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Le contrat d’agent commercial en Italie et en France : quelques points de réflexion pour un choix avisé de la loi applicable au contrat. Par Luca Demurtas.
Parution : mercredi 11 janvier 2017
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La création, l’exploitation et le développement d’un réseau de distribution passent, souvent, par la constitution d’un réseau d’agents commerciaux pouvant démarcher un territoire cible, avant de pourvoir à une véritable implantation de la société, notamment par la constitution d’une filiale étrangère. Nonobstant l’adoption par le Parlement Européen d’une Directive visant à harmoniser le droit substantiel des États membres en matière d’agents commerciaux, des différences persistent. Par conséquent, avant de s’engager sur un contrat, l’entrepreneur devrait prendre soin d’évaluer ces différences, le droit français n’étant pas toujours le plus favorable.

L’objectif du présent article est de mettre en valeur les différences entre la législation française et italienne.

La compétence juridictionnelle et la loi applicable

La compétence juridictionnelle

La compétence juridictionnelle en matière de contrat d’agent commercial est régie, en France comme en Italie, par le Règlement UE/1215/2012, dit Bruxelles Ibis, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

L’article 25 du Règlement Bruxelles Ibis reconnait aux parties la faculté de désigner le tribunal compétent pour connaitre des différents nés ou à naitre à l’occasion de l’exécution du contrat. Cette faculté est soumise à une double condition :

A défaut de clauses ou stipulations entre les parties quant à la compétence juridictionnelle, le Règlement Bruxelles Ibis prévoit la compétence du juge du lieu d’exécution du contrat, apprécié en fonction des dispositions du contrat et de son exécution effective.

Bien que normalement la Cour de Cassation française applique un critère économique pour identifier le lieu d’exécution du contrat (ex. où sont passées les commandes et par qui ?), parfois celui-là est écarté au profit d’une analyse plus pragmatique du cas d’espèce.

Il en a été ainsi dans un arrêt ayant exclu que la simple réalisation d’une partie importante du chiffre d’affaire de l’agent avec un client français puisse suffire à fonder la compétence juridictionnelle des tribunaux français.

En effet, la Cour de Cassation considérant que l’exécution du contrat se manifeste par la négociation et, le cas échéant, la conclusion des contrats ou, en d’autres termes, la recherche d’une clientèle, le fait que l’agent commercial n’avait jamais rencontré le client en France faisait en sorte que l’exécution du contrat ne pouvait pas avoir eu lieu en France, le critère économique n’étant pas suffisant, à lui seul, à fonder la compétence des juridictions françaises [1].

La loi applicable

La France a ratifié la Convention de la Haye du 14 mars 1978 en matière de loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la représentation [2]. L’Italie n’a pas ratifié cette convention, si bien que la loi applicable sera déterminée sur la base du Règlement CE/593/2008, dit Rome I, sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

En réalité, les deux textes internationaux édictent la même règle de conflit de lois et la différence de fondement ne conduira pas, dans la plupart des cas, à une différence de solutions juridiques.

En vertu de la Convention de la Haye, les parties peuvent désigner par clause ou par accord la loi applicable au contrat, à condition que le choix soit exprès ou qu’il résulte clairement des dispositions du contrat ou des circonstances de l’espèce (art. 5 Conv. Haye).

A défaut de prévision des parties, la loi applicable est celle de l’État d’exécution du contrat, à condition que l’agent ait sa résidence habituelle ou son établissement principal dans ce pays ; à défaut, le contrat est soumis à la loi de l’État de résidence habituelle de l’agent, ou de son établissement principal, au moment de la conclusion du contrat (art. 6 Conv. Haye).

Parallèlement, le Règlement Rome I prévoit la faculté pour les parties de choisir la loi applicable (art.3 Règ. Rome I) et, à défaut, le contrat est régi par la loi de l’État de résidence habituelle de l’agent (art. 4 Règ. Rome I).

Toutefois, le Règlement Rome I introduit une prévision supplémentaire par rapport à la Convention de la Haye : sous l’empire du Règlement européen, le choix par les parties d’une loi outre que celle du pays où sont localisés tous les éléments de la situation ne peut pas avoir pour effet de déroger aux dispositions impératives de la loi de cet autre pays [3].

Les textes applicables

Les textes applicables au contrat d’agent commercial sont :

La législation italienne et celle françaises sont issues de la transposition de la Directive CE/86/653 [4].

Néanmoins, les Accords économiques collectifs ont, en Italie, une place importante dans l’encadrement contractuel de l’agent. En effet, nombre de dispositions et clauses puisent leur principe aussi bien que leurs limites dans ces accords.

Pour mieux en comprendre la nature et la portée, nous pouvons les considérer comme une convention collective au sens du droit du travail, applicable au contrat d’agent commercial de droit italien. Une telle vision n’est pas lointaine de la réalité si l’on considère que la majorité des agents de commerces en Italie exerce en qualité de personnes physiques et non pas de société et le contentieux découlant de ces relations contractuelles est soumis à l’autorité de la juridiction prud’homale italienne.

Clauses particulières

Exclusivité et commissions indirectes

L’agent commercial agit dans un secteur géographique définit par le contrat (verbal ou écrit) et a droit à des commissions sur les affaires qu’il a fait conclure à son mandant. De plus, l’agent peut avoir droit à percevoir des commissions dites indirectes, soit sur les affaires que le mandat a conclues avec des clients appartenant au secteur géographique de l’agent.

En droit français, l’agent a droit aux commissions indirectes pour toutes les affaires conclues dans son secteur géographique, sauf prévision contractuelle contraire (art. L.134-6 Code de commerce). Le droit aux commissions indirectes n’est pas subordonné à l’existence d’une exclusivité au profit de l’agent. A contrario, l’existence d’une exclusivité n’emporte pas un droit aux commissions indirectes en faveur de l’agent [5].

Par ailleurs, en droit français l’exclusivité en faveur de l’agent ou du mandant n’existe que si prévue par une clause expresse.
Comme en France, en Italie, l’agent a droit aux commissions indirectes sauf clause contraire (art. 1748 Codice civile).
S’agissant de l’exclusivité, dans ce cas le législateur italien a pris une position différente de celle du législateur français. En effet, en droit italien le contrat d’agent est, sauf clause contraire, soumis à une exclusivité réciproque des deux parties.

Le préavis

En ce qui concerne le préavis du par le mandat à l’agent en cas de rupture du contrat d’agent, la France et l’Italie ont donné une application différente de la directive.

En effet, en France, le préavis est déterminé en fonction de la durée du contrat, tout en plafonnant la durée du préavis à compter de la troisième année d’exécution du contrat à un maximum de trois mois (art. 134-11 Code de commerce).

L’Italie, de son coté à choisi une position plus favorable à l’agent, le préavis pouvant aller jusqu’à six mois à compter de la sixième année.
Pour les années précédentes, le préavis est d’un mois pour chaque an de contrant.

L’indemnité de rupture

La question de l’indemnité de rupture est fondamentale afin d’évaluer l’intérêt pour le mandant d’assujettir le contrat au droit français ou au droit italien.

Le droit français ne prévoit qu’une indemnité évaluée sur la base de l’équité, laissant ainsi une très large marge d’autonomie pour l’appréciation souveraine des juges du fonds. Dans la pratique, la jurisprudence s’est très rapidement alignée sur une position reconnaissant, en moyenne et sauf circonstances particulières, une indemnité d’un montant égal à deux ans de commissions, arrêtée sur la base de la moyenne des commissions perçues par l’agent dans les trois dernières années d’exécution du contrat.

Le droit italien a pris une approche différente, prévoyant des modalités précises de détermination de l’indemnité de cessation du contrat et un plafond maximal d’indemnisation.

En pratique, l’indemnité doit être déterminée en application des critères fixés par les Accords Economiques Collectifs. En tout état de cause, l’indemnité ne saura excéder un montant égal à 1/5 des commissions perçues par l’agent dans les derniers cinq ans d’exécution du contrat.

Période d’essai

Les clauses prévoyant une période d’essai sont, pour le mandant, d’une très grande importance, car elles permettent d’évaluer l’agent sur le terrain, de vérifier la qualité de son activité de promotion et démarchage.

Toutefois, la validité de ces clauses et leurs conséquences sur l’indemnisation dues à l’agent (exclusion ou réduction) sont depuis des années objet de grands débats devant les juridictions françaises et italienne.

En droit français, la jurisprudence reconnaît la validité des clauses prévoyant une période d’essai et, dans un premier temps, elle considérait que, tant que la période n’était pas expirée, le contrat n’était pas parfaitement conclu, si bien qu’en cas de rupture pendant la période d’essai, l’agent n’a pas droit à percevoir l’indemnité de cessation du contrat.

Du versant italien, la possibilité d’une période d’essai privative de l’indemnité en cas rupture est un sujet de discussion. Certains plaident pour une théorie assimilable à celle française, suivant laquelle le contrat n’étant pas parfaitement conclu, l’agent n’aurait pas droit à l’indemnité, d’autres, au contraire, soutiennent le caractère de norme impérative de l’indemnité.

Il convient d’observer que la Cour de Cassation française a récemment saisi la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) d’une demande visant à savoir si, sous l’empire de la Directive, l’agent a droit à percevoir l’indemnité de rupture également dans le cas où celle-ci interviendrait pendant la période d’essai.

La demande préjudicielle formée par la Cour de Cassation française à la CJUE pourrait ouvrier la porte à un revirement jurisprudentiel qui, du fait de son origine communautaire, est susceptible de produire des effets dans tous les Etats membres de l’Union, y compris la France et l’Italie.

Ainsi, il revient maintenant à la CJUE de trancher définitivement la question de savoir si l’agent a droit à l’indemnité de cessation du contrat dès lors que la rupture intervient pendant la période d’essai.

La décision de la CJUE, indépendamment de son contenu, sera porteuse d’une majeure clarté sur l’application des clauses prévoyant une période d’essai et favorisera le procès d’harmonisation des droits nationaux des Etats membre en la matière.

Conclusions

En conclusion, bien que les régimes italien et français puisent leurs principes des mêmes sources juridiques, à savoir la Directive CE/86/653, des différences importantes subsistent quant aux lois en vigueur et à leur application par la jurisprudence.

Dès lors que l’on souhaite confier à un agent italien ou français un mandat, il convient donc de prendre garde à évaluer le régime qui est plus à même d’encadrer la relation, dans l’intérêt des deux parties.

En autre, elles n’ont été envisagées ci-dessus que certaines différences entre les régimes contractuels des agents commerciaux, une grande partie des problématiques juridiques découlant de la conclusion d’un contrat commercial international n’étant pas envisagées. En effet, de par leur nature, les contrats internationaux soulèvent d’important problèmes juridiques et il est vivement conseillé de consulter un avocat avant la conclusion d’un contrat, de manière à ce que celui-ci puisse vous accompagner et conseiller.

Luca Demurtas Avocat au Barreau de Paris et au Barreau de Milan (Italie)

[1Cour de Cassation, Ch. Com, 28 mai 2013, n°11-26.631

[2Bien que le Règlement Rome I soit applicable aussi en France, la Convention de la Haye prévaut sur le Règlement Européen, en vertu du principe specialia derogat principali (la disposition spécial déroge à celle ayant une portée générale).

[3L’intérêt de cette disposition est très limité en matière d’agents commerciaux, dès lors que la Directive CE/86/653 a harmonisé la législation des États membres et les dispositions impératives en matière sont les mêmes en France et en Italie.

[4Loi de transposition française : loi n° 91/593 du 25 juin 1991. Loi de transposition italienne : decreto legge n°303 du 10 septembre 1991.

[5Cass. Com. 23 janvier 2007, n° 05-10.264