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Condamnation définitive de l’hôtel Regina (groupe hôtels Baverez) pour avoir détourné les pourboires qui auraient dû être intégralement reversés au personnel. Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.
Parution : mercredi 21 décembre 2016
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La Cour de cassation rejette les pourvois formés par l’employeur ; les décisions de la cour d’appel de Paris confirmant la condamnation de l’employeur à verser plus d’ 1 million d’euros à 7 salariés sont donc définitives.

Leur licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse est également confirmé (cf notre article Village de la justice du 2 juin 2014).

Dans ses arrêts rendus le 14 décembre 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation estime que « les moyens de cassation, qui sont invoqués par l’employeur à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée. »

Les pourboires s’ajoutent au salaire fixe sauf si un salaire minimum a été garanti par l’employeur.

Les salariés ont invoqué les dispositions de l’article L3244-1 du Code du travail issu de la loi Godart du 19 juillet 1933, qui prévoit que :
« Dans tous les établissements commerciaux où existe la pratique du pourboire, toutes les perceptions faites " pour le service " par l’employeur sous forme de pourcentage obligatoirement ajouté aux notes des clients ou autrement, ainsi que toutes sommes remises volontairement par les clients pour le service entre les mains de l’employeur, ou centralisées par lui, sont intégralement versées au personnel en contact avec la clientèle et à qui celle-ci avait coutume de les remettre directement. »

Ce texte impose donc à l’employeur de reverser intégralement le pourcentage de service aux salariés en contact avec la clientèle ; les sommes en cause devant impérativement s’ajouter au salaire fixe, sauf dans le cas où un salaire minimum a été garanti par l’employeur ; ce qui, incontestablement, n’était pas le cas dans cette affaire.

Les pourboires doivent être reversés intégralement au personnel par l’employeur.

Dès lors que les pourboires s’ajoutent au salaire fixe sauf si un salaire minimum a été garanti par l’employeur, il s’ensuit que le salarié rémunéré par un salaire forfaitaire fixe doit percevoir, en sus de celui-ci sa part de pourcentage sur le service (Cass. soc.28-6-1978 n°77-40.374).

Si un salaire lui a été garanti, en revanche, l’employeur n’est tenu de verser que la différence entre ce minimum et les pourboires revenant au salarié si ceux-ci sont inférieurs.

Un hôtelier ou un restaurateur ne peuvent imputer le montant des salaires qui leur incombe sur le pourcentage de service qu’ils centralisent et qu’ils ont l’obligation de reverser intégralement au personnel.

L’obligation de reverser intégralement au personnel le pourcentage de service est d’ordre public.

La règle posée à l’article L3244-1 précité est d’ordre public, il ne peut y être dérogé ni par le contrat de travail, ni par accord collectif (Cass. soc. 19 juin 1990 n°87-41.769 notamment encore récemment confirmé : Cass. soc 14 novembre 2013 n°12-16.805).

Ce texte interdit à l’employeur de prélever l’indemnité de congé payé « sur la masse des pourboires ou du pourcentage perçu pour le service » et donc a fortiori lui interdit de prélever le salaire de base.

L’employeur ne peut imputer sur les pourboires des sommes dont le versement lui incombe, soit légalement, soit conventionnellement ; ainsi en a-t-il été jugé pour le paiement des heures de délégation des représentants du personnel et le paiement des indemnités de maladie :
« ni les sommes payées comme temps de travail au titre des heures de délégation, ni les indemnités garantissant le maintien du salaire pendant les périodes d’arrêt de travail pour maladie, ne rémunèrent le service de la clientèle ; que, dès lors, l’employeur doit en assurer le paiement sur les deniers de l’entreprise sans pouvoir l’imputer sur la masse des sommes remises par les clients pour le service et qui doivent être intégralement reversées au personnel ayant assuré ce dernier. » (Cass. crim., 26 juill. 1989, no 88-86.040).

L’hôtel Régina ne pouvait donc pas invoquer des accords pour tenter de se soustraire à son obligation.

L’opacité était d’ailleurs totale dans la mesure où aucun salarié n’avait pu avoir connaissance du contenu de ces anciens et mystérieux accords dont la communication a été exigée et qui ont finalement été produits aux débats.

La rédaction du contrat de travail est fondamentale.

Il convient de s’attacher à la rédaction du contrat de travail qui est la loi des parties et qui, en l’espèce prévoyait expressément que le salarié devait « percevoir un salaire de base mensuel, auquel s’ajouteront les indemnités conventionnelles de nourriture et les indemnités transport ainsi que la répartition éventuelle du service 15% aux ayants-droit [c’est-à-dire nécessairement les salariés en contact avec la clientèle] selon les accords internes des 31 mars 1952 et février 1957. »

Pas la moindre référence à une rémunération au pourcentage avec un salaire minimum qui aurait été garanti par l’employeur.

Or, le salaire minimum garanti ne saurait se présumer et doit être expressément mentionné dans le contrat de travail. En l’espèce, il est prévu uniquement un salaire fixe mensuel.

Le rajout du terme « éventuelle » s’agissant de la répartition du 15% permettait à l’employeur de reverser au mieux des sommes ridicules voire rien du tout, sans aucune transparence mais surtout sans aucune explication.

Il est incontestable que l’on est juridiquement dans la situation :

Où le salarié bénéficie d’un salaire fixe (art. L3244-2 du Code du travail) et d’un pourcentage de service qui doit s’ajouter à ce salaire fixe et non d’une rémunération au pourcentage avec un salaire minimum garanti par l’employeur.

En conséquence de quoi, les salariés ont, à bon droit, fait valoir que leur employeur a purement et simplement détourné les pourboires qu’il centralisait.

Il est apparu clairement que l’hôtel Régina, au mépris de dispositions d’ordre public qui s’imposaient, a prélevé sur le pourcentage de service versé par les clients, le montant des salaires de base des salariés concernés dont le versement lui incombait.

La transparence doit être de règle.

L’employeur doit justifier de l’encaissement et de la remise des sommes perçues au titre des pourboires (C. trav., art. R. 3244-1).

La Cour de cassation impose à l’employeur de :

Marie-Paule Richard-Descamps Avocat spécialiste en droit du travail Présidente de la Commission sociale du Barreau des Hauts de Seine https://www.cabinetrichard-descampsavocat.fr