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Fermetures d’établissements sociaux et médico-sociaux : de quels droits ? Par Jacques Hardy, Avocat.
Parution : mardi 27 septembre 2016
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Aux termes de pas moins d’une douzaine de décisions rendues dans le même dossier, la juridiction administrative apporte d’intéressantes précisions sur le régime juridique de la fermeture administrative d’établissements médico-sociaux et plus particulièrement sur les garanties offertes au gestionnaire mis en cause et aux candidats à la reprise des établissements fermés.

Dès lors qu’elle a compétence pour autoriser l’ouverture et le fonctionnement d’un établissement ou service social et médico-social, il est aisément compréhensible, que sous réserve de préserver les droits du gestionnaire, l’administration puisse prononcer la fermeture de cette structure si elle constate des dysfonctionnements.
Pour ce faire, le cadre juridique définissant les pouvoirs de l’administration et les droits des gestionnaires est donc fixé dans le Code de l’action sociale et des familles et complété par l’intervention éventuelle du juge administratif.

A titre d’illustration, le contentieux de la décision de fermer les onze établissements gérés par l’association Le Colombier prise conjointement par le préfet du Val d’Oise et le président du Conseil général le 31 mars 2010 s’est traduit entre 2012 et 2016 par quatre jugements du tribunal administratif de Cergy Pontoise, sept arrêts de la cour administrative d’appel de Versailles et deux arrêts du Conseil d’État qui, ensemble, offrent une vue précise du contenu et des limites du pouvoir dont disposent, en l’état du droit, les autorités compétentes pour fermer des établissements et services médico-sociaux après avoir prononcé une injonction à destination du gestionnaire, nommer un administrateur provisoire puis transférer la gestion des structures concernées à des tiers en écartant la candidature d’autres gestionnaires potentiels.

En l’espèce, l’autorité administrative est intervenue pour des motifs tenant, selon ses propres termes, à « des difficultés organisationnelles » sociales et financières résultant « d’un échec de la rénovation de la gouvernance associative », d’ « un climat social tendu, avec une perte de confiance du personnel envers l’association », d’ « une situation financière très préoccupante » mettant « en danger la survie de l’association et, par suite, la qualité de la prise en charge des personnes handicapées » .
Sur la base de ces éléments de fait, le préfet et le président du Conseil général ont en premier lieu, au visa de l’article L 313-14-1 du Code de l’action sociale et des familles adressé un courrier commun, le 4 novembre 2009, faisant injonction à l’association « de faire voter (son) conseil d’administration dans un délai de 15 jours sur le principe d’une reprise de l’ensemble de ses établissements et services par un ou plusieurs repreneurs avec effectivité au 15 janvier 2010 », «  de donner toute autorité et toute délégation au directeur général de transition, M.A..., lui permettant d’assurer une stabilisation de la gestion de l’association ainsi que la préparation de la reprise des établissements et des services » et « d’améliorer le climat social ».

Prenant acte du refus de l’association de faire droit à cette injonction, les autorités précitées ont ensuite décidé la nomination d’un administrateur provisoire puis la fermeture des établissements et services gérés par l’association et transféré à deux opérateurs privés à but non lucratif les autorisations tandis que d’autres gestionnaires potentiels voyaient leur candidature à la reprise écartée par l’administration.
C’est dans ce contexte, que l’association Le Colombier a déféré au juge administratif toutes les décisions précitées générant ainsi un débat sur les règles juridiques applicables à la décision de fermeture (1) et au transfert des autorisations (2) et spécialement sur les droits et obligations respectifs des parties concernées.

1. Les conditions juridiques de la fermeture

En l’espèce, compte tenu des éléments de fait relevés par les autorités administratives, la fermeture a été prononcée au visa de l’article L 313-16 du Code de l’action sociale et des familles prévoyant que « l’autorité qui a délivré l’autorisation ou, le cas échéant, le représentant de l’État dans le département dans les conditions prévues au présent article prononce la fermeture, totale ou partielle, provisoire ou définitive, d’un service ou établissement dans les conditions prévues aux articles L. 313-17 et L. 313-18 :
1° Lorsque les conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement prévues au II de l’article L. 312-1 ne sont pas respectées ;
2° Lorsque sont constatées dans l’établissement ou le service et du fait de celui-ci des infractions aux lois et règlements susceptibles d’entraîner la mise en cause de la responsabilité civile de l’établissement ou du service ou de la responsabilité pénale de ses dirigeants ou de la personne morale gestionnaire (…) »

Dans ce cadre, deux questions ont été principalement posées aux juridictions saisies qui concernent respectivement la place du contradictoire dans la procédure de fermeture (1.1) et le statut juridique de l’injonction préalable à la mise en œuvre de celle-ci (1.2).

