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Rupture conventionnelle du contrat de travail : vitesse + précipitation = condamnation ... de l’entreprise. Par Jean-Louis Denier, Juriste.
Parution : mercredi 27 juillet 2016
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Faisant prévaloir une théorie de l’apparence, la Cour de cassation estime que la remise, par l’employeur, des documents sociaux de fin de contrat, au salarié, vaut licenciement de ce dernier. Intervenant en plein déroulement d’une procédure de rupture conventionnelle - non encore homologuée - cette remise manifeste, à elle seule, l’existence d’une décision de licenciement, décision avérée, définitive et ... non motivée.
Décision : Cour de cassation Chambre Sociale 6 juillet 2016, n° 14-20323

Le proverbe est connu et s’applique à bien des situations et domaines dont celui de la gestion administrative du personnel : « Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ».

Rupture conventionnelle du contrat de travail : amiable peut-être, procédurale sûrement !

Le second proverbe est offert gracieusement aux lectrices et lecteurs : « Il ne faut pas se fier aux apparences » ...

Aussi, peu importe l’impression de facilité et flexibilité laissée par l’article L.1237-11 du Code du travail, lequel prévoit qu’employeur et salarié « (...) peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. », sachant que cette rupture « (...) résulte d’une convention signée par les parties au contrat. » puisque, immanquablement, le diable vient se nicher dans les détails (jamais deux proverbes sans trois...) et dans les détails d’une procédure.

En effet, la lecture attentive des articles L. 1237-12 et suivants du Code du travail vient rappeler que, si elle est amiable, la rupture conventionnelle n’en est pas moins procédurale.

Elle comporte, en effet, son lot de phases et délais [1].

Et parmi toutes ces étapes, dont certaines indispensables [2], l’article L. 1237-14 du Code du travail élève l’une d’entre elles au rang de condition substantielle de validité du processus de rupture en son entier, étant entendu qu’il s’agit là de l’homologation administrative [3] opérée par le DIRECCTE.

Validité ... ?

Oui car la décision administrative [4] en question :
- 1. vaut légitimation  [5] de la rupture du contrat de travail (par le biais du processus de rupture conventionnelle).
- 2. marque l’achèvement de la procédure de rupture conventionnelle.
- 3. déclenche (pour chaque partie employeur et salarié) le mécanisme et les effets des obligations inhérentes à cette rupture conventionnelle (dont le principe même de la rupture définitive de la relation contractuelle).

Par conséquent, tant qu’une décision administrative favorable n’a pas été prise, le contrat de travail demeure en l’état et continue et surtout ... continue à lier les parties [6] et, de fait, produire tous effets de droit à l’endroit de chacune d’elle.

Quand anticipation vaut renonciation (aux effets de l’homologation administrative et donc au bénéfice de la légitimation de la rupture)

Au sein des dispositions légales relatives à la rupture conventionnelle comme au sein du processus lui-même, l’article L. 1237-14 du Code du travail occupe ainsi une position nodale.

Le respect de ses principes et modalités de fonctionnement conditionnent , en effet, la validité même d’une rupture du contrat de travail par voie de rupture conventionnelle.

Ignorer cet article revient donc à ignorer ce qu’est une rupture conventionnelle (en omettant qu’il faut attendre le résultat des courses, autrement dit le résultat de la décision administrative).

Parce que procédurale, la rupture – par voie conventionnelle – n’est acquise qu’au terme de l’obtention de la décision administrative.

Tout comportement de l’employeur manifestant une anticipation de la décision (à venir et attendue) produit deux effets :

1. Celui de manifester et matérialiser une volonté patronale de se placer en dehors de la procédure de rupture conventionnelle et de son processus de légitimation de la rupture du contrat de travail.
2. Celui d’ entériner l’ achèvement de la relation contractuelle de travail par d’autres moyens, biais et procédure que ceux de ladite rupture conventionnelle.

Dans et par la décision commentée ici, les Hauts-Juges considèrent que la remise de documents de fin de contrat au salarié traduit la volonté d’anticiper et donc de se placer en dehors du processus de la rupture conventionnelle.

Pourquoi ?

