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Vidéosurveillance et vidéoprotection, petit rappel en ces temps de violence terroriste. Par Olivier de Maison Rouge, Avocat.
Parution : jeudi 29 septembre 2016
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La vidéo, qu’elle soit de surveillance ou de protection, comporte intrinsèquement des risques pour les libertés et droits fondamentaux. La première des libertés susceptible d’être affectée est une liberté fondamentale et constitutionnelle : la liberté d’aller et venir, mais également la protection de la vie privée.
A l’heure du terrorisme et des menaces manifestes sur notre territoire, un tel procédé devient acceptable. En temps de paix, elle devient supportable si et seulement si elle participe à l’élucidation des crimes et délits, a posteriori. Pour ce faire, la caméra devient un outil analytique et prédictif d’analyse comportementale destiné à détecter les anomalies dans les déplacements de foule.

Les débats ici sont toujours passionnels, « la passion a donc pris le pas sur la raison, la vidéosurveillance était à la fois le pire danger pour la démocratie et son meilleur espoir, la solution à la délinquance ou un placebo : tout et son contraire. » [1]
Depuis, les dispositifs vidéo se sont multipliés dans la rue, les magasins, les transports en commun, les bureaux, les immeubles d’habitation et ont été chiffrés à un peu moins d’un million (935 000 caméras, chiffre CNIL, juin 2012 [2]). Du hall d’immeuble à l’entreprise, en passant par la rue et les transports, les dispositifs d’enregistrement des images sont partout et Big Brother n’est pas loin.

Au-delà de la technique, la terminologie utilisée a elle-même évolué : le texte de loi de référence en la matière, la LOPS de 1995 (loi d’orientation du 21 janvier 1995) utilisait le terme de vidéosurveillance, tout comme la première loi LOPPSI en 2002. Lorsque cette dernière sera à son tour modifiée, et deviendra la LOPPSI 2 (loi du 14 mars 2011, loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure), le mot vidéosurveillance sera remplacé par vidéoprotection. Ce glissement sémantique correspondait au passage d’une approche de prévention dans le risque terroriste et la sécurité nationale à une conception plus large permettant la lutte contre la délinquance et le sentiment d’insécurité. Le vocable est plus englobant et se veut plus « rassurant »/protecteur.
Les dispositifs installés sur la voie publique sont dits de vidéoprotection (soumis à autorisation). Les dispositifs de vidéosurveillance sont installés dans les lieux non ouverts au public (immeubles d’habitation, entreprise). Ils relèvent des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 (déclaration).

Tout enregistrement visuel doit répondre à une finalité. Le Code de la sécurité intérieure (art. L. 251-1 à L. 255-1) précise que cela doit correspondre à l’un des 9 points suivants : « aux fins d’assurer la protection des installations et des bâtiments publics et de leurs abords, la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, la régulation des flux de transport, la constatation des infractions aux règles de la circulation, la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans les lieux particulièrement exposés à des risques d’agressions, de vols ou de trafic de stupéfiants ainsi que la prévention dans des zones particulièrement exposées à ces infractions, des fraudes douanières, la prévention des actes de terrorisme, la prévention des risques naturels ou technologiques, le secours aux personnes et la défense contre l’incendie, la sécurité des installations accueillant du public dans les parcs d’attraction ».

Différentes formalités administratives doivent être accomplies, auprès de la préfecture et de la CNIL principalement mais également auprès d’autres organismes selon le cadre de l’opération. Les formalités varient en fonction des lieux qui sont filmés.

Sur la voie publique

La transmission et l’enregistrement d’images sur la voie publique peuvent être mis en œuvre par les « autorités publiques compétentes » (préfet, maire, responsable d’établissement public ou de service public,…). Ces opérations doivent être réalisées de « telle sorte qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des immeubles d’habitation ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées ». Le public doit être informé de manière claire et permanente de l’existence du système de vidéoprotection et de l’autorité ou de la personne responsable. Ces dispositifs peuvent permettre de constater des infractions aux règles de circulation, réguler les flux de transport.

Seules les autorités publiques (municipalités) peuvent filmer la voie publique. Ni les entreprises, ni les établissements publics ne peuvent filmer la voie publique. Ils peuvent seulement filmer les abords immédiats de leurs bâtiments et installations dans les lieux susceptibles d’être exposés à des actes de terrorisme et à la condition que les images ne participent par à la violation de la vie privée d’autrui. Les particuliers ne peuvent quant à eux filmer que l’intérieur de leur propriété, non la voie publique (même pour surveiller leur voiture garée devant le domicile).