1.1. Les règles du contradictoire applicables à la fermeture d’un établissement ou service

Comme le rappelle le Conseil d’État dans sa décision n° 372468 précitée du 5 octobre 2015, « (…) en prononçant la fermeture d’un établissement ou d’un service médico-social, en application de l’article L. 313-16 du Code de l’action sociale et des familles, l’autorité administrative met un terme à l’autorisation dont bénéficiait l’organisme gestionnaire et abroge ainsi une décision créatrice de droits (…) ». Nonobstant le fait que le vocabulaire usuel et, de façon plus surprenante, l’article L 313-18 du Code de l’action sociale et des familles mobilisent volontiers la notion de « retrait » de la décision, le Conseil d’État souligne ainsi que la décision de fermeture fait disparaître l’autorisation pour l’avenir sans revenir sur ses effets passés.

Or, l’abrogation d’une décision créatrice de droits va, par définition, modifier la situation juridique de son destinataire et doit donc être assortie de garanties destinées à éviter l’arbitraire administratif.
Au nombre de celles-ci figure notamment l’obligation de motiver la décision sur le fondement de l’article 1 de la loi du 11 juillet 1979 depuis codifié à l’article L 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration. De plus, en application de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 applicable à l’époque des faits l’administration devait s’assurer que « (…) la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ».

L’association soutenant qu’elle n’avait pas pu faire valoir préalablement ses observations, le débat juridictionnel allait donc porter sur les modalités de mise en œuvre du principe du contradictoire dans le contexte d’une décision de fermeture prise au visa de l’article L 313-16 précité.
Alors que le tribunal administratif n’avait pas fait droit à cette demande, dans sa décision n° 12VE02175 du 9 juillet 2013, la cour administrative d’appel de Versailles décidait d’annuler la fermeture de ce seul chef et, par voie de conséquence, le transfert à d’autres opérateurs réintégrant ainsi l’association Le Colombier dans l’ensemble de ses prérogatives de gestionnaire des onze établissements et services concernés.

Mais, à la suite du pourvoi en cassation formé par les autorités administratives concernées, le Conseil d’État devait, le 5 octobre 2015 en décider autrement et annuler la décision de la cour administrative d’appel.
Constatant comme la cour que la décision de fermeture est au nombre de celles qui doivent être motivées et qu’elle ne peut être légalement prise qu’en respectant les dispositions précitées de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, le Conseil d’État se fondant sur sa propre jurisprudence affirme « toutefois, que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ».

En d’autres termes même constaté, le vice de procédure ne suffit pas à justifier l’annulation d’une décision administrative. Le Conseil d’État va donc, au regard du dossier qui lui est soumis, se demander si l’absence non contestée de procédure contradictoire au sens de la loi du 12 avril 2000 entache d’illégalité la décision de fermeture et, par conséquent, toutes les autres décisions concernées soit parce qu’elle a pesé sur le sens de la décision rendue soit parce qu’elle a privé l’association d’une garantie.
A cette question, le Conseil d’État va répondre en deux temps.

Il constate tout d’abord que « les dispositions du Code de l’action sociale et des familles n’ayant pas organisé de procédure contradictoire spécifique, l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 impose ainsi, et sous la seule réserve des exceptions prévues par cet article lui-même, que l’organisme gestionnaire soit averti en temps utile, afin de bénéficier d’un délai suffisant pour présenter ses observations, de la mesure que l’autorité administrative envisage de prendre et des motifs sur lesquels elle se fonde ».
Ce faisant le juge estime qu’en l’absence de dispositions spéciales organisant une procédure contradictoire, l’administration peut, par tous moyens et sous réserve de laisser un délai suffisant au gestionnaire l’« avertir » de la décision à venir et de ses motifs. Il ne formule donc aucune exigence de forme ou de procédure à l’encontre de l’administration.

