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La protection fonctionnelle et le harcèlement moral. Par Cathy Neubauer, Avocat.
Parution : vendredi 13 janvier 2017
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Le célèbre arrêt Commune de Hoehnheim a posé la première pierre jurisprudentielle qui autorise le fonctionnaire à se faire accorder la protection fonctionnelle y compris en matière de harcèlement moral, alors que, au moment de cette décision, le harcèlement ne faisait pas expressément partie des textes.
Cette décision courageuse a été entérinée par la suite par des dispositions législatives adéquates.

I. Une obligation de protection

L’article 6 ter l’article 6 quinquies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 dispose que :
« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération :
1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;
2° Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;
3° Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés.

Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé aux agissements définis ci-dessus.
Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. »

Cette disposition législative qui interdit le harcèlement moral combiné à l’article 11 de cette même loi peut avoir des conséquences de prime abord étonnantes.

En effet, la loi n 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui prévoit dans son article 11 que :
« Les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales.
Lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui.
La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.
La collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle.
La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d’une action directe qu’elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires. »

En effet, il résulte de la combinaison de ces deux articles, que l’État a le devoir de protéger ses agents contre l’État, notamment en cas de harcèlement moral.
C’est la célèbre jurisprudence Commune de Hoenheim qui a posé la première pierre de cet édifice juridique.

Dans cet arrêt rendu le 12 mars 2010, le Conseil d’État a pour la première fois reconnu la possibilité de demander la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral.

« Considérant, en troisième lieu, qu’en jugeant que des agissements répétés de harcèlement moral étaient de ceux qui pouvaient permettre, à l’agent public qui en est l’objet, d’obtenir la protection fonctionnelle prévue par les dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont les fonctionnaires et les agents publics non titulaires pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, la cour n’a pas commis d’erreur de droit  »
(CE 12 mars 2010, Mme A. c/ Commune de Hœnheim, n° 308974)

Cet arrêt qui a depuis été confirmé à maintes reprises a été repris dans la récente loi sur la déontologie, les droits et obligations des fonctionnaires du 20 avril 2016 qui vient de modifier le texte sur la protection fonctionnelle (article 11 de la loi du 13 juillet 1983) en prévoyant expressément sa mise en œuvre en cas de harcèlement qu’il soit moral et sexuel.

Néanmoins il faut que le harcèlement soit démontré et un récent arrêt de la Cour administrative de Paris motive de façon très explicite un cas d’espèce où la ville de Pis avait refusé la protection fonctionnelle d’un agent qui se plaignait à tort d’un harcèlement moral.
Les considérants adoptés forment un parfait résumé de la jurisprudence actuelle du Conseil d’État et mérite d’être notée.

En effet, dans le cas du harcèlement moral, ce dernier pouvant donner lieu à une appréciation subjective de l’agent, les deux versants, harcèlement et protection, doivent forcément être évalués ensemble, contrairement à une agression physique par exemple qui est un acte clairement posé.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme B…, qui avait bénéficié d’un congé entre le 14 septembre et le 12 décembre 2008, s’est vue reprocher, à son retour le 16 décembre 2008, par sa nouvelle responsable hiérarchique, le retard et les insuffisances de la subdivision en matière de suivi budgétaire et comptable, liés notamment à la mise en œuvre de l’application comptable Alizé  ; qu’elle a été placée en arrêt maladie le 22 décembre 2008 pour un état anxio-dépressif  ; que sa notation chiffrée au titre de l’année 2008, établie en février 2009, a été abaissée de 0,1 point par rapport à celle de l’année précédente, passant à 19,75/20  ; que les appréciation littérales de sa nouvelle supérieure hiérarchique ont été défavorables, alors que le prédécesseur de celle-ci avait estimé, jusqu’en 2008, la manière de servir de Mme B… très satisfaisante et avait rendu depuis plusieurs années, et notamment en octobre 2008, un avis favorable à son avancement au grade d’attaché principal  ; qu’il ressort également des pièces du dossier que la supérieure hiérarchique de Mme B… a ensuite donné directement des instructions aux agents placés sous l’autorité de celle-ci  ; qu’il est constant que le 22 avril 2009, elle lui a adressé des reproches devant l’ensemble des agents du service  ; que Mme B… a été placée en arrêt maladie de manière continue entre cette date et le 31 décembre 2013  ; qu’il ressort des différents rapports médicaux dressés à la demande de la ville de Paris que Mme B…, qui n’avait pas d’antécédent particulier, «  a développé un vécu sensitif centré sur son lieu de travail avec dépression réactionnelle  », «  a des ruminations obsédantes  » et suit un traitement comprenant des antidépresseurs  ; que tous ces faits sont de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral ayant eu pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer la santé de Mme B…  ;
5. Considérant, toutefois, et en premier lieu, que la ville de Paris soutient que les critiques de la nouvelle supérieure hiérarchique de Mme B… ainsi que l’évaluation moins satisfaisante de celle-ci au titre de l’année 2008 étaient justifiées par des carences professionnelles, un faible investissement dans son travail, un désintérêt pour la nouvelle application comptable «  Alizé  » et un refus persistant d’effectuer certaines tâches  ; que ces carences ne sont pas sérieusement contestées par Mme B…, qui n’a d’ailleurs pas contesté sa notation et n’a produit devant le tribunal administratif et la cour aucun témoignage corroborant le caractère vexatoire ou humiliant des propos que, selon elle, sa supérieure hiérarchique aurait tenus  ; que la ville de Paris a produit des attestations de plusieurs agents, dont certains avaient assisté à la réunion du 22 avril 2009, affirmant que l’absence prolongée de Mme B…, ses insuffisances en matière budgétaire et comptable ainsi que son désintérêt pour cette matière, dans un contexte de dégradation de la qualité du service rendu par la subdivision, avaient nécessité une forte implication de sa supérieure hiérarchique et que les reproches adressés à Mme B… n’avaient pas atteint le degré de virulence allégué par celle-ci  ; que, par ailleurs, la légère baisse, à la supposer établie, du montant de primes accordées à Mme B… au titre de l’année 2008, est cohérente avec la dégradation de sa notation  ; que, dans ces conditions, il ne résulte pas de l’instruction que les faits relatés au point 4 auraient excédé l’exercice normal de l’autorité hiérarchique et auraient été dépourvus de tout lien avec le comportement professionnel de l’intéressée, ou disproportionnés par rapport à celui-ci   ; que, par suite, le harcèlement moral allégué ne peut être regardé comme suffisamment établi par les pièces du dossier  ; que dans ces conditions, la ville de Paris est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l’a condamnée à indemniser Mme B… du préjudice moral qu’elle réclamait en raison du harcèlement moral dont elle estimait avoir été victime  ;
6. Considérant en deuxième lieu qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les évaluations et baisses de primes dont elle a fait l’objet à partir de 2008, ne seraient pas justifiées par sa manière de servir ou entachées d’erreur manifeste d’appréciation de ses mérites  ;
7. Considérant enfin, qu’en l’absence de preuve d’un harcèlement moral le refus implicite du maire de Paris d’accorder à Mme B… le bénéfice de la protection fonctionnelle n’est pas entaché d’illégalité  ; que la ville de Paris est donc fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges en ont prononcé l’annulation » 

II. Obligation de protection ne vaut pas régime de responsabilité

Un arrêt très récent du Conseil d’État vient de rappeler fermement que cette obligation d’assurer la portion de ses agents mise en place par la loi du 13 juillet 1983 est une obligation qui découle du statut des agents de la fonction publique mais qu’elle ne vaut pas mise en place d’un régime de responsabilité automatique, bien que cette responsabilité puise être recherchée.

« Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en vertu desquelles une collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires qu’elle emploie à la date des faits en cause contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté, sont relatives à un droit statutaire à protection qui découle des liens particuliers qui unissent une collectivité publique à ses agents et n’ont pas pour objet d’instituer un régime de responsabilité de la collectivité publique à l’égard de ses agents ; que la circonstance qu’un agent soit susceptible de bénéficier de la protection de la collectivité qui l’emploie pour obtenir réparation d’un préjudice qu’il estime avoir subi ne fait pas obstacle à ce qu’il recherche, à raison des mêmes faits, la responsabilité pour faute de cette collectivité que, par suite, et à supposer même que Mme B...ait pu, à raison des faits en cause dans le litige dont il était saisi, bénéficier de la protection prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en statuant sur ses conclusions tendant à ce que soit reconnue la responsabilité pour faute des Hôpitaux civils de Colmar »
(Conseil d’État 20 mai 2016 n°387571 Hôpitaux Civils de Colmar)

Il en résulte que le Conseil d’État entend opérer une distinction et bien scinder la protection fonctionnelle de la notion de responsabilité de la puissance publique.
En effet, d’un côté la protection fonctionnelle est due à tout agent victime d’une attaque au sens de l’article 11 de la loi du13 juillet 1983 sauf pour l’administration à la lui refuser pour des motifs d’intérêt général (Conseil d’Etat 15 février 1975 Delande, n 78190), ceci dès lors que la matérialité des faits est établie par l’agent (Cour administrative d’appel 16 Mai 1989 n°89PA00078).
Le Conseil d’État allant jusqu’à estimer que le refus illégal d’accorder la protection fonctionnelle à un agent engage la responsabilité de l’administration si l’agent subit alors un préjudice (CE, 17 mai 1995, Kalfon, n 141635).
Il s’agit ainsi clairement d’une protection qui est due en fonction d’un statut protecteur et le Conseil d’État le rappelle clairement et fermement dans ses considérants.

De l’autre côté, le Conseil d’État pose le principe que même en obtenant ce statut protecteur, il n’est nullement interdit à l’agent de rechercher la responsabilité de l’État ou de la collectivité.

En disjoignant aussi clairement les deux éléments, le Conseil d’État reconnait que l’employeur public peut voir sa responsabilité engagée.
Cette décision peut permettre de s’interroger sur le fait qu’à terme l’employeur public va tendre à être considéré comme un employeur privé en termes d’obligation de sécurité de résultat quant à la santé mentale et physique de ses agents, ce qui n’est guère étonnant puisque aujourd’hui, en matière de sécurité et de santé au travail le code du travail s’applique aux agents de l’état et que la Cour de cassation et le Conseil d‘État ont des jurisprudences similaires à ce niveau.

Cathy Neubauer _ Avocate
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