Lorsque des systèmes de vidéoprotection sont mis en place, le dispositif doit tout d’abord être autorisé par le préfet (le préfet de police à Paris), après avis d’une commission départementale de vidéoprotection présidée par un magistrat. L’autorisation est valable 5 ans et renouvelable. La demande d’autorisation doit être déposée par l’autorité décidant de la mise en œuvre du dispositif, éventuellement accompagnée dans cette procédure par son prestataire technique.

En cas d’urgence et de risques particuliers d’actes de terrorisme, une procédure d’autorisation provisoire (4 mois) est prévue. Cette procédure s’applique aussi lorsque les autorités sont informées de la tenue imminente d’une manifestation ou d’un rassemblement de grande ampleur présentant des risques particuliers d’atteinte à la sécurité des personnes et des biens. Enfin, le préfet peut demander à une commune d’installer un système de vidéoprotection pour prévenir des actes de terrorisme et protéger les abords d’établissements vitaux pour le pays (centrales nucléaires, réseaux d’eau potable, gares, aéroports…). Le conseil municipal doit en délibérer dans un délai de 3 mois.
En principe, le dispositif de vidéosurveillance installé dans un lieu ouvert au public n’a pas à être déclaré à la CNIL. L’exception concerne toutefois le cas particulier où les caméras sont associées à un système biométrique (ex : reconnaissance faciale) et où dans ce cas, une autorisation de la CNIL est nécessaire.

Dans les lieux et établissements ouverts au public

Dans le but d’assurer la sécurité des personnes et des biens, un dispositif de vidéoprotection peut être mis en place dans les lieux ou zones publics particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic de stupéfiants. Les exemples de mise en place de ces systèmes concernent fréquemment les commerces et les établissements scolaires.

S’agissant des commerces, le but est relatif à la lutte contre les vols de marchandises par les clients ou les employés. Le but est dissuasif ou pour identifier les auteurs de vols ou d’agressions.
En premier lieu, les dispositifs de vidéosurveillance doivent être déclarés à la CNIL. Une déclaration doit être effectuée pour chaque site ou établissement équipé. Tout système qui n’a pas fait l’objet d’une déclaration à la CNIL ne peut être opposé aux employés. Si l’organisme qui a mis en place le système a désigné un Correspondant informatique et libertés (CIL), aucune formalité n’est nécessaire auprès de la CNIL, le CIL devant noter ce dispositif dans son registre.
Ensuite, ces dispositifs doivent être autorisés par le préfet du département (le préfet de police à Paris).
Enfin, les instances représentatives du personnel doivent être informées et consultées avant toute décision d’installer des caméras sur leur lieu de travail.

S’agissant des établissements scolaires, la pratique s’est développée d’installer des caméras qui filment les couloirs, les halls d’entrée (pour des fins de sécurité des biens ou des personnes : lutte contre les violences entre élèves, les dégradations matérielles, les vols…) ou la rue aux abords de l’établissement (pour des fins de sécurité des abords : lutte contre les dégradations matérielles, violences, tentative d’intrusion de personnes étrangères à l’établissement…). L’intérieur comme l’extérieur sont donc ici concernés. Les dispositifs vidéo peuvent filmer les accès à l’établissement et les espaces de circulation, non les lieux de vie de ce dernier. La CNIL recommande aux chefs d’établissements concernés d’adopter une « charte d’utilisation de la vidéosurveillance » en impliquant l’ensemble des acteurs (administration, personnel, représentants des parents d’élèves).

La procédure à suivre pour la mise en place de ce système est la suivante : cela varie selon que la caméra filme l’intérieur ou l’extérieur de l’établissement. Dans la première hypothèse, une déclaration auprès de la CNIL. Un système qui n’aurait pas été déclaré ne peut être opposé aux agents. Un CIL est également possible et supprime les formalités auprès de la CNIL. Si la vidéosurveillance concerne l’extérieur (abords et voie publique), le dispositif doit être autorisé par le préfet. Enfin, dans les 2 cas, la décision de mise en place de la vidéo est prise par le chef d’établissement mais après délibération du conseil d’administration compétent sur les questions relatives à la sécurité.

Un objectif : la protection de la vie privée

Les images filmées sur la voie publique ne sont pas accessibles à tous. Seules les personnes habilitées par l’autorisation préfectorale, et dans le cadre de leurs fonctions (ex. : les agents du centre de supervision urbain) peuvent visionner les images enregistrées.

Pour la vidéosurveillance dans les commerces, les images enregistrées ne doivent pas être librement accessibles. Seuls les responsables de la sécurité ou la direction du magasin doivent pouvoir les visualiser. Il est aussi possible d’installer des caméras filmant la zone marchande avec un écran de visualisation des images en direct disposé à l’entrée du magasin et visible de tous les clients.

Dans les établissements scolaires, seules les personnes habilitées dans le cadre de leurs fonctions peuvent consulter les images (ex : chef d’établissement).

A l’instar des données personnelles en matière informatique, la conservation des images ne doit excéder une certaine durée : 1 mois. En règle générale, conserver les images quelques jours suffit à effectuer les vérifications nécessaires en cas d’incident, et permet d’enclencher d’éventuelles procédures pénales. Si de telles procédures sont engagées (enquête de flagrant délit, enquête préliminaire ou information judiciaire), les images sont alors extraites du dispositif (après consignation de cette opération dans un cahier spécifique) et conservées pour la durée de la procédure.
Lorsque c’est techniquement possible, une durée maximale de conservation des images doit être paramétrée dans le système. Elle ne doit pas être fixée en fonction de la seule capacité technique de stockage de l’enregistreur.

Les personnes filmées doivent être informées, au moyen de panneaux affichés de façon visible : de l’existence du système, de son responsable, des modalités concrètes d’exercice de leur droit d’accès aux enregistrements visuels les concernant. Ces panneaux sont affichés en permanence dans les lieux concernés et doivent être compréhensibles par tous les publics (information claire et permanente). Lorsque le système est mis en place dans un commerce, chaque employé doit en plus être informé individuellement (au moyen d’un avenant au contrat de travail ou d’une note de service par ex.). Les personnes ont un droit d’accès aux enregistrements les concernant et de vérification de leur destruction dans le délai prévu. Cet accès est un droit (sauf refus pour un motif tenant à la sûreté de l’État, la défense, la sécurité publique, le déroulement des procédures juridictionnelles ou aux droits des tiers).

Il est possible de saisir le service des plaintes de la CNIL. Elle peut contrôler tous les dispositifs installés sur le territoire national, qu’ils filment des lieux fermés ou ouverts au public. Un recours est également possible devant les services de la préfecture, les services de police ou de gendarmerie, le procureur de la République. Lorsque le dispositif concerne un commerce, un recours est possible auprès des services de l’inspection du travail.

Enfin des sanctions sont possibles. Sans préjudice des dispositions spécifiques relevant du Code pénal par exemple, sont punis d’emprisonnement et d’amende le fait de procéder à des enregistrements de vidéosurveillance sans réalisation des formalités administratives, de ne pas les détruire dans le délai, de les falsifier, d’entraver l’action de la commission départementale, de faire accéder aux images des personnes non habilitées, et d’utiliser ces images à des fins autres que celles pour lesquelles elles sont habilitées. Sanctions pénales (art. L. 254-1 Code de la sécurité intérieure) : 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, sans préjudice des dispositions des Codes du travail ou pénal (art. 226-1 CP et L. 1121-1, 1221-9, 1222-4 et 2323-32 Code du travail).

Olivier de Maison Rouge Avocat - Docteur en droit - LLCM AVOCATS Auteur du "droit de l'intelligence économique" Lamy, 2012 "le droit du renseignement - renseignement d'Etat, renseignement économique", LexisNexis, 2016

[1Alain Bauer et François Freynet, « Vidéosurveillance et vidéoprotection », Puf, Que sais-je ?, juin 2012.

[2Chiffre ministère de l’Intérieur 2011, rapport relatif à l’activité des commissions départementales : 897 750 caméras autorisées depuis 1995, dont 70 003 pour la voie publique et 827 749 pour les lieux ouverts au public. La CNIL a reçu 35 000 déclarations de dispositifs de vidéosurveillance depuis 1978 (pouvant comporter 1 à plusieurs dizaines de caméras). Ces dispositifs concernent principalement la vidéosurveillance au travail.

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