Ayant ainsi explicité les modalités de mise en œuvre de la procédure contradictoire de droit commun applicable en l’absence de dispositions spéciales, le juge de cassation décide ensuite que faute d’avoir « recherché si, dans les circonstances de l’espèce qui lui était soumise, compte tenu notamment des motifs de l’injonction du 4 novembre 2009 et de l’arrêté du 23 décembre 2009 portant désignation d’un administrateur provisoire, fussent-ils entachés d’une illégalité susceptible d’entraîner leur annulation comme actes décisoires, ce vice de procédure avait été susceptible d’exercer une influence sur la décision prise ou si l’association Le Colombier avait été effectivement privée d’une garantie prévue par la loi, la cour a commis une erreur de droit ».
Sur ce, il annule donc l’arrêt précité du 9 juillet 2013, confirme la fermeture et les autres décisions et rétablit les tiers auxquels les autorisations avaient été transférées dans leurs prérogatives.

Toutefois, n’ayant pas tranché le débat au fond, le Conseil d’État, renvoie le dossier devant la même cour administrative d’appel qui, par sa décision n° 15VE03132 du 19 juillet 2016 va faire sienne la position du juge de cassation en l’explicitant aux termes d’une décision très motivée.
Comme lors de sa précédente décision et comme l’a relevé le Conseil d’État, la cour commence par constater que l’association Le Colombier n’a pas été explicitement mise à même de présenter d’observations écrites.

Elle relève toutefois que les motifs de l’injonction adressée le 4 novembre 2009 « indiquaient clairement, contrairement à ce qu’affirme l’association requérante, les griefs qui lui étaient reprochés » et « qu’en outre, cette injonction précisait que le refus de mise en œuvre des mesures préconisées entraînerait la fermeture de l’ensemble des structures sur le fondement de l’article L. 313-16 du Code de l’action sociale et des familles et leur transfert à un ou plusieurs organismes repreneurs au vu des difficultés organisationnelles, sociales et financières rencontrées depuis 18 mois par l’association, ayant donné lieu à de nombreux échanges avec les services de l’État et du département et qui perduraient, ainsi qu’il ressort d’ailleurs du courrier du 8 octobre 2009 par lequel le directeur général adjoint de transition de l’association a alerté le directeur général adjoint du conseil général de la ’très grave situation financière de l’association’ ; que c’est d’ailleurs au vu de ces motifs que, dans un premier temps, le conseil d’administration de l’association a accepté, le 12 novembre 2009, le principe de la reprise par un ou plusieurs organismes tiers imposé par l’injonction précitée et que, forts de cette collaboration de l’association, l’État et le département du Val-d’Oise ont accordé une subvention de 1 467 000 euros à titre exceptionnel pour permettre la poursuite du fonctionnement des établissements gérés par l’association requérante ».

Et la cour de poursuivre en indiquant « qu’il résulte de l’ensemble de ces circonstances que l’association requérante a été mise à même de présenter ses observations sur la mesure de fermeture envisagée par l’administration ; que, si elle fait valoir qu’elle n’a pas été invitée à présenter des observations, les dispositions précitées de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 n’imposent pas, en tout état de cause, à l’administration d’informer l’intéressée de sa faculté de présenter des observations écrites ; qu’il suit de là qu’au vu des motifs sus exposés de l’injonction du 4 novembre 2009, (…) et alors d’ailleurs que la mise en œuvre de l’article L. 313-16 du code précité n’est conditionnée par aucune procédure d’injonction ou de mise en demeure, la méconnaissance des dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 n’a pas privé effectivement l’association d’une garantie et n’a pas été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise par l’arrêté n° 477 du 31 mars 2010 ».
En conséquence, contrairement à ce qu’elle avait décidé le 9 juillet 2013, la cour va donc rejeter la requête de l’association Le Colombier et rétablir la légalité de la décision de fermeture.

