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Les nouvelles problématiques en matière de contentieux des étrangers résultant de la loi du 7 mars 2016. Par Renaud Deloffre, Conseiller à la Cour d’appel de Douai.
Parution : jeudi 29 décembre 2016
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L’article en pièce jointe sur « Les nouvelles problématiques en matière de contentieux judiciaire des étrangers résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 » se propose de présenter les incidences de ce texte sur la pratique de ce contentieux, à la lumière de la jurisprudence administrative en matière de contentieux des étrangers et de celle du Tribunal des Conflits inaugurée par l’arrêt connu sous le nom "SCEA [1] du Chéneau".

(Article actualisé par l’auteur en février 2018)

La loi du 7 mars 2016 a introduit dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) un certain nombre de nouvelles dispositions ayant un impact considérable sur le contentieux judiciaire des étrangers.
La disposition la plus importante pour cette matière porte sur le transfert au juge judiciaire du contentieux de la décision de placement en rétention qui « ne peut être contestée que devant le juge des libertés et de la détention, dans un délai de 48 heures à compter de sa notification…. ». ( nouvel alinéa III de l’article L.512-1 du CESEDA).
Elle transforme le juge judiciaire en juge de l’excès de pouvoir de la décision de placement en rétention et va l’amener à exercer les différents contrôles de légalité externe et interne jusqu’ici assurées par la juridiction administrative dont la jurisprudence va constituer un guide particulièrement utile à l’exercice par le juge judiciaire de ses nouvelles attributions, même s’il convient de garder à l’esprit que ce dernier n’est aucunement tenu d’adopter les solutions du contentieux administratif en la matière.

Sur cette question du recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté de placement en rétention, les problématiques induites par la réforme apparaissent bien balisées par la jurisprudence administrative existante et ne doivent pas susciter d’interrogations majeures.
Il subsiste par contre une certaine incertitude en ce qui concerne les conditions dans lesquelles le juge judiciaire va devoir se prononcer sur les exceptions d’illégalité d’autres actes administratifs n’ayant pas acquis de caractère définitif soulevées à l’occasion de la contestation de la légalité de l’arrêté préfectoral de placement en rétention.

Il est en effet loin d’être certain que la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation se décide à appliquer la jurisprudence du Tribunal des Conflits inaugurée par son arrêt du 17 octobre 2011 connu sous le nom d’arrêt « sceau du Chéneau » et aux termes de laquelle le juge judiciaire est compétent pour connaître des exceptions d’illégalité des décisions non définitives soulevant une contestation sérieuse pouvant être tranchée au vu d’une jurisprudence établie de la juridiction administrative ou mettant en cause le droit de l’Union européenne.
L’on peut penser au contraire qu’il est peu vraisemblable, en ce qui concerne le contentieux de la rétention des étrangers, que cette chambre modifie sa jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et selon laquelle le juge judiciaire ne peut connaître des exceptions d’illégalité des actes administratifs mais uniquement de leur conformité au droit de l’Union européenne.

La jurisprudence des délégataires des premiers présidents de cours d’appel s’oriente déjà, de manière semble-t-il presque unanime, dans le sens du rejet des exceptions d’illégalité des décisions d’éloignement invoquées au soutien de la contestation des décisions de placement en rétention.
Il n’en demeure pas moins que la situation reste empreinte d’une relative incertitude et qu’il faut espérer que la Cour de cassation pourra faire connaître le plus rapidement possible sa position sur cette problématique.

Il apparaît en tous cas indiscutable que les innovations introduites en matière de rétention des étrangers par la loi du 7 mars 2016 vont complexifier de manière considérable une matière déjà réputée pour sa technicité, en entraînant en toute hypothèse une augmentation très significative des moyens de contestation de la rétention administrative, ce qui ne manquera pas de poser des problèmes de gestion du contentieux particulièrement épineux en particulier en première instance, compte tenu du délai de 24 heures imparti au juge des libertés et de la détention pour statuer.

Les nouvelles problématiques en matière de contentieux judiciaires des étrangers résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016
Renaud Deloffre Conseiller à la Cour d’Appel de DOUAI Docteur de troisième cycle en sciences juridiques

[1Société civile d’exploitation agricole.