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Le nécessaire équilibre contractuel. Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.
Parution : mardi 27 septembre 2016
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L’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce dispose :
« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou « personne immatriculée au répertoire des métiers : (…)
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »
.

Le contrôle de l’équilibre contractuel est facilité par l’énumération de pratiques abusives aux autres alinéas de l’article L. 442-6 du Code de commerce.
Les clauses contractuelles qui sont interdites de plein droit et encourent la nullité en vertu de l’article L. 442-6 II du Code de commerce seront qualifiées d’engagements déséquilibrés, à l’issue d’une analyse clause par clause.

Il en va ainsi des clauses ou contrats permettant à l’une des parties de bénéficier rétroactivement de remises, ristournes ou accords de coopération commerciale, ou bien de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant permettant à l’une des parties d’être contractuellement assurée de rester le client le plus privilégié.

En dehors des cas spécifiquement prévus par d’autres textes, les dispositions contractuelles devront être examinées, en fonction des faits, du contexte, de la situation des parties et de l’économie globale du contrat.

Une clause déséquilibrée à première vue pourra ne pas être sanctionnée si le déséquilibre inhérent à celle-ci est contrebalancé par une autre disposition contractuelle.
La jurisprudence a ainsi précisé que le déséquilibre significatif doit s’apprécier au niveau du contrat dans sa globalité (Cass.com., 3 mars 2015, n°13-27525).

En l’espèce, le ministre chargé de l’Économie reprochant à la société Eurauchan, centrale d’achats des magasins à l’enseigne Auchan, une pratique créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, résultant des clauses des conventions régissant les relations entre cette société et ses fournisseurs, avait assigné celle-ci en nullité de ces clauses, en cessation des pratiques et en paiement d’une amende civile.

Dans son arrêt du 3 mars 2015, la Cour de cassation a jugé que la cour d’appel de Paris, avait violé les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce en se contentant de motivé l’existence d’un déséquilibre significatif par le seul fait que la société Eurauchan avait, par « des clauses de révision de prix, d’une part et par l’annexe 4, d’autre part, de son contrat type, tenté de créer et créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, que le déséquilibre est constitué par l’existence d’une convention unique, même négociée et qu’il devient significatif par la présence dans le contrat type proposé d’obligations injustifiées à la charge du fournisseur et néfastes pour l’économie. »

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a, en effet, jugé que le « déséquilibre significatif » susceptible d’engager la responsabilité de son auteur était « un déséquilibre dans les droits et obligations des parties, qui devait s’apprécier, in concreto, en prenant en compte l’ensemble de ces droits et obligations, tel qu’il ressort du contrat, pris dans sa globalité, et au regard du ’partenaire’ avec lequel il est conclu. »

La jurisprudence a donné de multiples exemples de déséquilibre significatif résultant du contrat pris dans sa globalité :

En matière de charge de la preuve, il a été jugé qu’en présence d’une asymétrie créée par certaines clauses, il appartient au défendeur de prouver l’éventuel rééquilibrage par d’autres clauses du contrat (Com. 3 mars 2015 : précité).

La notion de « partenaire commercial » reste, par ailleurs, aujourd’hui soumise à interprétation.
Selon un avis rendu par la Commission d’examen des clauses abusives (avis n°15-01, du 22 janvier 2015), cette notion implique un examen concret de la relation et de l’objet du contrat en cause. Dans le cas d’espèce, la Commission a considéré que le contrat litigieux s’inscrivant dans la durée – il était conclu pour 48 mois – et étant destiné à développer l’activité des professionnels signataires, la notion de partenariat était présente.

En conclusion, précisons que dans le cadre de la réforme du droit des contrats qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016 (ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016) l’article 1171 du Code civil inséré au sein d’un chapitre consacré à la validité du contrat en général disposera :
« Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »

Si le projet de réforme visait l’abus dans tous les contrats de droit privé, il a finalement été décidé de cantonner ce nouveau texte aux contrats d’adhésion. Il s’agit toutefois d’une étape très importante.

Jean-Baptiste Rozès Avocat Associé OCEAN AVOCATS www.ocean-avocats.com