Village de la Justice www.village-justice.com

Faute lourde du transporteur et vol de camion avec sa marchandise. Par Alain Dahan, Avocat.
Parution : lundi 21 novembre 2016
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Faute-lourde-transporteur-vol-camion-avec-marchandise,23569.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le vol des marchandises transportées apparaît comme étant l’un des secteurs de prédilection de la faute lourde.

S’il est un domaine où la notion de faute lourde trouve amplement à s’appliquer c’est bien celui du vol de marchandises.

Selon les circonstances, au cas par cas, la jurisprudence reconnait ou écarte l’existence d’une faute lourde qui aura le pouvoir de faire sauter les verrous des limitations de responsabilité légales du transporteur et de permettre à la victime du vol d’être indemnisée sur la base de la valeur réelle des marchandises dérobées.

Cependant l’intérêt de la faute lourde s’amenuise avec le temps dans la mesure où la faute inexcusable a remplacé la faute lourde depuis le nouvel article L133-8 du Code de commerce issu de la loi du 8 décembre 2009.

Selon l’article L133-8 du Code de commerce :
« Seule est équipollente au dol la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable. Toute clause contraire est réputée non écrite ».

Après la parution de cette loi, j’ai eu l’occasion de préciser qu’à mon avis, si la faute lourde n’était pas aisée à démontrer, avec la faute inexcusable, nous étions presque dans le cadre d’une mission impossible.

Sept ans plus tard, la jurisprudence semble m’avoir donné raison tant les cas de recevabilité de la faute inexcusable du transporteur sont pratiquement aussi rares qu’un litre de gazole vendu à 50 centimes le litre…

Dans l’affaire relatée, une société de vente de téléphonie avait confié l’organisation du transport de matériels à un commissionnaire, lequel avait sous-traité le transport à une autre entreprise.

Au siège de cette entreprise de transport, les téléphones ont été volés et l’assureur de l’expéditeur a agi en responsabilité sur la base d’une faute lourde contre le commissionnaire qui a appelé en garantie le transporteur, représenté par son liquidateur et son assureur.

La faute lourde ayant été reconnue en appel, le commissionnaire condamné s’est pourvu en cassation.

La Cour de cassation, chambre commerciale, dans un arrêt du 2 novembre 2016, rappelle les circonstances du vol :
« le vol est survenu en plein jour, dans les locaux sous vidéo-surveillance de la société de transport, lors d’une halte au siège de celle-ci, que le chauffeur n’a pas respecté les consignes de livraison qui lui avaient été données, en effectuant cette halte non prévue, et a stationné le véhicule, chargé d’une marchandise sensible et particulièrement convoitée, sans précaution particulière, permettant à un individu muni d’un double des clés de s’en emparer facilement ».

En effet, un peu plus de cinq minutes après que le chauffeur eût stationné son véhicule dans les locaux de l’entreprise qui l’employait pour y déposer des documents, mais alors qu’une telle halte n’avait pas été prévue dans sa mission, la vidéo surveillance a révélé qu’un individu lui a quasiment et tranquillement emboité le pas, ni masqué, ni armé, et que, muni d’un double des clefs du camion, il est reparti tout aussi sereinement au volant du précieux chargement.

La Cour de cassation a appliqué le droit sur le fondement de l’ancien article L133-8 du Code de commerce qui prévoyait que « la faute lourde suppose une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur à l’accomplissement de sa mission contractuelle ».

On comprend alors pourquoi, dans son pourvoi, le commissionnaire condamné a tenté d’invoquer à son avantage la notion de faute inexcusable.

Les faits, passés au crible de la faute inexcusable, n’auraient pas résisté à l’analyse et auraient certainement entrainé l’application de la limitation de responsabilité.

En effet, dans ce cas d’espèce, il apparaissait comme impossible de démontrer l’intention délibérée du transporteur de causer le dommage, sauf à démontrer, ce qui était bien sûr fortement envisagé, une complicité entre le voleur et un membre de l’entreprise de transport ce qui, a priori, n’a pas pu être prouvé dans l’enquête de police.

Dommage pour le commissionnaire condamné car, la loi du 8 décembre 2009 n’étant pas rétroactive, la notion de faute inexcusable ne pouvait pas être appliquée.

Alain DAHAN, Avocat à Toulouse http://www.avocat-dahan-alain.com/ [->maitre.dahan.alain@free.fr]