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Sur les risques liés à la détermination du prix dans le cadre de transactions intragroupe nationales. Par Bernard Rineau et Rokhaya Rinfray, Avocats.
Parution : lundi 26 décembre 2016
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Il est fréquent que les diverses sociétés d’un groupe aient des activités complémentaires. Dans ce cas, ces sociétés pourront se vendre les unes aux autres des biens et des services. La tentation sera grande, alors, de pratiquer à cette occasion des tarifs très inférieurs à ceux du marché, afin de bénéficier d’un avantage concurrentiel sur les autres groupes. Bien entendu, cette pratique est illégale, et les juridictions la sanctionneront sévèrement si elle est découverte.

Il convient donc d’être capable de définir ce que sera le juste prix du bien ou du service, afin de ne pas risquer d’encourir de sanction.

I- Prix de transfert / Juste prix

La problématique de prix de transfert implique la réunion de deux conditions préalables :

Mais qu’est-ce qu’un « juste prix » ?

II- Principe de détermination du juste prix

Pour les échanges intragroupe nationaux, il est acquis que les conventions commerciales et/ou industrielles doivent être conclues à des conditions normales, c’est-à-dire, a priori, aux conditions du marché.

La liberté de fixation du prix a donc de sérieuses limites.

En effet, la notion fiscale d’acte anormal de gestion limite la liberté des parties dans l’élaboration et la mise en œuvre de la convention commerciale de cession de marchandises (Cf. Article 39 du CGI).

Pareillement, le droit de la concurrence, avec par exemple le principe de l’interdiction de la revente à perte, va également restreindre la liberté contractuelle.

Enfin, en cas d’anormalité des conditions de fixation de prix et/ou d’identité de dirigeants, le droit des sociétés exige le respect du processus des conventions réglementées.

Arrêtons-nous un instant sur les modalités d’appréciation, par l’administration fiscale, du caractère normal des conditions de fixation du prix.

Pour apprécier le caractère normal de ces conditions, la doctrine rappelle qu’il convient de se référer au marché, et, également, aux conséquences internes de l’opération (réalisation ou non d’une marge, ...), ainsi qu’aux contreparties éventuelles liées à l’intérêt du groupe (à ne pas confondre avec l’intérêt personnel de certains actionnaires ou dirigeants).

En effet, « le prix payé à la société venderesse ou prestataire de services ne se limite pas à la somme déboursée par l’acquéreur ou par le bénéficiaire : il s’y ajoute les contreparties, quelquefois difficilement chiffrables, consistant en avantages divers, résultant de l’appartenance au groupe (approvisionnements privilégiés, facilités de trésorerie, utilisation de la marque du groupe dans les relations commerciales, etc.) » (Bul. COB juin 1981, p.6) .

Ainsi, dans le cadre d’une relation intragroupe, la pratique du prix préférentiel peut être tolérée si le caractère « anormal » du prix peut toutefois être justifié par une contrepartie commerciale et/ou des circonstances particulières.

L’identité avec les conditions accordées aux tiers pourrait créer une présomption du caractère normal de la convention.

Toutefois, cette présomption n’est pas irréfragable.

Pour autant, des disparités éventuellement rencontrées ne sont pas systématiquement le signe d’une difficulté réelle : des justifications précises peuvent conférer un caractère normal en cas d’examen plus sérieux du détail de la situation.

Dès lors, en cas de divergence de points de vue entre société et l’administration fiscale, le débat va rapidement se résumer à une problématique de preuve.

III- Régime probatoire

En principe, il revient à l’administration d’établir le caractère anormal du prix pratiqué.

Pour établir l’acte anormal de gestion, l’administration doit apporter la preuve que le prix contractuellement fixé est inférieur au prix du marché [1].

Pour ce faire, l’administration doit se référer aux prix effectivement pratiqués sur le marché dans des conditions comparables. Il en résulte, notamment, que les produits dont les prix sont comparés doivent être de même nature [2].

Il en résulte également que, si des sociétés sœurs entretiennent des relations de fournisseur à client, la détermination du prix du marché prend en compte les remises ou prix préférentiels conformes aux usages commerciaux.

Par exemple, il a été jugé qu’agit dans le cadre d’une gestion normale la société qui consent des remises de 15 % aux deux sociétés qui constituent la plus large part de sa clientèle et avec lesquelles elle a des associés communs, dès lors qu’il est de son intérêt, notamment pour mieux assurer la fidélité de cette clientèle, de leur consentir des tarifs préférentiels (CE 25-3-1983 n° 34182 : RJF 6/83 n° 764).

Toutefois, il faut souligner qu’une partie de la doctrine a relevé un rapprochement de ce régime probatoire avec celui régissant les problématiques de prix de transfert : dans ce dernier cas, on sait que la charge de la preuve pèse sur la société et non sur l’administration fiscale. Mais on arrive à peu près au même résultat en matière d’échange interne si l’administration invoque un premier élément de preuve, puisqu’il faudra bien alors le combattre. (« Prix de transfert – Relations intragroupe, pris de transfert et acte anormal de gestion vers une convergence des règles de preuve applicables aux opérations nationales et internationales ? Étude par Pierre-Yves Bourtourault et Marc Benard »).

L’enjeu n’est pas théorique : si l’acte anormal de gestion est reconnu, les sommes qui auraient dû être facturées, et ne l’ont pas été, sont réintégrées dans les résultats de l’entreprise.

IV- Modalités de fixation du prix de cession

Même dans le cadre d’échange interne, il peut être opportun de se ménager des moyens de preuve justifiant du caractère normal du prix pratiqué en rédigeant une convention commerciale.

Une convention commerciale convenablement rédigée devra expliquer les modalités de fixation de prix.

Il pourra y être annexé, au besoin, une étude comparative des prix pratiqués sur le marché afin de justifier du bien-fondé du prix appliqué à la transaction.

V- En conclusion

Le prix sera juste s’il est déterminé dans les conditions du marché ou bien si une distorsion, via un tarif préférentiel, peut s’expliquer par des contreparties commerciales ou des circonstances particulières qui le justifient.

Bernard Rineau Avocat Associé chez RINEAU & Associés Rokhaya Rinfray Avocat http://www.rineauassocies.com

[1Sauf si l’entreprise est à même de démontrer l’existence d’une contrepartie suffisante à son sacrifice.

[2L’administration n’apporte pas la preuve d’un prix inférieur à ceux du marché lorsque ses termes de comparaison portent sur des produits de qualité différente (par exemple, CE 12-2-1993 n° 75601 : RJF 4/93 n° 584).