Essentiellement pour deux raisons :

1. La nature des documents remis : attestation Assedic et reçu pour solde de tout compte sont, de par le Code du travail, remis au moment de l’expiration, de la résiliation ou de la rupture du contrat de travail et totalisent des sommes matérialisant des droits et garanties découlant et générés par la rupture du contrat de travail ; les remettre, revient, du coté patronal, à constater et entériner effectivité et caractère acquis [7] de la rupture de la relation contractuelle de travail.
2. La portée de l’article L. 1237-14 : avec sa position nodale, la décision administrative acquiert (quasiment) les vertu et portée d’une autorisation administrative de rupture aux yeux des Hauts-Juges ; faire montre, par la remise de documents de fin de contrat, d’une initiative de rupture de la relation contractuelle revient, dés lors, à se placer, et en dehors de la procédure de rupture conventionnelle, et en dehors des prérogatives de contrôle de l’administration.

Remettre (des documents de fin de contrat) revient à anticiper ; anticiper revient à renoncer ; et renoncer définitivement à la logique de la rupture conventionnelle et de ses effets.

Implacablement mécanique, la décision commentée ici est dévastatrice pour l’employeur car :
-  elle le place automatiquement en dehors du champ (protecteur) de la rupture conventionnelle.
-  elle confère à son initiative de remise de documents la nature et les effets d’une décision de rupture définitive de la relation contractuelle de travail dont le salarié peut prendre acte et se prévaloir sans que la contradiction ne puisse lui être apportée sur ce point.
-  elle assimile cette rupture définitive à un licenciement non motivé avec toutes conséquences de droit (donc financières) au profit du salarié.
-  elle interdit toute tentative ultérieure de correctif ou réaction .

En guise de conclusion :
La gestion d’une procédure de rupture conventionnelle doit tout intégrer – et donc sécuriser - y compris des aspects de (simple) gestion administrative du personnel et de paye. Par conséquent, la remise des documents de fin de contrat doit être adaptée et conditionnée par les tempo et phases de la procédure de rupture conventionnelle et, de la sorte, prendre position en toute fin extrême. En présence d’un logiciel de paie susceptible de prendre des initiatives malencontreuses, il convient de reparamétrer ou de ... passer en manuel !

Jean-Louis Denier Juriste d'entreprise - Juriste en droit social

[1Rappel synthétique - la rupture conventionnelle donne lieu à : négociation (par le biais d’un ou plusieurs entretiens à cet effet réunissant les parties : employeur et salarié), possibilité d’assistance, échange d’informations entre les parties, formalisation du principe même de la rupture et de ses conséquences notamment financières pour les parties (support écrit + signatures), possibilité de rétractation sous délai limite (liberté de renonciation pour chaque partie à formaliser par écrit - 15 jours calendaires à partir du lendemain du jour de la signature), homologation de la convention écrite à solliciter et obtenir auprès du DIRECCTE (demande opérée par voie de formulaire Cerfa) et enfin décision administrative d’homologation ... ou non (expresse et explicite si formalisée et notifiée à chaque partie dans les 15 jours de la réception de la demande d’homologation – régime de l’acceptation tacite et implicite au-delà).

[2Exemple – exercice du droit de rétractation et Cass. Soc. 6 oct. 2015, n° 14-17539 : à peine d’absence de validité et production d’effets juridiques, le droit de rétraction doit être exercé par l’envoi à l’autre partie d’une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception.

[3Rappel : le contrôle administratif porte uniquement sur : a) la procédure elle-même (respect des phases et délais du processus). b) les garanties dont disposent les parties et qui permettent et/ou conditionnent leur accord (respect des droits de chacun par chacun). c) la liberté de négociation (respect du libre consentement de chacun par chacun)

[4Relevant du contrôle du juge judiciaire – conséquence du libellé de l’alinéa 4 de l’article L. 1237-14 du Code du travail – ex. : Cass. Soc. 16 décembre 2015, n° 13-27212 et examen par le juge judicaire des conditions d’homologation de la rupture par le DIRECCTE.

[5Sous réserve de l’exercice du droit de contestation (par voie de recours prud’homal) dont dispose chaque partie contre l’homologation administrative et/ou la rupture conventionnelle (principe et/ou conséquences juridiques et/ou financières) sachant que ce droit doit être exercé, à peine de forclusion, dans les 12 mois de l’homologation (ou de son refus).

[6Raison pour laquelle un salarié ne peut demander et obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail au motif que son employeur n’a pas obtenu l’homologation : C. App. Aix-en-Provence 8 oct. 2013, n°12/20620.

[7Cass. Soc. 23 janv. 2007, n° 05-43428 : remettre au salarié une attestation Assedic avant la notification du licenciement (par voie de courrier) vaut matérialisation d’une décision effective de licencier (le salarié est tacitement informé par cette remise de ce que le licenciement est déjà acquis dans l’esprit de l’employeur peu importe l’envoi postérieur d’un courrier de licenciement motivé).

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