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Résurrection numérique : quelle légalité de l’exploitation de l’image d’un artiste mort ? Par Thierry Vallat, Avocat.
Parution : mercredi 28 décembre 2016
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La sortie du Film Rogue One utilisant l’image numérique d’un acteur décédé ou le spectacle Hit Parade mettant prochainement en scène l’hologramme de stars disparues des années 80 pose le problème juridique et la légitimité de cette exploitation post mortem.

A partir du 12 janvier 2017, un spectacle au Palais des Congrès de Paris se propose de ressusciter numériquement plusieurs chanteurs décédés de longue date, via des hologrammes.

C’est ainsi que Mike Brant ou Dalida, plus de 30 ans après leur mort, vont venir enrichir des producteurs nécromanciens, alors que ces derniers bénéficient désormais de nouvelles technologies au service de la renaissance informatique.

Il faut croire que les artistes morts sont décidément à la mode, puisque le réalisateur du film ’« Rogue One » a également fait revivre numériquement le personnage de Grand Moff Tarkin qui était interprété dans le premier film de la saga Star Wars par Peter Cushing, disparu en 1994.

Voilà qui n’est bien sur pas très nouveau, cette exploitation sans vergogne de célébrités que l’on a vu par exemple pour des publicités de voiture (Alfred Hitchcock), d’ordinateurs (Gandhi et Albert Einstein) ou de parfums (Marilyn Monroe).

C’est d’ailleurs grâce à cette dernière, devenue notamment égérie post mortem de Chanel, qu’on doit une fameuse jurisprudence américaine délimitant le conflit entre le Copyright et Trademark (loi fédérale) et le right of publicity (loi d’État) qui représente aux USA le droit de se prémunir contre une exploitation de son image sans son consentement, lequel cesse dans l’État de New York lorsque la personne décède. D’où la possibilité de pouvoir exploiter l’image de la star en toute impunité (lire sur l’affaire devant le Federal District Court for the Southern District of New York, A.V.E.L.A., Inc. v. The Estate of Marilyn Monroe, LLC)

Norma Jeane Baker eut-elle résidé à Beverly Hills, la loi californienne lui aurait octroyé 70 années de protection après sa mort, mais elle habitait New York et adieu la protection posthume. 

Mais si les grands anciens ne pouvaient imaginer les prouesses technologiques permettant de les faire renaître, les artistes peuvent aujourd’hui anticiper un funeste destin publicitaire en l’interdisant expressément dans leur testament.

C’est ainsi que l’acteur américain Robin Williams décédé l’été 2014 avait prévu une clause particulière concernant l’exploitation de son image, celle-ci étant protégée de toute exploitation pendant un quart de siècle.
L’acteur a donc interdit tout usage de son image que ce soit pour des œuvres artistiques ou publicitaires, pendant 25 ans, jusqu’au 11 août 2039.

Mais dans le cas de Peter Cushing, il ne s’agit plus seulement d’exploitation de l’image de l’acteur britannique post mortem mais bien d’une véritable renaissance numérique 20 ans après, avec un personnage reprenant son rôle originel dans un nouveau film, à l’aide de la technique de « Motion Capture ».

Le visage de l’artiste est enregistré puis réimplanté dans des images 3D sur le corps d’un autre comédien : nous sommes donc en présence d’images de synthèse recréant un acteur décédé afin de le faire évoluer de nouveau dans une suite d’un long-métrage.
Un trucage récemment déjà utilisé notamment pour reproduire le visage de Paul Walker décédé pendant le tournage de Fast and Furious 7 en 2015.

Pour le tournage du film Rogue One, il ne fait pas de doute que les héritiers de Peter Cushing ont sûrement donné leur accord aux producteurs Disney et Lucas Films pour que leur aïeul revienne dans le personnage de Grand Moff Tarkin à titre posthume.

Revenant en France, on imagine qu’il en a été de même pour les ayants-droits des chanteurs ressuscités pour la comédie Hit Parade qui ont approuvé cette mise en scène nécrophile et que, tout au contraire, elle a fait l’objet d’âpres négociations commerciales.

C’est que le droit à l’image en France répond à des règles spécifiques depuis le premier jugement qui a condamné la reproduction dans un journal de dessins et photographies de l’actrice Rachel sur son lit de mort (14 juin 1858, 1ère Chambre du Tribunal Civil de la Seine). 

La diffusion de l’image de la célèbre après son décès a donné lieu à une tout aussi fameuse décision :
 « Attendu que nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire et livrer à la publicité les traits d’une personne sur son lit de mort, quelle qu’ait été la célébrité de cette personne et le plus ou moins de publicité qui se soit attaché aux actes de sa vie.. »

C’est bien la conception même des droits de la personnalité qui les destine ainsi à être des droits exclusivement attachés à la personne qu’ils ont pour objet de protéger.

Après la Cour de cassation dans un arrêt du 22 octobre 2009, ce fut au Conseil d’État de décider que le droit d’agir pour le respect de la vie privée et du droit à l’image s’éteint à la mort de la personne qui seule en est titulaire, ce droit n’étant pas transmis à ses héritiers (CE, 27 avril 2011, n° 314577, ’’M.F. et autres’’ Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 27/04/2011).
Cependant, les deux Hautes juridictions ont tout de même admis que les proches d’une personne ont la faculté de s’opposer à la reproduction de l’image de celle-ci après son décès.

Pour la Cour de cassation, les proches doivent subir un préjudice personnel qui peut être ’« déduit le cas échéant d’une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort » (Cass. civ. 1ère, 22 oct. 2009, pourvoi n° 08-11.112). L’atteinte des proches peut donc être seulement indirecte : causant un préjudice par ricochet, même si les vivants ne sont pas individuellement mis en cause par cette atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort.

Dès lors, indirectement, les vivants font figure de « gardiens de la mémoire des morts » (Marino L. Legipresse n°268, janvier 2010, p.13).

Une mémoire des morts qui rapporte gros et ne laisse donc rien augurer de bon en matière de respect.

Les récents décès de stars comme David Bowie, Prince ou George Michael promettent ainsi d’autres probables résurrections que ce soit sous forme d’hologrammes (on a vu ces derniers mois « revenir » les rockers John Lennon et Jimmy Hendrix à Londres en 2014 ou encore Tupac le légendaire rappeur au festival Coachella en 2012 pour un trio virtuel avec Snoop Dogg et Dr. Dre), ou dans des films comme avec l’inoubliable Peter Cushing.

Et avec cette lancinante question : auraient-ils accepté cette mascarade ?

Thierry Vallat, Avocat www.thierryvallatavocat.com
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