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Le principe des responsabilités communes mais différenciées dans les conventions de droit international de l’environnement. Par Gabriel Babadi, Jurisconsulte.
Parution : mardi 25 octobre 2016
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Le droit international se base sur l’égalité des États concernant tant pour les droits dévolus à tous que pour les obligations qui doivent être réciproques. Cette conception tire son origine du modèle international Westphalien et est repris dans la Charte des Nations Unies en son article 2.1 [1]. Cependant, il est une exception à ce principe d’égalité entre États en droit international ; ce bémol ressort au travers du principe des responsabilités communes mais différenciées (PRCD).

Ce principe va connaitre un essor dans le droit international de l’environnement, un droit né « à l’époque où les revendications d’un nouvel ordre économique sont omniprésentes » [2].
Le principe de la différenciation fera son chemin jusqu’à devenir l’un des principes centraux du droit international de l’environnement alors qu’il battait de l’aile dans d’autres domaines du droit international tel que le commerce international. Il peut être défini « comme une technique juridique qui consiste à moduler les obligations conventionnelles des États en fonction du niveau et des besoins de leur développement » [3]. Ainsi, le PRCD préconise un approche intégrée entre la protection de l’environnement et le développent économique.

Comment est-ce que le PRCD s’est intégré dans le droit international de l’environnement et de quelle manière est-il repris dans les conventions internationales sur l’environnement ? Sont là les deux points que nous expliciterons dans la présente. Nous traiterons de l’émergence du PRCD en droit international de l’environnement, en s’appesantissant sur ses origines et justifications, dans la première partie. Dans la deuxième partie, nous nous appesantirons sur la manifestation du PRCD dans les conventions internationales sur l’environnement qui recours la différenciation relatives aux obligations et à la différenciation relatives à la coopération interétatique.

Partie I. L’avènement du PRCD en droit international de l’environnement

L’émergence du PRCD est concomitante à la naissance du droit international de l’environnement ; par le truchement de la Déclaration de Stockholm (1972) avant d’être cristallisé dans la Déclaration de Rio (1992) en son principe 7 (A). Le recours à ce principe se fonde principalement sur deux considérations : d’Equité et Pratique (B).

A. L’origine du PRCD dans le droit international de l’environnement

Outre ces origines qui peuvent remonter à la mise en place du GATT, la différenciation en droit international de l’environnement au travers du principe de la responsabilité commune mais différenciée est récente puisqu’elle tire ses inspirations de la Déclaration de Stockholm (nonobstant cette Déclaration ne reprend pas nommément cette expression).
La déclaration de Stockholm reconnaissait le dilemme auquel les pays en développement rencontrerait en matière de protection de l’environnement et exhortait les pays développés à les soutenir financièrement et techniquement. Cette déclaration « liait le sous-développement et la nécessité d’un transfert d’une aide financière et technique substantielle et appelait à mettre les techniques intéressant l’environnement à la disposition des pays en développement, à des conditions qui en encouragent une large diffusion sans constituer pour eux une charge économique » [4].

Par la suite, la Déclaration de Rio énonce dans son principe 7 que « les États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial [...] Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées... ». Ce sera la première fois que sera utilisé dans un texte de droit international l’expression « responsabilités communes mais différenciées ».
Pour la Déclaration de Rio, la différenciation entre États se justifie « par leur contribution inégale à la dégradation de l’environnement, d’une part, et par la reconnaissance qu’il faut tenir compte de leur situation économique respective, d’autre part » [5]. De ceci, il apparait que la responsabilité commune des États est celle qui incombe à tous de protéger l’environnement parce que « l’intérêt commun de l’humanité le commande » [6] ; cette responsabilité ne peut être efficace que sur base de la différenciation étant donné le rôle de chacun dans la dégradation de l’environnement.

A partir de ces deux textes, le principe de la responsabilité commune mais différenciée sera reçu dans une multitude d’accords multilatéraux sur l’environnement. On a notamment : la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets (article 2) [7] ; la Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone (art 2.2) [8] ; le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone (art 5 et 10.1) [9] ; la Convention sur la diversité biologique(CBD) (art 6) [10] ; la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (art 4) [11].
Au gré de cette multitude, on retrouvera aussi une grande variété de manifestions du PRCD

B. Le fondement dualiste du PRCD

Le recours au PRCD repose principalement sur deux motifs que sont les considérations d’équité et les considérations pratiques. En effet le PRCD est extrêmement en relation avec l’existence de très grandes déséquilibres entre les États et il ne peut être désuni des facteurs qui régentent la communauté internationale, des facteurs socio-économiques, juridiques et politiques.
S’agissant des considérations d’équité, depuis le sommet de Stockholm les pensées d’équité intergénérationnelle et intra générationnelle ont une place de choix dans le droit international de l’environnement. De ce fait, « au regard des inégalités tant relatives à la contribution aux problèmes environnementaux que relatives aux capacités d’y répondre, l’équité commande de ne pas traiter tous les États sur un pied d’égalité » [12]. Le PRCD opte « fréquemment la forme d’une discrimination positive au profit des pays en développement » [13], « la discrimination positive sert à renforcer la position des faibles et désavantagés dans le but de redresser leur situation » [14].

Quant aux considérations pratiques, elles découlent du fait que le PRCD permet de réunir tant les pays développés que les pays en voie de développement autour des questions et problématiques des régimes environnementaux. Face à l’évidence que la dégradation de l’environnement mondial tire ses origines des modes de production des pays du Nord, les pays du Sud étaient peu enclin de renoncer, au profit de l’environnement, à leurs efforts pour développement économique. Par conséquent, « le recours au traitement différencié constitue la réponse logique à ce défi de conciliation entre protection de l’environnement et développement économique » [15] et « s’avère être une tentative très pragmatique d’assurer une meilleure et plus large mise en œuvre des accords multilatéraux sur l’environnement en tenant compte des différences entre les parties. » [16]

Partie II. Mise en œuvre du PRCD dans les CIE

Le PRCD dans les conventions internationales de l’environnement prend divers formes. Le trait commun entre les techniques de mise en œuvre du PRCD est qu’elles se basent sur une catégorisation des Pays, Pays développés et Pays en développement. Ces techniques mettent en place des mesures offrant des avantages pour les pays en développement.
Pour notre part, dans les lignes qui suivent, nous allons traiter de deux méthodes qui mettent en avant le PRCD dans les Conventions internationales de l’environnement. D’abord, le PRCD peut s’exprimer dans la forme où des États, parties à une même convention, sont soumis à des obligations différentes (A). Ensuite le PRCD peut se refléter sous la forme d’un mécanisme de coopération et soutien (B). Ces méthodes sont le plus souvent utilisées concurremment dans les conventions internationales de l’environnement.

A. Différenciation relatives aux obligations

Cette différenciation a été utilisé très clairement dans le régime sur les changement climatiques ; dans le Protocole de Montréal et moins explicitement dans la CDB, la Convention de Vienne, la Convention de Londres [17].

Dans Protocole de Kyoto, qui fixe des obligations relatives à la diminution des gaz à effet de serre, le PRCD apparait par le fait que les obligations de réduction ne pèsent que sur les pays de l’annexe I, soit les pays développés qui doivent réduire de 5% leur émission par rapport à la situation de 1990.
Ce type de différenciation a été la cause de multiples paralysies dans les négociations, notamment sur les changements climatiques, car la catégorisation sur laquelle elle repose (les situations économique des pays) est dynamique alors que les obligations demeurent figer. En outre, ce sera la raison principale du refus des États-Unis de ratifié le Protocole de Kyoto [18].

Le Protocole de Montréal, pour sa part, donne droit à certains pays en développement, à condition qu’ils répondent à certaines conditions, de retarder leur conformité avec les mesures de réglementation [19].
D’autre part, certaines conventions « modulent les obligations de manière moins nette et plus informelle. Les États souscrivent en apparence tous aux mêmes obligations, mais ces obligations sont assorties de clauses introduisant une certaine souplesse » [20]. « Tout pays peut certes référer à une clause de souplesse contenue dans un traité, mais si celle-ci est invoquée par un pays développé, la légitimité de l’argument est loin d’être acquise d’emblée » [21].

La Convention de Londres exige des mesures à adopter par les parties « en fonction de leurs capacités scientifiques, techniques et économiques » [22]. Tout comme la CDB qui stipule « en fonction des conditions et moyens qui lui sont propres » [23].

B. Différenciation par le soutien et la coopération

Certains conventions comprennent des clauses relatives à la coopération, à un soutien financier et au transfert technologique au profit des pays en développement. « L’idée sous-jacente est la reconnaissance d’une réalité identifiée dès les années 80 qui était celle de traités ratifiés par un grand nombre de pays, mais dont la mise en œuvre ne suivait pas, à la suite du manque de capacités financières, technologiques ou administratives dans la plus part. La réponse du droit international de l’environnement a donc été de reconnaitre la nécessité aux traités adoptés une composante d’aide à la mise en œuvre » [24].

Par exemple, dans la CDB, il est question que « chaque partie s’engage [...] à fournir un appui et avantages financiers ... » [25] aussi que « les pays développes fournissent des ressources financières [...] aux Parties qui sont des pays en développement [...] » [26]. Tout comme dans la Convention sur la lutte contre la désertification où les pays développés s’engagent à fournir les ressources financières aux pays en développement pour mettre en place leurs plans et stratégie contre la désertification [27].
La différenciation par le soutien et la coopération est si cruciale qu’elle a donné naissance à des clauses conditionnelles de mise en œuvre des conventions, les pays en développement ne s’acquittent des obligations que si les pays développés s’acquittent de leurs obligations de transfert de technologie et de ressources financières [28].

Conclusion

Le PRCD a encore des beaux jours en droit international de l’environnement en dépit des critiques dont il peut être sujet. En effet, on l’a reproché d’introduire « de doubles standards de protection de l’environnement. Certains estiment que des inégalités profondes entre pays existeront toujours, mais que la classification en pays développés et pays en développement n’est pas appropriée » [29]. Par conséquent, certains doctrinaires trouvent que la différenciation ne se justifierait que « comme une mesure temporaire pour redresser certaines inégalités qui se termine par un retour à un ordre juridique basé sur l’égalité juridique et des obligations réciproques » [30].

Du reste, le PRCD demeure un concept central du droit international de l’environnement vecteur de pensées éthiques et pratiques visant à réunir des différents pays, ayant des priorités différentes, autour d’une table afin d’adopter des mesures concernant la protection de l’environnement global et de mettre en application ces mesures.

Gabriel BABADI, LLM Jurisconsulte Droit de l'environnement, Finances publiques

[1« L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres »

[2Kristin BARTENSTEIN, « De Stockholm à Copenhague : genèse et évolution des responsabilités communes mais différenciées dans le droit international de l’environnement » McGill Law Journal, 56:1,2010, p.182

[3Kristin BARTENSTEIN et Charles-Emmanuel COTE, « Le traitement différenié au service du développement durable : une réponse juridique appropriée aux modalités entre États ? », Colloque sur les inégalités dans le système mondial : science politique, philosophie et droit, présenté au Centro Brasileiro de Análise e Planejamento, São Paulo, Brésil, 4 septembre 2009 [non publié] cité par Kristin BARTENSTEIN, Op.cit, p.180

[4Phillipe CULLET, « Le principe des responsabilités communes mais différenciées en droit international de l’environnement : en jeux et perspectives », Cahier du droit, 55/1, 2014, p.17-18

[5K. BARTENSTEIN, « De Stockholm à Copenhague ... », Op.cit, p.187

[6S. LAVALLEE, « Le principe des responsabilités communes mais différenciées à Rio, Kyoto et Copenhague : essai sur la responsabilité de protéger le climat », Etudes internationales, 1/41, 2010, p.57

[7Convention de Londres du 29 décembre 1972, entrée en vigueur le 30 aout 1975

[8Convention de Vienne du 22 mars 1985, entrée en vigueur 22 septembre 1988

[9Protocole de Montréal du 16 septembre 1987, entrée en vigueur 1er janvier 1989

[10Convention sur la diversité biologique (CDB) du 5 juin 1992, entrée en vigueur 29 décembre 1995

[11Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992, entrée en vigueur le 21 mars 1994

[12Anita Margrethe Halvorssen, Equality Among Unequals in International Environmental Law : Differential Treatment for Developing Countries, Boulder, Westview Press, 1999, p 30 cité par K. BARTENSTEIN, « De Stockholm à Copenhague ... », op.cit, p.209

[13K. BARTENSTEIN, op.cit p.209

[14K. BARTENSTEIN, op.cit p.209

[15K. BARTENSTEIN, op.cit, p.205

[16Idem, p.201

[17Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets, du 29 décembre 1972, entrée en vigueur le 30 août 1975

[18« Résolution Byrd-Hagel » du Senat des Etats-Unis. Elle conditionnait la ratification à l’engagement des Pays en développement, groupe des économies émergentes, à des réductions chiffrées de gaz à effet de serre.

[19Protocole de Montréal, Art.5.1

[20K. BARTENSTEIN, « De Stockholm à Copenhague ... », op.cit, p.217

[21Ibidem

[22Convention de Londres, Art.2

[23CDB, Art. 6

[24P. CULLET, op.cit, p.20

[25CDB, op. cit, Art. 20.1

[26Idem Art 20.2

[27Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, Art.6.b

[28CDB, op. cit, Art. 20 et CCNUCC, Op. cit, Art 4

[29Joost PAUWELYN, « The End of Differential Treatment for Developing Countries ? Lessons from the Trade and Climate Change Regimes », R.E.C.I.F.I, 22, 2013, p.29 cité par P.CULLET, op.cit, p.25

[30P. CULLET, op. cit, p.26