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GPA et droit public : de l’argent public pour financer un militantisme politique en faveur de la GPA, est-ce possible ? Par Bernard Rineau et Hubert Veauvy, Avocats.
Parution : vendredi 21 octobre 2016
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Les débats sur la GPA se multiplient. Les émissions, colloques, articles et livres en tous genres tournent, tous, d’une manière ou d’une autre, autour d’une question fondamentale : est-il admissible de concevoir ainsi un enfant ? Est-il admissible, par exemple en cas de GPA commandée par des couples d’hommes, de programmer la conception d’enfants qui seront définitivement privés de mère ?

En droit français, la GPA est interdite : un principe fondateur du droit français martèle que le corps humain est « indisponible », que nul ne peut disposer du corps d’autrui.
Or, dès lors que le contrat de GPA, après la mise à disposition de son corps par une femme au profit des commanditaires, organise ensuite la mise à disposition de l’enfant à l’adulte désigné par le contrat, on arrive au constat que l’enfant est traité comme un objet, dont on dispose, et cela qu’il y ait ou non une rémunération.

Le principe d’indisponibilité est donc violé.

Pour ces raisons, par un arrêt de la Cour de cassation du 31 mai 1991, puis par des dispositions de la loi Bioéthique du 30 juillet 1994, non modifiées depuis, la prohibition de la GPA a été consacrée :

L’article 16-7 du Code civil dispose solennellement que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». L’article 16-1 alinéa 3, introduit par cette même loi de Bioéthique du 30 juillet 1994, rappelle le fondement de ce principe, en déclarant que : « […] Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. »

Toutefois, avec l’arrêt Mennesson contre France du 26 juin 2014, le droit français est battu en brèche par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle oblige désormais l’État français à transcrire sur les registres d’état civil français la paternité du père (qui a effectué la déclaration de paternité) et la maternité de la mère porteuse (qui a accouché), dès lors que la gestation pour autrui a été réalisée à l’étranger.

Rendu le 21 juillet 2016 par la CEDH, l’arrêt Foulon et Bouvet parait témoigner de la volonté de poursuivre une telle jurisprudence [1], via une interprétation extensive de l’article 8 de la convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, lequel proclame le droit au respect de la vie privée et familiale.

Mais quel respect de la vie privée et familiale peut-on bien garantir à un enfant que l’on prive, délibérément, et ab initio, de sa filiation réelle, au seul prétexte de satisfaire les désirs des commanditaires ?

La jurisprudence de la CEDH fait donc débat : on s’émeut d’une incitation à rendre opposable à la Cité ce que la Loi de la Cité désigne comme une intolérable atteinte à la dignité des personnes.

Pour autant, en dépit de la transcription des actes de naissance, la nullité radicale de la GPA reste pleinement en vigueur et cette pratique n’attribue aucun lien de filiation à des personnes autres que le père (qui a effectué la déclaration de paternité) et la mère porteuse (qui a donné naissance à l’enfant).

Ainsi, la « mère d’intention » ou le « père d’intention » ne peuvent pas exiger d’être déclarés mère ou père : les stipulations du contrat de gestation par autrui, qui tendraient à les désigner comme tels, seraient inefficaces.

La nullité civile de la gestation par autrui s’accompagne, au plan pénal, de sanctions dont il est régulièrement proposé le renforcement (voir notamment le dernier rapport d’information de la commission des lois du Sénat de février 2016) [2]

En l’état, l’article 227-12 du Code pénal punit de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende « le fait de provoquer (…) les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à naître », et d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, « le fait de s’entremettre entre une personne désireuse d’adopter un enfant et un parent désireux d’abandonner son enfant né ou à naître ».

L’article 227-13 du même Code punit de 3 ans de prison et de 450 000 euros d’amendes la « substitution volontaire, simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant ».

Dans ce contexte légal d’interdiction particulièrement clair, est-il envisageable que de l’argent public soit pioché dans la poche des contribuables pour être distribué par des collectivités à des associations qui ne font pas mystère de leur assentiment à la violation concrète et actuelle de la norme juridique pénalement sanctionnée ?

La réponse parait claire : l’argent des contribuables ne saurait être attribué à des associations qui encouragent la violation du droit civil et pénal.

Malheureusement, le sujet n’a rien de théorique.

En avril 2016, un conseil régional a refusé de subventionner le Festival de cinéma d’une association, au constat de l’organisation par celle-ci d’une réunion faisant la promotion de la GPA, au mépris du droit applicable. L’argent public, provenant de la poche du contribuable, n’a donc pas été accordé.

En réaction, un département de cette même région a alors augmenté sa participation, pour cette même association, pour compenser le désengagement de la région, et donc soutenir, via l’argent du contribuable, une association promouvant une violation de l’état de droit.

Du point de vue du droit des collectivités territoriales, comment cette problématique peut-elle être appréhendée ?

L’article L. 2121-29 du Code général des collectivités territoriales, et la jurisprudence prise sur ce fondement, prévoient qu’une association peut recevoir des subventions d’une collectivité territoriale si son intervention présente un intérêt local, d’une part, et si elle ne contrevient pas au principe de neutralité politique, d’autre part.

L’association doit démontrer, in concreto :

En 2002, sur ce dernier fondement, le Conseil d’État a confirmé l’annulation d’une subvention attribuée à une section locale de la LICRA [3] au constat de la production par la LICRA d’un communiqué de presse, lors de la création de cette nouvelle section, dans lequel elle se proposait de combattre une formation politique : le Conseil d’État a considéré que les conditions n’étaient pas réunies pour qu’une subvention lui soit attribuée, en raison de la nature « politique et partisane » de l’action menée par l’association subventionnée.

Une solution différente aurait favorisé le contournement de la loi n°88-227 du 11 mars 1988, relative à la transparence financière de la vie politique, laquelle interdit à une collectivité territoriale de subventionner un parti politique ou un candidat à une élection.

Cette jurisprudence interdit que de l’argent public, pioché dans la poche des contribuables, soit utilisé à des fins politiques par des collectivités sponsorisant des associations sélectionnées sur des critères partisans.

Cette jurisprudence pourrait être appliquée aux associations se proposant de mener un combat pour la violation des lois civiles et pénales en vigueur interdisant la GPA : en effet, l’argent du contribuable ne saurait être distribué dans ce type de situation, dès lors que ces associations mènent un combat partisan en appuyant les propositions d’un parti politique, ou en combattant une ou plusieurs formations politiques.

Curieusement, le juge administratif n’a pas encore annulé l’octroi d’une subvention à une association sur le seul fondement de ce qu’elle ferait la promotion d’une activité manifestement illégale.

Pourtant, toutes les conditions sont réunies pour que le juge administratif prenne clairement position en faveur du respect des lois civiles et pénales, y compris par les collectivités, sur le fondement du principe de neutralité.

Le principe de neutralité n’est d’ailleurs pas un inconnu du juge administratif.

Par un arrêt en date du 15 octobre 2014, CNAFC (n°369965), le Conseil d’État a censuré le soutien, par le ministère de l’Éducation Nationale, de la campagne Azur, considérant que l’atteinte au principe de neutralité du service public (de l’Education Nationale) était avéré puisque la ligne Azur faisait la promotion de pratiques illégales.

Dans la lignée de cette jurisprudence, le respect du principe de neutralité ne peut que conduire le juge administratif à interdire le financement, par une collectivité, d’une association faisant la promotion d’une activité illégale, a fortiori lorsqu’elle est sanctionnée par le Code pénal.

Dans les cas les plus graves, lorsque les associations non seulement incitent à violer la loi mais, en outre, mettent en relation, ou facilitent la mise en relation, des personnes en vue de la réalisation d’une GPA , le juge administratif pourrait aussi se fonder sur la jurisprudence Lambda du 6 décembre 1996 (CE, Lambda, n°167502), dans le cadre de laquelle le Conseil d’État a censuré un décret de nomination, sur le fondement des dispositions de l’article 432-13 du Code pénal interdisant le pantouflage, réaffirmant ainsi la possibilité, pour le juge administratif, d’utiliser les règles du Code pénal comme norme de référence des décisions administratives.

Or, au regard de l’article L.227-12 du Code pénal, le simple fait, pour une association, d’avoir délivré des informations permettant de faciliter des contacts entre des personnes se proposant de recourir à la pratique de la GPA constitue une infraction.

En finançant des associations qui se livrent à ce genre d’activités, une collectivité paraît bien revêtir le statut de complice de l’infraction ainsi commise, par fourniture de moyens au sens de l’article L.121-7 du Code pénal.

Dans ce cas de figure, le juge administratif pourrait songer à appliquer les articles L.227-12 et L.121-7 du Code pénal en annulant, sur ce fondement, les délibérations octroyant de telles subventions.

Plus généralement, un renforcement de la jurisprudence CNAFC et Lambda aurait pour effet bénéfique d’obliger les collectivités territoriales à effectuer, en amont, un contrôle régulier des activités menées par les associations qu’elles se proposent de subventionner, pour éviter de débloquer des subventions lorsqu’elles constatent que l’une ou l’autre des orientations et/ou activités contreviennent à la loi.

Il en va du respect de l’État de droit et du respect des contribuables, à commencer par les plus pauvres d’entre eux : il serait indécent que de l’argent public, collecté pour le service du bien commun, soit dépensé sans discernement alors qu’il y a tant de besoins à la fois urgents et licites à satisfaire.

Bernard RINEAU Avocat Associé chez RINEAU & Associés Hubert VEAUVY Avocat chez RINEAU & Associés http://www.rineauassocies.com

[1Par les affaires Mennesson et Labassée, la Cour concluait à une violation du droit des enfants au respect de leur vie privée du fait de l’impossibilité de transcrire leur filiation biologique paternelle sur les registres d’état civil français. En effet, la Cour estimait que le droit à l’identité est une composante de ce droit au respect de la vie privée. Or, l’identité des enfants nés de GPA serait atteinte, selon la Cour, en ce que la France refusait de reconnaître leur filiation biologique paternelle. Par l’arrêt Foulon et Bouvet, en suivant le même raisonnement, elle donne, à présent, raison, non plus à des hommes en couple, hétérosexuels, mariés, mais à des hommes célibataires ou homosexuels, ayant « loué une femme » pour obtenir des enfants en Inde – y compris, dans le cas de Foulon, après versement à la mère indienne, de 100.000 roupies (environ 1.300 euros correspondant à trois ans de salaire d’une ouvrière) et de 60.000 roupies à la clinique.

[2« Défendre les principes, veiller à l’intérêt des enfants Quelle réponse apportée au contournement du droit français par le recours à l’AMP e à la GPA à l’étranger » de M. Yves Détraigne (UDI) et Mme Catherine Tasca (groupe socialiste et républicain)

[3CE 28 octobre 2002, n°216706, Commune de DRAGUIGNAN.

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