Village de la Justice www.village-justice.com

Ordonnance sur requête : une exception au principe du contradictoire. Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.
Parution : jeudi 13 octobre 2016
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Ordonnance-sur-requete-une-exception-principe-contradictoire,23256.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

L’article 145 du Code de procédure civile dispose : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

L’article 493 du Code de procédure civile dispose : « L’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. »

L’article 494 du Code de procédure civile dispose : « La requête est présentée en double exemplaire. Elle doit être motivée. Elle doit comporter l’indication précise des pièces invoquées (…). »

L’article 495 du Code de procédure civile « L’ordonnance sur requête est motivée (…). Copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. »

Selon une jurisprudence constante, le juge doit, en principe, être saisi en référé, selon une procédure contradictoire.
Ce n’est que par exception, lorsque les circonstances l’exigent, que la mesure demandée ne soit pas prise contradictoirement, qu’elle peut l’être sur requête (Cass. Com., 29 janvier 2002, n°00-11.13 ; Civ.2, 11 février 2010, n° 09-11.342).

En effet, la contradiction est une exigence primordiale du procès civil, les mesures d’instruction nécessaires à la manifestation de la vérité, doivent, dès lors, en principe, suivre une procédure contradictoire et donc en référé.
Ce n’est ainsi que par exception, lorsqu’il est légitime, pour l’utilité d’une mesure que l’on est en droit d’obtenir, de ne pas informer la personne visée contre laquelle elle est demandée, on peut recourir au juge des requêtes.

La requête et l’ordonnance doivent être motivées.

Aux termes respectivement des articles 494 et 495 du Code de procédure civile, la requête ainsi que l’ordonnance doivent être motivées.
Eu égard à la jurisprudence constante en la matière, c’est la requête qui doit justifier en quoi les circonstances commandaient la dérogation à la contradiction, le juge de la rétractation étant tenu de statuer au vu des seuls motifs exposés dans cette dernière, ces motifs ne peuvent être utilement contestés devant la Cour de cassation.

Le requérant doit ainsi apporter la preuve que cette condition est bien remplie, faute de quoi la requête doit être déclarée irrecevable et la mesure demandée ne peut être obtenue que par la voie d’un référé, c’est-à-dire après un débat.

Une simple affirmation ne suffit pas à cet égard (Cass. civ.2, 7 juin 2012, n°11-20.934).
La Cour doit ainsi vérifier que le juge était été régulièrement saisi, et rechercher si l’ordonnance caractérise effectivement les circonstances autorisant à déroger au principe de la contradiction.

La requête doit ainsi être motivée par des éléments précis de l’espèce.

La Cour de cassation a jugé qu’en statuant ainsi, alors que la requête n’énonçait expressément aucune circonstance susceptible d’autoriser une dérogation au principe de la contradiction et que l’ordonnance se bornait à indiquer, sans autre précision, qu’une mesure de production forcée serait inopérante, la cour d’appel a violé les articles 4, 493, 494 et 812 du Code de procédure civile (Cass. civ.2, 8 janvier 2015, n°13-27.740).

La seule plaidoirie ne suffit pas. Si le plaideur ne motive pas réellement sa requête, même s’il obtenait tout de même une ordonnance faisant droit à sa requête, il risquerait la rétractation.

Selon la doctrine, juger du contraire reviendrait à banaliser la procédure sur requête qui pourrait alors être utilisée pour faire ordonner n’importe quelle mesure urgente « pourvu que, sur le recours en rétractation, se tienne un débat contradictoire sur ses mérites » (M. Foulon et Y. Strickler, Le constat sur requête avant tout procès – quatre ans après : Dr. Et proc. 2010, p. 307).

L’article 495 alinéa 3 du Code de procédure civile dispose que : « Copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. »

Jusqu’au 4 juin 2015, une jurisprudence unanime et constante estimait qu’en application de cet article 495 alinéa 3 du Code de procédure civile, la requête et l’ordonnance rendue sur ladite requête devaient être portées à la connaissance de la personne désignée dans cette dernière comme étant celle à l’encontre de laquelle un procès est susceptible d’être engagé, quand bien même la mesure ordonnée devait être exécutée chez un tiers (Cass. civ. 2, 9 avril 2009, n°08-12.503).
En application de cette règle édictée par cette jurisprudence constante, toute ordonnance exécutée au mépris de cette exigence était exposée à une rétractation automatique.

Or, par deux arrêts du 4 juin 2015, et d’autres arrêts qui ont suivi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rompu avec cette évolution jurisprudentielle et a opéré une réduction drastique de la liste des bénéficiaires de la règle instituée par l’article 495 alinéa 3 du Code de procédure civile en jugeant que l’article 495 alinéa 3 du Code de procédure civile ne s’applique qu’à la personne qui supporte l’exécution de la mesure.

Selon une doctrine majoritaire, un tel allègement des obligations du requérant est de nature à susciter une instrumentalisation malsaine de l’article 145 du Code de procédure civile (M. Foulon et Y. Strickler, Délicate voie sur requête, JCP 2015.947).
Il n’est dès lors pas impossible que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation change à nouveau sa jurisprudence ou que l’Assemblée Plénière en décide un jour autrement.

Rappelons ici à toutes fins que les éventuels manquements à une obligation professionnelle ne saurait s’apprécier qu’au regard du droit positif existant à l’époque de l’intervention d’un auxiliaire de justice (Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n°10-24550).
Ce principe général applicable à tous a été également retenu par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation dans son arrêt du 21 décembre 2006 (Cass. Ass. Plénière, 21 décembre 2006, n°00-20493).

C’est ainsi qu’il parait possible de soutenir qu’antérieurement au revirement de jurisprudence opéré par les deux arrêts du 4 juin 2015 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, l’huissier était tenu de porter à la connaissance la requête et l’ordonnance rendue sur ladite requête à la personne désignée dans cette dernière comme étant celle à l’encontre de laquelle un procès est susceptible d’être engagé.

En dépit du revirement, pour l’instant toujours d’actualité, opéré le 4 juin 2015 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, il est conseillé de continuer à demander à l’huissier de porter la requête et l’ordonnance à la connaissance en plus de la personne qui supporte l’exécution de la mesure, également à la personne désignée dans cette dernière comme étant celle à l’encontre de laquelle un procès est susceptible d’être engagé.

Jean-Baptiste Rozès Avocat Associé OCEAN AVOCATS www.ocean-avocats.com
Comentaires: