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Projet de loi de finances 2017 en matière d’ISF : haro sur les actionnaires de holdings. Par Katia Daleau et Cécile Vernudachi, Avocats.
Parution : vendredi 21 octobre 2016
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L’article 4 du projet de loi de finances 2017 présenté par le Gouvernement comporte une nouvelle dérive de la définition de l’abus de droit fiscal et une négation de la personnalité morale des sociétés…

Le projet de loi de finances pour 2017, présenté le 28 septembre dernier, comporte un article dénommé « Mécanisme anti-abus visant à lutter contre certains détournements du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ». Le Gouvernement y propose de faire réintégrer dans le calcul du plafonnement de l’ISF les revenus distribués à une société passible de l’impôt sur les sociétés (IS) lorsqu’elle est contrôlée par le contribuable soumis à l’ISF.

« Le I de l’article 885 V bis du code général des impôts est complété par les deux alinéas ainsi rédigés :
« Les revenus distribués à une société passible de l’impôt sur les sociétés contrôlée par le redevable sont réintégrés dans le calcul prévu à l’alinéa précédent, si l’existence de cette société et le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’impôt de solidarité sur la fortune, en bénéficiant d’un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de ce même alinéa. Seule est réintégrée la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul prévu à l’alinéa précédent.
« En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du précédent alinéa, le litige est soumis aux dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales.
 »

Ce projet de texte constitue selon nous une négation des réalités juridiques et économiques et une nouvelle arme au service de l’insécurité fiscale. Des conditions d’application et une limitation pour le quantum à réintégrer dans les revenus pris en compte pour le plafonnement sont prévues. Néanmoins, nous voyons plusieurs objections à ce texte.

Une négation de la personnalité morale des sociétés...

Jusqu’à nouvel ordre, une société a une personnalité et un patrimoine propre et ceux qui agissent en contrariété avec ces réalités juridiques sont passibles de poursuites civiles et pénales. Les institutions ne peuvent pas, à notre sens, protéger un principe et le contourner au gré des intérêts que l’on veut servir.

Si un contribuable diminue ses revenus de l’année de façon fictive, car en réalité il récupère tout ou partie de la somme « non perçue » (les dividendes conservés par la holding) en usant d’abus de biens sociaux, c’est-à-dire de prises en charge de dépenses personnelles, c’est effectivement critiquable y compris concernant l’application du plafonnement de l’ISF. Toutefois, la réponse appropriée serait de prévoir une réintégration à hauteur strictement de ces prises en charge frauduleuses pour le calcul du plafonnement et non de s’immiscer dans la gestion de la société holding.

Lorsque tout ou partie des dividendes perçus par une société demeure investi dans cette société fussent-ils pour y être des fonds simplement dormants, non placés, les liquidités en cause n’ont pas été à la disposition de l’actionnaire soumis à l’ISF, mais sont et restent la propriété de la société.

Dans le passé, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs censuré une tentative comparable de prise en compte de revenus non réalisés (LF pour 2013, Décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012), opposant que l’exigence de prise en compte des facultés contributives du redevable empêche que soient intégrés dans le plafonnement des revenus que le contribuable n’a pas réalisés ou dont il n’a pas disposé.

Une nouvelle immixtion dans la gestion des entreprises et la création rampante d’un acte anormal de gestion dans la vie privée des particuliers…

Imaginons une holding patrimoniale qui détient une participation dans une société qui a récemment distribué un dividende, mais également des participations dans des sociétés qui peinent à décoller ou bien subissent des difficultés. Si la holding retient ses bénéfices distribuables pour jouer un rôle de soutien financier à une ou plusieurs filiales ou bien parce qu’il est à craindre qu’elle va devoir faire des abandons de créances qui vont venir en quelque sorte annuler a posteriori le résultat distribuable (et ce en étant peut-être pas déductibles fiscalement compte tenu des lois de finances votées ces dernières années). L’administration fiscale est-elle en droit de décider de l’opportunité de la gestion des liquidités à court terme, moyen terme et long terme ? Assiste-t-on à la création d’un postulat selon lequel une gestion normale des réserves dans une société contrôlée par un particulier est la redistribution immédiate la plus large des dividendes ?

L’exposé des motifs du projet d’article est à ce titre édifiant puisqu’il qualifie expressément les holdings de « cash box » mais, ce faisant, laisse transparaître un déni des réalités économiques des assujettis à l’ISF : les redevables ne prélèvent que les liquidités dont ils ont réellement besoin, et pas davantage.

Cela dit, « seule [serait] réintégrée la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul [du plafonnement]. » prévoit le texte du projet de loi.
Mais alors, quel est le quantum approprié ? Est-ce à hauteur de ces emprunts contractés, selon le Gouvernement, afin de compenser l’absence de distribution de dividendes, évoqués dans les commentaires de présentation du projet de loi ? Est-ce à la hauteur d’une diminution du train de vie du redevable de l’ISF ? L’administration fiscale va-t-elle apprécier quel niveau de confort et de luxe sont appropriés pour le redevable, quels cadeaux il ou elle aurait dû faire à ses proches ? Le défaut d’encadrement des possibilités de redressements des services vérificateurs est patent.

A nouveau, l’abus de droit fiscal se dirige vers l’imprécision.

Notons enfin que le Gouvernement cherche à faire créer un nouveau concept d’abus de droit fiscal au sein de la législation sur l’ISF ; un concept à la fois spécifique et vague avec la notion de société « contrôlée » par le redevable dont « l’existence » et « le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’impôt de solidarité sur la fortune ».

Que dire des potentielles inégalités de traitement ? Ainsi, selon nous, en présence, d’une part d’un contribuable qui possède une participation majoritaire dans une société récemment constituée, dont le seul actif est une unique participation apportée par ledit contribuable et d’autre part, d’un contribuable qui « contrôle » depuis de nombreuses années une société holding, qui elle possède différents actifs, si aucun des deux contribuables ne s’est vu redistribuer les dividendes nets reçus par les holdings respectives et chacun bénéficie corrélativement d’une diminution de l’ISF à payer compte tenu du calcul de plafonnement par rapport aux revenus de l’année, seul le premier risquera de tomber dans le champ d’application du dispositif soumis au vote du Parlement ; cela quand bien même l’ISF aurait pesé dans la décision dans les deux cas.

L’article 4 du projet de loi de finances pour 2017 crée un siphon dans lequel de nombreuses différentes situations peuvent tomber en dépit de grands principes juridiques et fiscaux et le quantum des redressements est laissé à un large arbitraire.

Certes, il y a des limitations, certes il est possible de saisir le comité de l’abus de droit fiscal et certes le juge de l’impôt, s’il a bien été saisi, peut se référer à l’esprit de la loi communiqué par le Gouvernement et les débats parlementaires. Mais en attendant qu’un juge, voire la commission des abus de droit, retoque des redressements infondés dans leur principe ou leur montant, le particulier assujetti à l’ISF aura subi un contrôle fiscal extrêmement complexe à gérer et intrusif, sans compter le coût des honoraires d’avocats fiscalistes et autres conseils.

Il importe également selon nous de rappeler au Gouvernement et à l’Administration fiscale que des personnes sont libres de choisir d’effectivement et légalement moduler leurs revenus à la baisse compte tenu du coût d’opportunité « perception d’un dividende versus surcoût ISF ». Cela n’a rien d’une fraude.

Katia Daleau et Cécile Vernudachi, Avocats au Barreau de Paris.