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Chez Eurodisney, les juristes « proactifs » travaillent sur des « problématiques d’entreprise ».
Parution : lundi 7 novembre 2016
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Impliqué dans la stratégie de l’entreprise, en connexion avec d’autres services et d’autres compétences : tel est le portrait fait par Gilles Dobelle, directeur juridique d’Eurodisney, du juriste d’aujourd’hui et de demain. Ancien candidat au Prix de l’innovation en management juridique 2013, il revient sur les évolutions de son innovation, et aborde les problématiques de management qu’il rencontre aujourd’hui : attentes des jeunes générations, adaptation des plus anciennes, et surtout transmission du positionnement de la direction juridique, qui doit « prendre des risques ».

Clarisse Andry : Depuis votre participation au Prix de l’innovation, votre outil a-t-il évolué ?

Gilles Dobelle : L’outil que nous avions présenté était une bibliothèque virtuelle, un système d’archivage rassemblant documentation juridique, contrats, avis juridiques, dossiers, réglementation. Il était basé sur un outil sharepoint, disponible sur le marché, peu coûteux et souple. Une partie de cette bibliothèque est accessible uniquement aux juristes, et une autre est destinée aux clients, leur permettant d’avoir un accès permanent à des informations mises à jour et adaptées à leur type de métier et à leurs problématiques.

Face à des sujets complexes, il est indispensable d’avoir des juristes qui peuvent se parler rapidement.


Nous l’avons depuis enrichi au niveau du juridique, en créant un portail sur Yammer. Il s’agit d’une messagerie instantanée qui permet aux juristes d’échanger sur des questions liées à la vie du département ou d’un dossier. La bibliothèque virtuelle facilitait déjà leur travail, et la messagerie permet de rendre les échanges plus efficaces. Face à des sujets complexes, il est indispensable d’avoir des juristes qui peuvent se parler rapidement. Nous essayons donc de travailler avec des outils souples et accessibles quel que soit l’endroit où l’on est, afin d’avoir accès à l’information et de répondre online à flux tendu, car c’est ce que l’on attend de nous aujourd’hui.

C.A. : Encore aujourd’hui, êtes-vous confronté à des personnes réticentes à l’utilisation d’outils de communication ?

G.D. : Ce type d’outils emporte toujours l’adhésion sur le principe, car ils permettent de travailler à distance. Les juristes sont des cadres, ils savent donc l’avantage qu’ils peuvent présenter, d’autant plus que nous sommes situés à Marne-la-Vallée. Quand nous travaillons dans les cabinets d’avocats à Paris, quand il y a une grève, ou quand il faut faire l’aller retour dans la journée, nous pouvons perdre beaucoup de temps. C’est donc une façon pour nous de gérer intelligemment la distance et le temps qui nous est compté.

Après, en pratique, si les jeunes générations sont complètement acquises, perméables et habituées à ce genre d’outils, les seniors ont peut-être moins le réflexe a priori. Il n’y a aucun rejet, mais la décision de passer par ces outils est moins évidente et moins naturelle.
Ils sont néanmoins incités à les utiliser, notamment parce que nous essayons de faire disparaître le papier. Les juristes sont donc obligés d’aller dans la bibliothèque virtuelle pour trouver l’information technique, et sur Yammer pour consulter l’information relative à la vie du département ou de la direction. Ils sont naturellement amenés à les utiliser, puis acquièrent le réflexe de les consulter.

C.A. : Avez-vous constaté une différence de management entre les anciens et les nouveaux juristes ? Adaptez-vous votre management en fonction ?

Il faut démontrer à un jeune juriste le côté gagnant-gagnant de la relation de travail.


