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Une plateforme d’intelligence artificielle pour tous les avocats belges en 2017 ?
Parution : lundi 12 décembre 2016
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Avocats.be (l’Ordre des barreaux francophones et germanophones de Belgique) travaille sur un projet de plateforme d’intelligence artificielle qui devrait voir le jour en 2017 et être accessible à tous les avocats belges. Même si sa mise en ligne effective nécessite le feu vert de l’assemblée générale des bâtonniers, cette plateforme « mutualisée », une première en Europe, risque bien de modifier en profondeur l’exercice de la profession d’avocat.
La rédaction du Village de la Justice a interrogé Jean-François Henrotte, avocat et président du groupe qui a travaillé sur cet outil.

Laurine Tavitian : Pouvez-vous nous expliquer la genèse du projet ?

Jean-François Henrotte : Cela fait de nombreuses années que le barreau belge, comme d’autres barreaux réfléchissent sur les difficultés que peut rencontrer l’avocature. A un moment donné, nous avons décidé qu’il fallait arrêter de réfléchir et agir. Nous avons organisé un congrès que nous avons appelé « Agissons » au terme duquel le barreau belge a donné à ses dirigeants 10 objectifs à atteindre dans les 10 prochaines années.

Parmi ces objectifs, il y avait la maitrise de l’intelligence artificielle. Nous avons donc constitué un groupe de travail que j’ai l’honneur de présider et qui a rencontré un certain nombre d’opérateurs afin de comprendre ce qu’était exactement l’intelligence artificielle et le Big Data et l’offre sur le marché et ensuite construire une offre pour l’ensemble du barreau.

Concrètement que va permettre cet outil ?

"C’est un outil de recherche intelligente fondé sur le Big Data et l’intelligence artificielle."


Cet outil comprend 2 grandes fonctionnalités.
La première c’est un outil de recherche intelligente fondé sur le Big Data et l’intelligence artificielle. En Belgique, si la législation belge et européenne est intégralement disponible, il n’y a environ que 300.000 décisions qui ont été publiées ces 20 dernières années par les banques de données privées et publiques. Nous souhaitons en fait les prendre à la source c’est-à-dire au ministère de la Justice et en publier peut-être 2 millions par an. L’idée est donc de publier l’ensemble de la jurisprudence belge (et naturellement de la jurisprudence européenne (UE et CEDH)), la législation belge et européenne et la doctrine (qui sera publiée par les auteurs eux-mêmes dans le système mais également les éditeurs qui la rendront accessibles via l’API du système aux conditions qu’ils fixeront).

Avec un tel volume de données, il faut radicalement revoir la manière de faire les choses : ne plus passer par une indexation manuelle des décisions par mot-clé mais par une indexation intelligente du système, ne plus rechercher par un mot-clé ou quelques mots la décision, la législation ou la doctrine pertinente mais par concept et une interrogation en langage naturel fondée sur le casus-même.

Donc si je faisais une recherche sur « divorce pour désunion irrémédiable », j’aurais à examiner peut-être 700.000 décisions dans le résultat de mes recherches ce qui ne sert strictement à rien pour un avocat. Il faut que je puisse dire que « madame est marocaine, monsieur est belge, ils ont eu leurs enfants en Belgique, monsieur l’a quitté, madame est au chômage, est-ce qu’elle a droit à une pension alimentaire, de quel montant » et avoir une réponse. Il faut que cette réponse soit donnée par la décision la plus pertinente, la législation applicable et la doctrine la plus fine et que je puisse aussi par exemple changer le fondement de ma demande. En admettant que le divorce pour adultère existe toujours en Belgique, si je prends ce fondement, est-ce que cela aura une influence sur la pension alimentaire ou sur la responsabilité dans le cadre du divorce. ? Si je peux choisir mon juge, un juge m’allouera-t-il des dommages et intérêts plus élevés qu’un autre suite à mon accident ?

"A côté de cet outil de recherche intelligente, il y aura un outil d’aide à la rédaction."

A côté de cet outil de recherche intelligente, il y aura un outil d’aide à la rédaction. C’est le poste sur lequel nous sommes le moins avancé mais il permettra entre autre de trouver un certain nombre de modèles et de clauses qui seraient similaires à celle que je suis en train de rédiger. Je pourrai aussi interroger le système pour voir si la clause que je viens de rédiger est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation par exemple.

Quel sera le nom de cette plateforme ?

Pour le moment, à titre officieux, je propose IAsmine parce qu’il y a un historique au sein d’avocats.be qui est de donner des prénoms féminins au projet et que les deux premières lettres font échos à l’intelligence artificielle.

Qui conçoit cet outil et combien va-t-il couter ?

"Cet outil couterait plus ou moins 50 euros par avocat par an."


Nous avons interrogé un certain nombre d’opérateurs et proposé à l’assemblée générale des bâtonniers de retenir un opérateur luxembourgeois mais je ne sais pas si c’est lui qui sera retenu. Le groupe de travail propose et l’assemblée générale dispose. En soi le projet est presque opérationnel car l’opérateur l’avait déjà préparé avant même qu’on ne fasse appel à lui. On lui a seulement demandé des affinements. Mais il y a quand même des réticences et l’assemblée générale veut légitiment être sûre d’elle avant de se lancer avec un opérateur.

Maintenant, il ne s’agit pas de sommes gigantesques puisque cet outil coûterait plus ou moins 50 euros par avocat par an. C’est un coût très modeste et c’est nettement moins cher que ce que les opérateurs privés nous demandent en Belgique pour un outil nettement moins intelligent. Pour un moteur de recherche avec des sources publiques plus faibles et un moteur moins intelligent, le coût est de 1000 euros par an environ.

La mutualisation pour concevoir ce type d’outil est-elle indispensable ?

Oui, l’idée est clairement de faire une mutualisation. Nous arrivons à ce coût faible car nous mutualisons. Tout le monde y souscrirait par le biais de sa cotisation et pourrait répercuter le coût de ce service à ses clients, s’il le souhaite. Cela a aussi l’avantage que l’ensemble des avocats soient servis et pas seulement ceux qui ont conscience de l’importance d’avoir ce type d’outil ou qui en ont les moyens.

En Belgique, même s’il y a des discussions en cours, la possibilité d’avoir des capitaux tiers n’est pas ouverte à ce stade et nous ne voulons pas réserver cela à des cabinets qui en auront les moyens. Nous voulons que tous les avocats aient un accès égal à ce type d’outil et ce d’autant plus que le ministère de la Justice ne va pas donner accès aux données à tout qui veut. C’est plus rationnel de le faire une fois. Nous voudrions aussi ouvrir cet accès aux magistrats parce que nous avons intérêt à ce qu’ils aient cet outil pour rendre une justice de qualité.

Comptez-vous aller plus loin et poursuivre cette démarche innovante ?

"Nous parlons d’avocat augmenté, pas d’avocat remplacé."


Sur l’aide à la rédaction, nous voulons in fine que l’outil rédige un premier « draft » d’acte de procédure ou de contrat comparable à celui que ferait un collaborateur junior, même si nous sommes conscients que le résultat sera moins bon que celui d’un être humain. Mais au final, nous pourrons mieux servir la classe moyenne.

Certes, les avocats devront travailler un peu plus sur le projet mais au final la justice sera moins chère. Il faut donc progresser sur l’aide à la rédaction même si cela ne remplacera jamais l’avocat. Nous parlons d’avocat augmenté, pas d’avocat remplacé. Mais il est clair que les avocats doivent être plus efficients qu’ils ne le sont maintenant s’ils veulent continuer à servir la classe moyenne qui peut de moins en moins se permettre de consulter un avocat.

Si la femme est l’avenir de l’homme, IAsmine est certainement l’avenir de l’État de droit et des avocats !

Propos recueillis par Laurine Tavitian Rédaction du Village de la Justice
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