Hors du fait que pendant plus de quatre années les parties n’ont pas été définitivement fixées sur leur situation juridique, il apparaît donc clairement que lorsqu’au visa de l’article L 313-16 du Code de l’action sociale et des familles, l’autorité compétente décide de fermer un établissement, le gestionnaire doit sans attendre d’y avoir été explicitement invité se placer dans le contexte d’une procédure contradictoire et non seulement présenter des observations écrites mais également solliciter la possibilité de défendre oralement sa position, faute de quoi il ne pourra pas, comme le montre cette série de décisions, faire utilement valoir le défaut de mise en œuvre de ladite procédure sauf à démontrer qu’à aucun moment les motifs de la décision querellée ne lui ont été notifiés.

Or, au cas d’espèce, ces motifs figuraient dans l’injonction qui, à la demande de l’association destinataire a été annulée sans que cela la prive de sa fonction d’information sur les motifs de la décision de fermeture.

1.2. La place de l’injonction dans la procédure de fermeture

En la matière, l’injonction est prévue par le Code de l’action sociale et des familles qui définit les modalités de son déclenchement, évoque son contenu et caractérise le délai qu’elle fixe au gestionnaire pour rétablir une situation qui est « susceptible d’affecter la prise en charge ou l’accompagnement des usagers ou le respect de leurs droits » (art. L 313-14) ou qui est caractérisée par « un déséquilibre financier significatif et prolongé ou (…) des dysfonctionnements dans la gestion des établissements et des services » (art. L 313-14-1).

Elle est aussi prévue à l’article L 331-5 qui dans sa formulation née de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 applicable à l’époque des faits disposait que « sans préjudice de l’application des dispositions prévues à l’article L. 313-16 si la santé, la sécurité ou le bien-être moral ou physique des personnes hébergées sont menacés ou compromis par les conditions d’installation, d’organisation ou de fonctionnement de l’établissement, le représentant de l’État enjoint aux responsables de celui-ci de remédier aux insuffisances, inconvénients ou abus dans le délai qu’il leur fixe à cet effet. »
En l’occurrence, compte tenu des faits invoqués, l’injonction adressée conjointement par le préfet et le président du Conseil général à l’association Le Colombier le 4 novembre 2009 visait l’article L 313-14-1.
Saisi d’une requête en annulation de ladite injonction, le tribunal administratif n’a pas statué sur ce point de sorte que l’association relevant appel du jugement a réitéré sa demande à la cour administrative d’appel.

Analysant le contenu de l’injonction, la cour fait droit à la requête en jugeant que les mesures qu’elle impose à l’association « n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L 313-14-1 qui permet seulement à l’administration de demander à l’organisme gestionnaire de remédier aux déséquilibres financiers ou aux dysfonctionnement constatés et de produire un plan de redressement adapté, dans un délai qu’elle fixe ».
En confirmant la position de la cour d’appel, le Conseil d’État se fait encore plus précis en relevant tout d’abord qu’eux égard « aux délais impératifs qu’elle imposait à l’association et aux conséquences qu’elle attachait à sa méconnaissance, cette injonction présente en elle-même le caractère d’une décision faisant grief susceptible de recours ».
Il répond ce faisant à l’argument développé par l’administration qualifiant l’injonction d’acte préparatoire insusceptible de recours.

Exigeant que l’association « fasse voter son conseil d’administration dans un délai de quinze jours sur le principe d’une reprise de l’ensemble de ses établissements et services par un ou plusieurs repreneurs avec effectivité au 15 janvier 2010 » l’injonction ne pouvait en effet s’analyser autrement que comme une décision modifiant la situation juridique de son destinataire contraint de renoncer « volontairement » à poursuivre la gestion des établissements et services autorisés. Eu égard à son contenu, cette décision ne pouvait donc s’interpréter comme une simple mise en garde ou comme un rappel des règles applicables d’autant qu’elle se poursuivait par une menace de « nomination d’un administrateur provisoire » en cas de non-respect du délai de quinze jours et d’une « fermeture de l’ensemble des structures » dans le cas où le conseil d’administration refuserait de voter sur le principe précité. Conformément à une jurisprudence bien établie, le Conseil d’État y a donc vu un acte faisant grief susceptible de recours.

Dès lors, comme l’avait fait avant lui la cour, il va constater que l’administration a excédé ses pouvoirs en exigeant de l’association qu’elle « souscrive à l’abandon de son activité » dès lors que cette mesure « n’est pas au nombre de celles que l’autorité de tarification peut, sur le fondement de l’article L 313-14-1 enjoindre de prendre pour remédier au déséquilibre financier ou aux dysfonctionnements constatés ».
Cette annulation confirmée, reste à en établir les conséquences sur les autres décisions prises au premier rang desquels figure l’arrêté prononçant la fermeture des structures.

Dans un premier temps, cette question ne s’est pas posée puisqu’en même temps qu’elle annulait l’injonction, la cour annulait pour défaut de procédure contradictoire l’arrêté du 23 décembre 2009 nommant l’administrateur provisoire. Dans sa décision n° 372468 du 5 octobre 2015, le Conseil d’État aboutit à la même conclusion aux termes d’une substitution de motif en estimant qu’elle résulte « nécessairement » de l’annulation de l’injonction et non du défaut d’un vice de procédure dès lors que l’article L 313-14-1 subordonne ladite nomination à une injonction préalable.
En revanche comme cela a été rappelé plus haut, il prend le contrepied de la cour en refusant d’annuler la décision de fermeture. Mieux, comme on l’a vu précédemment, il va s’appuyer sur les motifs énoncés en tête de l’injonction pour estimer que la cour a commis une erreur de droit en retenant le défaut de procédure contradictoire comme motif d’annulation.

Le Conseil d’État considère en effet que même « entachée d’une illégalité susceptible d’entraîner son annulation comme acte décisoire (…) » l’injonction a, par ses motifs, informé l’association sur ce qui lui était reproché lui permettant ainsi de répondre en formulant par écrit des observations sans que l’administration soit juridiquement tenue de l’y inviter expressément.
La Haute-Assemblée confirme ainsi que lorsque le destinataire d’une décision de fermeture a été, qu’elle qu’en soit les modalités, informé des griefs retenus à son encontre et pouvant justifier la décision, il doit se considérer comme en situation de présenter ses observations sans attendre que l’administration l’y invite formellement et ce, même si l’acte portant lesdites informations est illégal et, comme tel, finalement annulé par le juge.

La jurisprudence traduit donc à l’évidence un souci de pragmatisme en veillant à ce que les exigences procédurales destinées à garantir les droits du gestionnaire n’empêchent pas, par une application trop stricte, l’administration de procéder à une fermeture dès lors que celle-ci paraît justifiée en fait comme en droit.
Ainsi confirmée, la décision de fermeture débouche sur le transfert des autorisations à des tiers choisis par l’administration.

2. Les conditions juridiques du transfert des autorisations

En son article L 313-1, le Code de l’action sociale et des familles prévoit l’hypothèse d’une cession d’autorisation décidée par un gestionnaire de droit privé au profit d’un autre opérateur. Il envisage aussi le sort des autorisations dans l’hypothèse d’une fermeture définitive prononcée sur le fondement de l’article L 313-16. Dans ce cas, aux termes de l’alinéa 2 de l’article L 313-18 elles peuvent « être transférées par l’autorité qui les a délivrées à une collectivité publique ou un établissement privé poursuivant un but similaire ».
C’est ce que décide ici les autorités administratives par deux arrêtés distincts qui transfèrent neuf des onze structures gérées par l’association Le Colombier à l’association ADAPT et les deux foyers de vie restant à l’association HAARP. Ce faisant, elles ont non seulement choisir les repreneurs, mais également écarté d’autres candidats qui vont, de leur côté, contester leur mise à l’écart. Tandis que les associations bénéficiaires des transferts ont été à chaque fois « intervenantes » dans les contentieux initiés par l’association Le Colombier ou les autorités administratives. A chaque fois, les juridictions ont constaté l’intérêt des repreneurs désignés au maintien des décisions ayant fait l’objet d’un appel ou d’un pourvoi en cassation et ont, en conséquence, admis lesdites interventions.

A l’image de la décision de fermeture, le transfert des autorisations a nourri un abondant contentieux.
Par un jugement n° 1005634 du 13 mars 2012, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 3 mai 2010 portant transfert des autorisations.
Puis par un arrêt nos 12VE01011, 12VE01012 du 9 juillet 2013, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté les requêtes du département du Val d’Oise et du ministre des Affaires Sociales et de la Santé et confirmé le jugement d’annulation. Mais, par une décision n° 372470 du 5 octobre 2015, le Conseil d’État a annulé l’arrêt précité et a renvoyé l’affaire à la cour administrative d’appel de Versailles qui par une décision du 19 juillet 2016 (n° 15VE03156) s’est finalement ralliée à la position du Conseil d’État.

Le débat juridique a bien entendu concerné la compétence des autorités administratives pour organiser le transfert des biens, activités et contrats de travail de l’organisme gestionnaire d’un établissement médico-social vers un autre organisme.
En la matière, s’opposant aux termes du jugement du 13 mars 2012 et de l’arrêt du 9 juillet 2013, le Conseil d’État décide que « le transfert d’autorisation prévu par l’article L. 313-18 du Code de l’action sociale et des familles a pour objet de permettre à une autre personne physique ou morale de droit public ou de droit privé de poursuivre l’exploitation d’un établissement ou d’un service social ou médico-social dont la fermeture définitive est intervenue notamment en application de l’article L. 313-16 du même code, afin d’assurer la continuité de son activité ; qu’il appartient aux autorités compétentes, si elles entendent mettre en œuvre ces dispositions, de rechercher la collectivité ou l’organisme auquel la gestion de l’établissement ou du service peut être transférée, dans le but de garantir au mieux la continuité de la prise en charge des personnes accueillies ; que si aucune disposition du Code de l’action sociale et des familles n’organise la procédure au terme de laquelle les autorités compétentes peuvent opérer ce choix, il leur est toujours loisible d’organiser une procédure transparente d’appel à candidatures et de sélection, en vue de choisir un organisme repreneur ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant que les représentants de l’État et du département, autorités détentrices du pouvoir de délivrer l’autorisation, n’étaient pas compétents pour organiser une telle procédure » et renvoie en conséquence l’affaire devant la cour de Versailles.

L’intérêt de ce considérant est d’affirmer, en l’absence de procédure légalement organisée, la liberté des autorités compétentes pour attribuer les autorisations à transférer. Au motif que le Code de l’action sociale et des familles n’organise pas la procédure applicable, dans cette hypothèse particulière de mise en œuvre de l’article L 313-16, l’administration peut, sans y être juridiquement contrainte, organiser une mise en concurrence en vue de choisir le repreneur. Mais elle peut aussi le choisir elle-même.
En l’occurrence donc, le juge administratif considère que les dispositions de l’article L 313-1-1 qui obligent l’administration à organiser un appel à projets avant de délivrer une autorisation lorsque des projets « de création, de transformation et d’extension d’établissements ou de services sociaux et médico-sociaux (…) font appel, partiellement ou intégralement, à des financements publics » ne s’appliquent pas aux transferts rendus nécessaires par une décision de fermeture prise au visa de l’article L 313-16.
Rien de vraiment surprenant dès lors que ledit transfert n’entre dans aucun des catégories prévues à l’article précité. C’est donc tout à fait logiquement que le Conseil d’État peut constater que faute de dispositions ad hoc, l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour organiser, dans ce cas particulier, le choix du repreneur.
En d’autres termes, aux yeux du Conseil d’État, l’impératif de continuité l’emporte sur le principe de transparence des procédures qui, s’il était prévalent en l’occurrence, déboucherait sur une mise en concurrence obligatoire.

En l’espèce, le préfet du Val-d’Oise et le président du Conseil général du même département ont cependant institué le 17 décembre 2009 une procédure de sélection, intitulée « appel à manifestation d’intérêt » en vue de retenir les organismes susceptibles de reprendre les activités des établissements et services gérés par l’association Le Colombier accueillant des personnes handicapées mentales dans le département.
La légalité de ce dispositif étant ainsi établie, la cour devant laquelle l’affaire est renvoyée devait, par l’effet dévolutif de l’appel, examiner la légalité du rejet de la candidature du gestionnaire concerné.

La cour va tout d’abord juger que n’entrant dans aucune des catégories visées à l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, aujourd’hui codifié à l’article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration, la décision de rejet de la candidature « ne constitue pas le refus d’une autorisation » et n’a donc pas à être motivée. Ce qui accentue le caractère discrétionnaire de la décision que l’administration prend à la suite de la fermeture.

Ensuite, répondant à un moyen soulevé par l’association requérante, le juge d’appel souligne qu’une procédure d’« appel à manifestation d’intérêt » n’est pas une procédure de marché public, de sorte que le respect des principes fondamentaux de la commande publique ou des textes qui lui sont applicables ne saurait être utilement invoqué. Il est en effet certain que compte tenu du mode de rémunération du gestionnaire qui ne consiste pas en un prix payé par l’administration en échange de services destinés à satisfaire ses besoins propres, la délivrance d’une autorisation ne saurait être assimilée à un marché public nonobstant le fait qu’elle est précédée d’une publicité et d’une mise en concurrence.
Ce qui conduit la cour à juger « qu’à la date de publication de l’avis d’appel à manifestation d’intérêt, aucun texte ni aucun principe n’imposait à l’administration de préciser les critères de sélection et les modalités de notation ou d’évaluation des projets » comme elle devrait obligatoirement le faire dans le contexte d’un marché public et même si, en pratique, ceux-ci l’étaient dans le corps de l’appel à manifestation d’intérêt de sorte qu’aux yeux du juge la procédure était transparente ».

Le même motif conduit la cour à juger que « l’appel à manifestation d’intérêt » imposait seulement aux autorités compétentes d’informer les candidats du rejet de leur candidature sans qu’elles soient tenues d’indiquer les motifs ni l’identité des candidats retenus contrairement à ce que prévoyait le Code des marchés publics à l’époque des faits mais que le requérant ne peut utilement invoquer puisqu’il n’est pas applicable au cas d’espèce.

Enfin, constatant qu’en contradiction avec l’article VI de l’appel à manifestation d’intérêt la « commission d’examen » n’a pas été consultée ce qui, incontestablement vicie la procédure, la cour relève que celle-ci ne pouvait être réunie du fait que devait siéger en son sein le président de l’association Le Colombier et le directeur général de transition alors que d’une part l’association s’est portée candidate à la reprise des structures fermées et que d’autre part, à la date de ladite réunion, le poste de directeur général de transition avait été supprimé. Dans ces conditions décide la cour, l’absence de consultation de cette commission, qui ne pouvait plus être réunie dans la composition requise, n’a pas vicié la procédure, puisqu’elle n’a pas privé effectivement le demandeur d’une garantie et n’a pas influencé le sens de la décision attaquée.

Ce faisant, sans la nommer, la cour fait usage de la théorie jurisprudentielle dite des « formalités impossibles » développée notamment pour permettre que l’administration ne soit pas empêchée de prendre une décision lorsque l’organisme qu’elle doit préalablement consulter n’est pas en état de siéger pour un motif qui évidemment n’est pas imputable à l’administration elle-même.

In fine le gestionnaire mis en cause, l’administration, les repreneurs et les candidats à la reprise des établissements et services fermés se trouvent donc, au terme d’un long et éprouvant parcours contentieux fait de décisions contradictoires, en présence d’une fermeture et d’un transfert de gestion confirmés alors même que l’injonction préalable a été jugée illégale sans toutefois perdre ses vertus informatives, que la nomination de l’administrateur provisoire a été elle aussi annulée, que le principe du contradictoire a été appliqué a minima et que la liberté de l’administration pour choisir les repreneurs a été fortement affirmée.

Est ainsi révélé, par la volonté du Conseil d’État, un état de l’équilibre entre les droits et obligations respectifs des parties fortement empreint de pragmatisme dès lors que les garanties procédurales offertes aux gestionnaires ou aux candidats à la reprise ne doivent pas, aux yeux du juge, faire trop obstacle à la nécessaire intervention administrative du fait de la matérialité et de la gravité des faits qui la justifient.

Jacques Hardy Avocat associé (Barthelemy Avocat - Paris) Professeur de droit public (Lille 2 - Ceraps)