G.D. : Des données générationnelles doivent effectivement être prises en compte. La génération Y recherche beaucoup plus un équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, et regardent toujours l’intérêt que présente leur travail pour leur carrière. Je faisais partie de la génération des juristes qui, quand le chef donnait quelque chose, nous ne nous posions pas de questions. Nous étions, d’une certaine façon, plus dociles. Maintenant, quand on veut faire évoluer un juriste plus jeune, il faut qu’il soit convaincu que cela correspond à ses aspirations et qu’il en tire un bénéfice ou un profit. Il faut alors démontrer le côté gagnant-gagnant de la relation de travail à court ou moyen terme – car ils se projettent assez peu dans le long terme. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question de fonction, de nationalité ou de culture, mais d’une question générationnelle. Donc oui, nous nous adaptons, et nous appliquons cette forme de management à tout de monde.

C’est aussi lié au fait qu’aujourd’hui, nous faisons plus de project management. Nous ne travaillons plus sur des problématiques juridiques, mais sur des problématiques d’entreprise. Nos juristes sont en interaction étroite avec d’autres compétences, qu’elles soient financière, marketing, ou informatique. La connexion se fait sur les outils, mais aussi entre les individus dans une prestation intégrée, avec des interventions pluridisciplinaires. C’est une donnée qui est indispensable aujourd’hui, que le juriste soit junior, senior ou confirmé, et qu’il est indispensable d’intégrer rapidement. Ils doivent être autonomes et comprendre l’intérêt d’être interactif à tout niveau.

C.A. : Ce sont donc des éléments que vous devez détecter chez les personnes que vous recrutez ?

Ce qui nous rend crédible : nous prenons des risques avec les business.


G.D. : Absolument. Ce ne sont pas les compétences techniques ou l’expérience qui feront la différence, car les personnes que nous sélectionnons ont déjà le bon parcours. Elle se fera uniquement sur la personnalité du candidat, et sa capacité à s’insérer dans l’équipe, dans l’entreprise, par rapport à nos valeurs et à nos méthodes de travail. Cette personne va-t-elle interagir avec ses collègues, ses alter ego, son manager, les business de façon efficace, agréable et professionnelle ? Ou s’agit-il de quelqu’un de plutôt isolé, taiseux, renfermé ? Dans ce cas, il y aura une problématique difficile à gérer, et ce sera un frein à son recrutement.

Nous sommes une entreprise française, avec des juristes de droit français, qui pratiquent le droit français et européen, mais nous avons une culture américaine, et l’obligation d’être proactif au quotidien. Il y a une phrase que nous utilisons : « On ne veut pas de star, parce que la seule star chez Disney, c’est Mickey ».
Chez Eurodisney, les juristes ont un poids particulier, ils font partie des décisions, le directeur juridique fait partie de la direction générale. Le juridique est écouté, respecté, a une vraie crédibilité, mais pour autant ce sont des experts parmi d’autres. La star, c’est le business, et l’incarnation du business, c’est Mickey. Nous n’avons pas une approche de client interne, mais nous sommes des business partners. Et ce partnership est très important parce que nous avons l’obligation de prendre des risques et d’accepter que des risques existent. Et c’est ce qui nous rend crédible : nous prenons des risques avec les business. Ils ne sont ni jugés, ni frustrés, ni empêchés, mais conseillés et accompagnés.

C.A. : Comment évaluez-vous les performances de vos juristes ?

G.D. : Nous ne les mesurons pas scientifiquement, mais nous avons deux critères : d’un côté, le retour des clients, et de l’autre le retour des collègues juristes. Il y a donc l’aspect technique et l’aspect relationnel. Si vous avez l’un sans l’autre, dans les deux cas, cela ne convient pas.

Chaque année, nous avons une évaluation, pendant laquelle nous définissons les objectifs à atteindre avec nos collaborateurs, puis nous faisons un point en milieu d’année sur ce qui a été accompli, ce qui reste à accomplir, les problématiques, les retards, et leurs motifs. Mais l’accompagnement se fait en réalité de façon continue, tout au long de l’année. Nous avons un retour des clients et l’avis des managers en permanence, et nous ne jugeons jamais sur un seul dossier ou sur une seule période.

Propos recueillis par Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice