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Le nouveau divorce par consentement mutuel, attention danger. Par Brigitte Bogucki, Avocat.
Parution : mardi 10 janvier 2017
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Applicable depuis le 1er janvier 2017, passé en force dans la loi de modernisation de la justice, grande loi fourre tout, mal préparée, mal rédigée, mal pensée cette réforme pâtit en outre d’une publication tardive des décrets d’application (28/12/2016) et d’une désinformation médiatique majeure.

Le divorce sans juge est effectif. Depuis le premier janvier de cette année 2017, tout couple marié qui souhaite divorcer par consentement mutuel est soumis à cette nouvelle loi.

Présentée comme une sorte de panacée pour la rapidité, la limite des coûts et d’économie en termes de temps pour les juges aux affaires familiales qui en seront de facto déchargés, cette réforme est en réalité une grenade juridique qui risque bien d’exploser sous les pieds des justiciables.

Première difficulté, immédiate, à peine sorti ce divorce fait déjà l’objet d’une fronde massive des notaires qui, mal à l’aise avec le curieux rôle d’enregistrement qui leur est fait, annoncent qu’ils vont exiger de recevoir les demandeurs au divorce, voire s’octroyer un droit de regard sur le contenu de l’accord. Pourtant, la loi nouvelle est très claire, en aucun cas les notaires n’ont ce droit. Ils doivent se contenter d’enregistrer les actes et de vérifier que le formalisme a été respecté. Il n’empêche qu’en pratique cela risque de poser difficulté et d’augmenter notablement le coût et la durée de la procédure. Ainsi, alors que le législateur mettait en avant la durée, présumée brève et le coût, supposé réduit, de ce nouveau divorce, nous serions dans la curieuse situation où l’audience unique du précédent divorce par consentement mutuel serait remplacée par DEUX rendez vous avec les deux époux et leurs deux avocats... sans aucun avantage pour eux... Espérons que la chancellerie mettra bon ordre à cette aberration et saura faire taire l’agitation notariale.

Seconde difficulté, douloureuse celle-ci, le document que les enfants sont censés signer. En application de l’article 388-1 du code civil, en vigueur depuis 2007, le mineur capable de discernement peut demander à être entendu par le juge pour les affaires le concernant. Dans le cadre de la loi nouvelle, si un enfant demande à être entendu alors les époux ne pourront plus "bénéficier" du divorce sans juge et devront déposer, via leurs avocats, une requête à l’ancienne. Voilà donc que la charge de la judiciarisation ou non du divorce des parents repose sur les enfants mineurs. Plus grave, afin d’informer les enfants mineurs de leur droit à être entendu, ils devront signer un formulaire (dont le modèle a été fixé par arrêté du 28/12/2016), au titre duquel notamment il est indiqué :
J’ai compris que, suite à ma demande, un juge sera saisi du divorce de mes parents.
Quelle merveille que mettre sur les épaules des enfants cette charge !!! Quel est le fonctionnaire délirant qui a eu l’idée de cette rédaction, obligatoire ? Nous nous battons au quotidien contre le conflit de loyauté et dans les divorces dits amiables, il faudrait faire cela aux enfants...
Quand à la notion de discernement, aucune précision n’est apportée. Auparavant, c’est le juge qui en décidait... et aujourd’hui ???

Troisième difficulté, la plus grave juridiquement parlant, l’absence totale de garantie qu’apporte ce divorce. En effet, s’agissant d’un divorce contractuel, il ne sera absolument pas garanti qu’il soit réellement définitif. Auparavant, le divorce par consentement mutuel faisait l’objet d’un traitement particulier qui était issu naturellement de sa qualité judiciaire. Le jugement, une fois rendu, n’était pas susceptible de recours, sauf les pourvois en cassation pour erreur de droit. Le délai était d’ailleurs bref.
Mais aujourd’hui, s’agissant d’un contrat, il pourra faire l’objet de recours en nullité, voire d’action contractuelle. La durée se compte en années et les aléas sont considérables tant les options sont nombreuses, notamment au regard de la récente modification massive du droit des contrats.

Quatrième difficulté, insoluble. Lorsque l’un au moins des époux demeure à l’étranger dans un pays qui ne retourne pas les accusés de réception de la poste (et ces pays sont nombreux), il ne pourra tout simplement pas être question de divorce par consentement mutuel, sauf à instrumentaliser les enfants pour qu’ils demandent à être entendus et que l’on puisse ainsi bénéficier de l’ancienne procédure.

Voilà, mes premières réflexions et je ne suis pas exhaustive...

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com
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