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L’affaire Natixis (cons. const., 8 juillet 2016) : suite et fin d’un contentieux sur le régime fiscal des sociétés mères. Par Laurent Tasocak, Elève-avocat.
Parution : mercredi 13 juillet 2016
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Par une décision du 8 juillet 2016, le Conseil constitutionnel est revenu sur la nature que doit revêtir la participation d’une société dans sa filiale pour pouvoir bénéficier du régime fiscal des sociétés mères.

Le régime des sociétés mères, codifié aux articles 145 et 216 du Code général des impôts, permet à une société de recevoir des dividendes de sa filiale sans que ce produit ne soit soumis à l’impôt sur les sociétés, sous réserve de la réintégration d’une quote-part de frais et charges à hauteur de 5% du montant brut des distributions perçues.

La directive européenne 90/435/CEE du 23 juillet 1990 est venue étendre le bénéfice de cette exonération aux distributions transfrontalières. Or, si le Conseil d’État a pu juger que la directive était de facto transposée en droit interne par le régime français préexistant, il n’en demeure pas moins que des discordances existent entre les deux textes. C’est dans ce contexte que deux décisions du Conseil constitutionnel sont intervenues en 2016.

L’affaire Métro Holding (cons. const., 3 février 2016, n° 2015-520 QPC)

Le litige à l’origine de cette décision porte sur l’article 145, 6, b ter du CGI qui, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, exclut du régime fiscal des sociétés mères « les produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote ».

Au cas particulier, le contribuable a placé sa contestation à la fois sur le terrain conventionnel et constitutionnel. Il a ainsi été soutenu, d’une part, que la condition cumulative de détention des droits de vote et de capital prévue en droit français est incompatible avec les dispositions de la directive européenne et, d’autre part, que le droit français crée une discrimination à rebours à l’égard des distributions de sources française et étrangère puisque les distributions de sources européennes échappent à cette double condition.

Caractérisant une discrimination à rebours contraire aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution l’article 145, 6, b ter du CGI dans sa rédaction issue de la loi de finances (LF) pour 1993 du 30 décembre 1992.

Dès lors, nous pouvions penser que l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel suffirait à écarter ces dispositions litigieuses toutes les fois où elles sont reprises dans un autre texte. Il devait en être ainsi, notamment, pour la réécriture de l’article lors de l’adoption de la loi de finances rectificative (LFR) pour 2005 du 30 décembre 2005 qui reprend à l’identique l’exclusion du texte précédent en y ajoutant « sauf si la société détient des titres représentant au moins 5% du capital et des droits de vote de la société émettrice ».

Pour autant, lorsque la problématique lui a été soumise le 18 mai 2016, le Conseil d’État a transmis une QPC au Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur la constitutionnalité du texte dans sa version issue de la loi de finances rectificative pour 2005.

L’affaire Natixis (cons. const., 8 juillet 2016, n° 2016-553 QPC)

Dans sa décision du 8 juillet 2016, le Conseil constitutionnel procède à un raisonnement en deux temps, faisant ainsi le départ entre deux situations :

  1. d’une part, celle issue de la modification apportée au texte par la LFR pour 2005 ;
  2. d’autre part, celle se rapportant à l’ancien texte voté lors de la LF pour 1993.

Dans la première hypothèse, les juges considèrent qu’aucune différence de traitement n’existe dès lors que le nouveau texte généralise l’exonération d’impôt sur les sociétés pour les distributions perçues par une société française qui détient plus de 5% des droits de capital et de vote dans sa filiale, que celle-ci soit française ou située dans un autre État membre de l’Union européenne.

Cette double condition de détention des droits de capital et de vote demeure contraire à la directive européenne sur le régime fiscal des sociétés mères. Or, le Conseil constitutionnel n’est pas le juge de la conventionnalité d’une loi et n’a pas à se prononcer sur la mise en conformité du droit interne avec le droit européen.

Cependant, la suite du raisonnement des juges constitutionnels aboutira de facto à un alignement de la législation interne avec les exigences européennes.

En effet, dans la seconde hypothèse, le litige retombe sous l’égide de l’affaire Métro Holding puisque les dividendes perçus par une société qui remplit la condition de détention de 5% des droits en capital, mais pas des droits de vote, demeurent imposés à l’impôt sur les sociétés. Dans ce contexte, et sans surprise, dans sa décision du 8 juillet 2016, le Conseil constitutionnel transpose sa jurisprudence Métro Holding en renvoyant explicitement aux motifs de cette décision.

Le texte litigieux, voté à l’occasion de la LFR pour 2005, est donc déclaré contraire à la constitution.

La portée de la décision Natixis

La décision du 8 juillet 2016 signe la fin, du moins au niveau constitutionnel, d’un contentieux passionnant sur la nature que doit revêtir la participation d’une société mère dans sa filiale. Dorénavant, nous pouvons espérer que les juridictions de droit commun trancheront les litiges qui leurs seront soumis en appliquant les jurisprudences Métro Holding et Natixis.

Le législateur aura également une tâche importante puisqu’il devra modifier l’article 145 du CGI pour le mettre en conformité avec les décisions du Conseil constitutionnel.

Plus encore, ces décisions pourraient se révéler porteuses de nombreuses autres difficultés pour le législateur français qui doit faire face aux risques d’inconventionnalité (méconnaissance de la directive) et d’inconstitutionnalité (discrimination à rebours) des lois.

En effet, soit le législateur ne transpose pas correctement les directives européennes et méconnaît ses obligations issues de l’article 88-1 de la Constitution ; soit il les transpose correctement mais n’accorde le bénéfice de ces dispositions qu’aux opérations intracommunautaires et prend le risque de créer, pour les situations internes, une discrimination à rebours contraire au principe d’égalité devant la loi.

Naturellement, ce principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Toujours est-il que l’étau se resserre autour du législateur.

Laurent Tasocak Élève-avocat fiscaliste Diplômé du Master 2 droit fiscal - Paris 1