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La montée en puissance des appels d’offres dans le secteur juridique.
Parution : mardi 4 octobre 2016
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La procédure d’appel d’offres est déjà largement utilisée dans de nombreux domaines de la vie économique de l’entreprise.
Sous l’influence des directeurs « achats » et financiers, les procédures d’appel d’offres ont progressivement été adoptées par l’ensemble des départements de l’entreprise, y compris le département juridique. De plus en plus d’entreprises commerciales établissent des politiques internes rendant le recours à des appels d’offres en matière juridique obligatoire et ce, quelle que soit la taille du projet ou la compétence requise. Aujourd’hui, à titre d’exemple, toutes les grandes banques sélectionnent périodiquement leur panel d’avocats.

Cette procédure s’est également professionnalisée. En témoigne l’émergence d’une nouvelle catégorie professionnelle au sein des grandes entreprises : les spécialistes « achats » de services juridiques. Lorsqu’un directeur juridique décide de confier la résolution d’une problématique juridique à un avocat, ces professionnels d’un nouveau genre sont systématiquement impliqués. Les équipes juridiques et les équipes « achats » préparent alors main dans la main un appel d’offres dans les règles de l’art. Selon des estimations récentes, deux tiers de sociétés du « Fortune 500 » aux Etats-Unis comptent des spécialistes « achats » de services juridiques. [1]

La procédure d’appel d’offres dans le secteur juridique s’est tellement répandue qu’elle commence à être utilisée par les particuliers eux-mêmes.

Bénéfices clients attendus

Les bénéfices escomptés par les prospects qui lancent un appel d’offres pour sélectionner leur avocat s’articulent autour de 4 grandes thématiques :

Valeur
- Maximisation du pouvoir d’achat ;
- Obtention de services de qualité auprès de fournisseurs réputés ;
- Fluidification des opérations juridiques ;
- Structuration des honoraires via des modes de règlement alternatifs (honoraires forfaitaires, honoraires de résultat) permettant un meilleur alignement des intérêts du client et de l’avocat ;
- Prévention d’éventuels risques de conflits d’intérêts ;
- Stimulation du marché de l’offre.

Prix
- Obtention d’offres compétitives ;
- Minimisation des coûts ;
- Augmentation de la transparence tarifaire ;
- Budgétisation et prévision des coûts.

Gain de temps
- Lancer un appel d’offres permet d’éviter de démarcher des cabinets d’avocats un par un.

Transparence
- Comparaison des offres de services reçues sur base de différents critères ;
- Evitement de l’effet « silo » du marché de l’offre.

Les justiciables adoptent de nouveaux usages.

Le consommateur de droit souhaite être placé aux commandes et avoir à sa disposition l’ensemble des éléments objectifs qui lui permettront de sélectionner son avocat de manière sereine et éclairée.

Eu égard à l’ensemble des bénéfices escomptés, du point de vue du client, la question n’est pas tant « pourquoi lancer un appel d’offres » mais plutôt « pourquoi ne pas en lancer un ? »

La sélection d’un avocat via appel d’offres tend à devenir la règle et la sélection sans appel d’offres, l’exception.

Positionnement des cabinets d’avocats face aux appels d’offres

Certains cabinets d’avocats sont encore réticents à participer aux appels d’offres. Les raisons en sont multiples :
- crainte de dumping des prix ;
- crainte d’une stratégie client de renégociation à la baisse des honoraires de son conseil sans réelle volonté de confier un mandat ;
- répondre à des appels d’offres est chronophage et non rémunérateur ;
- la nature des services juridiques (fortement personnalisée) serait incompatible avec un processus de sélection standardisé ;
- la connaissance par l’avocat de l’historique client est un élément qui n’est pas pris en compte dans la pratique des appels d’offres. Or une relation long-terme avec un avocat peut être porteuse de beaucoup de valeur.

Malgré ces écueils, répondre à des appels d’offres demeure une stratégie d’acquisition clients tout à fait pertinente en complément ou en substitution d’autres stratégies.

Les autres canaux d’acquisition clients mis en place par les cabinets d’avocats (marketing, conférence, publications, référencement, adhésion à une alliance d’avocats etc.) ont également leur part d’aléa et nécessitent un certain investissement en temps et en l’argent. Dans ce contexte, il serait dommage de simplement ignorer les sollicitations directes de prospects formulées au travers des appels d’offres.
De fait, nombreux sont les prospects qui sollicitent d’ores et déjà plusieurs avocats avant de confier un mandat.

Le marché du droit est de plus en plus concurrentiel et la volatilité des clients s’accroît. Capter ou fidéliser une nouvelle clientèle est un défi quotidien.
Un prospect qui passe par une procédure d’appel d’offres souhaite simplement s’assurer que son futur avocat sera à même de répondre à ses exigences personnelles.
Une fois cette assurance obtenue, le risque de contestation relatif à l’exécution des prestations ou au règlement des honoraires sera largement diminué. Le processus peut donc s’avérer gagnant-gagnant !

Néanmoins, il est important que le cabinet définisse en amont le positionnement qu’il souhaite adopter face aux procédures d’appels d’offres :
- s’assurer que la procédure d’appel d’offres garantit une égalité d’information et de traitement des avocats participants ;
- s’ouvrir plus largement à cette pratique en période creuse d’activité ;
- affiner ses attentes (domaines de compétence, ambitions de croissance, de prise de parts de marché) ;
- déterminer les ressources humaines à allouer à la formulation d’offres de services ;
- minimiser le temps passé à remplir des offres de services ;
- adopter des standards pour augmenter ses chances d’être sélectionné ;
- définir les dossiers stratégiques pour lesquels le cabinet souhaite vivement être sélectionné et y consacrer des efforts particuliers ;
- s’assurer d’une marge et d’une profitabilité suffisante ;
- définir les appels d’offres qui ne sont pas stratégiques et pour lesquels le cabinet ne souhaite pas positionner d’offres (appels d’offres imprécis, qui n’entrent pas dans un domaine de compétence, ou dans la clientèle-cible etc.).

Conclusion
En l’espace de quelques années seulement, la manière d’acheter des services juridiques a évolué et s’est beaucoup structurée.
Le secteur juridique a basculé d’un « marché de l’offre » à un « marché de la demande ».
Le consommateur du droit est devenu extrêmement attentif et exigeant quant à la valeur délivrée par l’avocat. La procédure d’appel d’offres est un outil très précieux pour éclairer le choix du prospect et lui offrir une certaine tranquillité d’esprit. C’est la raison pour laquelle les procédures d’appel d’offres en vue de sélectionner son avocat se multiplient actuellement.
Le cabinet de conseil et de stratégie Altman Weil Inc. (US) indique dans ses dernières études de marché que les cabinets d’avocats américains ont d’ores et déjà intégré cette évolution du marché. Lorsqu’un cabinet franchit un pallier de 250 « fee earners », il embauche une personne à plein temps pour répondre aux appels d’offres.

Rédaction du village

[1LEGAL PROCUREMENT HANDBOOK (Silvia Hodges Silverstein ed., 2015).