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Le congé commercial délivré par lettre recommandée avec accusé de réception, le cadeau empoisonné fait au justiciable. Par Marie-Laure Vanlerberghe et Pascal Bâcle, Huissiers de justice.
Parution : mercredi 31 août 2016
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La loi Pinel du 18 juin 2014 permet la notification d’un congé de bail commercial par lettre recommandée avec accusé de réception.
Le justiciable peut donc désormais se passer de l’huissier de justice.
Plus simple et moins coûteux pensez-vous ? Pas certain !

Le premier écueil du congé concerne l’incertitude liée à la réception de la LRAR.
Monsieur Pinel avait oublié de rappeler les subtilités des règles et de la jurisprudence en manière de date d’envoi/réception d’une lettre recommandée.

La règle de base :

Le Code de procédure civile dispose que la date de notification par LRAR est différente pour l’expéditeur (date de remise de la lettre aux services postaux) et pour le destinataire (date de remise effective au destinataire).
En clair, c’était la date de remise au destinataire qui était retenue pour déterminer la date du congé et le respect des délais.

Si le facteur fait signer l’AR à son destinataire, au mieux 2 jours après l’envoi, au pire 15 jours après la date du premier passage (délai laissé au destinataire pour se présenter au guichet de la poste et retirer la lettre), il y avait notification valable.
Dans le meilleur des cas car, la date limite pour délivrer l’acte pouvait être passée au jour du retrait au guichet et là, le congé bien que délivré était entaché de nullité et donc contestable par son destinataire qui pouvait le faire annuler en justice.
Étant précisé que le juge, dans un arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation du 16 janvier 2014, avait précisé qu’un pli non retiré par le destinataire ne valait pas notification.

Pour solutionner le problème, le législateur a créé dans le Code de commerce, au pied du chapitre V intitulé du bail commercial, une section 6 intitulée : Dispositions relatives au recours à la lettre recommandée avec demande d’avis de réception et son art. R. 145-38 suivant : « Lorsqu’en application des articles L. 145-4, L. 145-10, L. 145-12, L. 145-18, L. 145-19, L. 145-47, L. 145-49 et L. 145-55, une partie a recours à la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la date de notification à l’égard de celui qui y procède est celle de l’expédition de la lettre et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de première présentation de la lettre. Lorsque la lettre n’a pas pu être présentée à son destinataire, la démarche doit être renouvelée par acte extrajudiciaire. »

Désormais, la date de réception à retenir est celle de la première présentation de la lettre recommandée (en substance que la lettre soit par la suite retirée ou pas par son destinataire).
Oui, mais, juste après, le législateur précise : « Lorsque la lettre n’a pas pu être présentée à son destinataire, la démarche doit être renouvelée par acte extrajudiciaire. »
Rappel terminologique : acte extra-judiciaire = signification par huissier de justice.
La question est donc de savoir ce qu’est une présentation de lettre.

Au vu des motifs énoncés lors du retour de lettre recommandée non délivrée à son destinataire se trouvent :
1) Le défaut d’accès ou d’adressage
2) Le destinataire inconnu à l’adresse
3) Le pli refusé par le destinataire
4) Le pli avisé et non réclamé.

On peut légitiment penser que dans les deux premiers cas, le facteur n’aura pas laissé un avis de passage, contrairement aux deux derniers cas où l’on peut légitimement penser que le destinataire a été avisé par un avis de passage laissé dans la boite aux lettres ou verbalement même s’il refuse le pli présenté.
En réalité et ce malgré ce nouveau texte, il reste donc dans la pratique des cas, ou même si la lettre recommandée revient non distribuée, il faut considérer qu’il n’y a pas notification valable car non présentation et donc pas de congé valablement notifié.

S’ajoute à cela, l’écueil non moins négligeable du contenu de la lettre et du respect des conditions de fond et de la règle de droit.
Car si la loi autorise le simple justiciable à envoyer le congé par lettre recommandée avec AR, son contenu lui, doit toujours respecter la règle de droit.

A cet effet, il faut se rappeler que certaines mentions et délais sont prescrits à peine de nullité du congé. Et qui dit nullité du congé, dit congé jamais délivré. En conséquence, le bail se poursuit, se renouvelle avec toutes les conséquences juridiques et économiques attachées.
On laisse le justiciable prendre des risques dont il ne maitrise pas l’ampleur sans lui dire que s’il se trompe, les conséquences juridiques et aussi économiques sont très importantes.

La déréglementation visant, à simplifier les modalités d’application du droit (mais pas la règle de droit elle-même !) et à laisser croire à une réduction des coûts n’est qu’un leurre et est dangereuse.

En conclusion, le justiciable prudent préfèrera faire signifier par un huissier de justice le congé. L’huissier vérifiera la rédaction du congé, le corrigera et la signification à son destinataire validera la réalisation du congé, et ce dans les délais légaux !

Marie-Laure Vanlerberghe Commissaire de Justice Honoraire - médiatrice associée à minutemediation.fr
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