008. 287 : protocole n° 16 sur certaines dispositions relatives au Danemark.

[19Article 1. : « (…) à des fins d’exploitation du travail ou des services de cette personne y compris sous la forme, au minimum, de travail ou de services forcés ou obligatoires, d’esclavage ou de pratiques analogues à l’esclavages ou de servitude ou à des fins d’exploitation de la prostitution d’autrui et d’autres formes d’exploitation sexuelle, y compris pour la pornographie. ». Décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, 19 juill. 2002, relative à la lutte contre la traite des êtres humains, JOCE, n° L. 203.

[20V. Dir. UE n° 2011/36, art. 2 § 4, et décision-cadre 2002/629/JAI, art. 1.2.

[21La circonstance aggravante ne doit pas être confondue avec les éléments constitutifs de l’infraction. Le juge va contrôler l’élément légal, moral et matériel de l’infraction. Quand il va s’intéresser quant à la hauteur de la répression, il va chercher des circonstances aggravantes. Elles interviennent uniquement pour moduler la hauteur de la répression de l’infraction.

[22Décision-cadre 2002/629/JAI, art. 7 : « 2. Les enfants qui sont victimes d’une infraction visée à l’article 1er devraient être considérés comme des victimes particulièrement vulnérables, conformément à l’article 2, paragraphe 2, à l’article 8, paragraphe 4, et à l’article 14, paragraphe 1, de la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales [JOCE, n° L. 82, 22 mars, p. 1) ».

[23La raison de l’existence d’un excédent d’incriminations, et de circonstances aggravantes, doit être recherchée dans la perception qui sous-tend certaines conceptions, selon lesquelles il existe une intégrité sexuelle propre aux enfants, qui est un droit fondamental leur appartenant, et qui ne doit pas être invoquée dans aucun contexte sexuel en raison de leur âge, puisqu’ils n’ont pas suffisamment de maturité physique et psychique pour comprendre et affronter les relations sexuelles et leurs conséquences.

[24Décision-cadre 2008/841/JAI du Conseil, 24 oct. 2008, relative à la lutte contre la criminalité organisée, JOUE, n° L. 300.

[25L’exemple d’un inspecteur de travail lors d’un contrôle ne cherche pas à constater les faits et [« ferme les yeux »] sur la situation de plusieurs femmes africaines ou chinoises (étrangères) enfermées dans une maison close dans un pays européen (réglementariste), où elles sont obligées de se prostituer (situation d’exploitation grave), et omet d’établir son constat (procès verbal), et ne communique pas tous les renseignements, ainsi que tous les documents relatifs à l’accomplissement de sa mission de lutte contre le travail dissimulé.

[26Décision-cadre 2002/629/JAI, art. 5 (Protection et assistance apportées aux victimes).

[27Dir. UE n° 2011/36, art. 7 (Saisie et confiscation).

[28V., S. García Vázquez. Inmigración ilegal y trata de personas en la Unión Europea : las desprotección de las victimas, Revista de Derecho Constitucional Europeo, 2008. 270, Disponible sur : http://www.ugr.es/~redce/REDCE10/articulos/06SoniaGarciaVazquez.htm (consulté le 30 avril 2014).

[29La directive UE n° 2011/36/UE se réfère également à l’article 4 de la décision- cadre 2002/629/JAI du Conseil du 19 juill. 2002 relative à la traite des êtres humains, par une disposition qui contient un ensemble de garanties et de droits qui doivent être respectés dans la communication des informations aux victimes des crimes dès le premier contact avec les autorités policières (un langage compréhensible, l’accès aux conseils juridiques, la mise en place des mécanismes d’aide sociale, des indemnisations, etc.).