Village de la Justice www.village-justice.com

Droit à la déconnexion des salariés à partir du 1er janvier 2017 : comment le mettre en place ? Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : jeudi 22 décembre 2016
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Droit-deconnexion-des-salaries-partir-1er-janvier-2017-comment-mettre-place,23821.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

A compter du 1er janvier 2017, les entreprises devront mettre en œuvre les modalités par les salariés de leur droit à la déconnexion (Loi n°2016-1088 du 8 août 2016, art. 55).
Cette mise en œuvre se fait dans le cadre de la négociation collective annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail (article L.2242-8,7° du Code du travail). A défaut, l’employeur devra mettre en place une charte sur la déconnexion des salariés.
La déconnexion des salariés a pour objectif d’assurer aux salariés le respect de leur temps de repos et congé ainsi que de la vie personnelle et familiale.

1) Le droit à la déconnexion des salariés doit être mis en œuvre par accord collectif ou, à défaut, par une charte

1.1) Droit à la déconnexion par accord collectif

Le droit à la déconnexion du salarié et ses modalités sont désormais intégrés dans la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail (art. L. 2242-8 du Code du travail).

Une négociation doit intervenir entre l’employeur et les partenaires sociaux, quant aux modalités de mise en œuvre de ce droit à déconnexion.

Pour autant, l’employeur n’a pas d’obligation d’aboutir à un accord.

1.2) A défaut, droit à la déconnexion par une charte

A défaut d’accord collectif d’entreprise, l’employeur devra élaborer une « charte », après avis du Comité d’Entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
Or, dans cette seconde hypothèse, l’employeur sera, in fine, seul décisionnaire, n’étant pas lié par l’avis des représentants du personnel.

Cette charte devra définir les modalités d’exercice du droit à la déconnexion.
Elle doit prévoir aussi la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques (art. L. 2242-8 du code du travail).

1.3) Sanctions en l’absence de négociation ou de charte

Le non-respect de l’obligation de négocier est sanctionné pénalement par un an d’emprisonnement et 3.750 euros d’amende (art. L.2242-8 c. trav.). Ceci vise à contraindre les employeurs à négocier mais il est peu probable qu’un employeur se retrouve au pénal pour non-respect de l’obligation de négocier de l’article L. 2242-8 du Code du travail.

En revanche, il n’y a pas de sanction en l’absence de charte.

1.4) Portée de la charte de droit à la déconnexion

Cependant, dès lors que la charte met en place des obligations, et des sanctions en cas de non-respect de ces obligations, elle est considérée comme une modification indirecte du règlement intérieur de l’entreprise.

Elle sera donc soumise alors à un contrôle administratif de l’inspection du travail et à un contrôle juridictionnel du Conseil de prud’hommes en cas de litige relatif à son application.

Afin de garantir l’efficacité de cette charte relative au droit à la déconnexion, les entreprises ne devront donc pas se contenter d’affirmer le principe de ce droit mais devront le garantir par des mesures concrètes et contraignantes.

2) Comment mettre en œuvre le « droit à la déconnexion des salariés » ?

L’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail, donne 4 guidelines pour la négociation du droit à déconnexion :
- Établir un diagnostic préalable (art. 14 accord 19 juin 2013) ;
- Définir des indicateurs spécifiques à l’entreprise (art. 15) ;
- Accompagner les équipes de direction et de management (art. 16) ;
- Promouvoir une gestion intelligente des technologies de l’information et de la communication au service de la compétitivité des entreprises, respectueuse de la vie privée des salariés (art.17).

Certaines entreprises ont déjà négocié sur le droit à la déconnexion ; elles appliquent des modalités telles que l’absence d’obligation de répondre aux messages, ou l’obligation de justifier d’une urgence pour utiliser la messagerie professionnelle et/ou le téléphone professionnel en dehors de plages horaires définies.

Même si la loi Travail ne le prévoit pas, il faudrait associer le CHSCT à la négociation de l’accord collectif ou la charte pour la mise en œuvre de la déconnexion, puisque celui-ci contribue à la protection de la santé physique et mentale des salariés (c. trav. ; art.L.4612-1).

2.1) Former les salariés à la déconnexion

L’entreprise doit prévoir la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.
La surconnexion pendant le travail est un problème de qualité de vie au travail.

L’entreprise doit notamment lutter contre les « mailers compulsifs », c’est-à-dire les salariés qui envoient trop d’emails. A cet égard, 20% des salariés enverraient 80% des messages électroniques (Cf Interview du Professeur Jean-Emmanuel Ray, Droit à la déconnexion, in Liaisons Sociales du 1er décembre 2016).

Pour les salariés qui ne se déconnectent pas, l’entreprise peut mettre en place un système d’alerte lorsque ceux-ci se connectent hors du temps de travail ou qu’ils ne respectent pas le repos de 11 heures quotidien (Cf JE RAY, préc.).

2.2) Respecter les temps de repos et de congés (congés payés, maladie, maternité)

Les salariés ont droit à un temps de repos minimum de 11 heures quotidien et de 35 heures hebdomadaire.

Durant ces temps de repos, l’employeur devra demander aux salariés d’éviter, dans la mesure du possible, d’adresser des emails ou des sms ou encore de téléphoner.

En effet, l’entreprise doit proscrire le management oppressant par sms/ emails/ téléphone.
A cet égard, un management oppressant consistant dans d’incessants appels téléphoniques ou SMS en particulier en dehors des heures de travail a été jugé comme constitutif de harcèlement moral.

A ce égard, une salariée versait 3 attestations (..), de salariées de l’entreprise à la même période que l’intéressée, que la société X a laissé se développer un mode de management appliqué par Madame X, supérieur hiérarchique de l’appelante, consistant notamment en de très nombreux appels téléphoniques hors du temps de travail et l’envoi de SMS dans les mêmes conditions ; dans cette affaire, la cour d’appel de Paris a fait droit à la salariée à des dommages intérêts pour harcèlement moral managérial (CA Paris, 20 mars 2014, Pole 6 ch. 7, RG : 12/04127).
Dans cet arrêt, la cour d’appel de Paris a requalifié une rupture conventionnelle en licenciement sans cause, suite au management oppressant constitutif d’actes de harcèlement subis par la salariée.

Bien évidemment, a fortiori, l’entreprise doit demander aux salariés de ne pas communiquer à titre professionnel pendant les temps de congés (congés payés, congé maladie, congé de maternité).
A cet égard, l’article D. 3141-1 du Code du travail dispose que : « L’employeur qui emploie pendant la période fixée pour son congé légal un salarié à un travail rémunéré, même en dehors de l’entreprise, est considéré comme ne donnant pas le congé légal, sans préjudice des dommages et intérêts auxquels il peut être condamné en application de l’article D. 3141-2. »

2.3) Concilier la vie personnelle et la vie familiale

L’article L.2242-8,7° du Code du travail rappelle que le droit à déconnexion des salariés doit permettre à ces derniers de concilier la vie personnelle et familiale.

Durant les temps de vie personnelle et familiale, le salarié doit pouvoir être déconnecté des outils numériques.

2.4) Protéger la santé des salariés

Comme les accords sur la qualité de vie au travail, le droit à déconnexion est un élément qui concourt à la préservation de la santé au travail des salariés.

2.5) Les salariés sous régime dérogatoire

2.5.1) Les salaries sous forfait jours

Depuis la loi El Khomry du 8 août 2016, les forfaits jours sont mis en place par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement, ou à défaut par une convention ou un accord de branche (art. L. 3121-63 nouveau du Code du travail).

L’accord collectif doit déterminer les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion (art. L. 3121-64 nouveau du Code du travail).

A défaut de stipulations conventionnelles, ces modalités d’exercice du droit à la déconnexion du salarié sont définies par l’employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés (art. L. 3121-65 nouveau du Code du travail).

Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, ces modalités sont conformes à la charte mentionnée au 7° de l’article L. 2242-8 du Code du travail.

2.5.2) Les cadres dirigeants de l’article L. 3111-2 du Code du travail

Ils ne sont pas soumis au droit de la durée du travail et des repos. Ils devront respecter le droit à la déconnexion de leurs collaborateurs.

2.5.3) Les télétravailleurs

L’article L. 1222-10 du Code du travail impose à l’employeur à l’égard de ses salariés en télétravail d’organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail et de fixer, en concertation avec lui, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter.

Dans le cadre du droit à la déconnexion, l’employeur devra prévoir des dispositions encadrant le droit à déconnexion des télétravailleurs.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
Comentaires: