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Le changement de corps d’un instituteur en professeur des écoles implique-t-il automatiquement la perte de la gratuité du logement ? Par Sophie Risaletto, Avocat.
Parution : mardi 17 janvier 2017
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Les instituteurs bénéficient de la jouissance d’un logement communal à titre gratuit. Ce corps d’enseignants est amené à disparaître au profit du corps des professeurs des écoles. Ce changement de corps implique par principe la perte de la gratuité du logement.
La disparition de cet avantage n’est pas pour autant automatique et implique que la commune soit précautionneuse dans la modification des conditions financières d’occupation du logement. Ce sont les règles du droit administratif et de la décision unilatérale qui l’imposent.

Le droit au logement des instituteurs trouve son origine dans l’article 12 de la loi du 28 juin 1883 dite loi Guizot.
Ce droit, comme l’indemnité représentative (IRL), est néanmoins attaché à la qualité d’instituteur.

Le décret n°90-680 du 1er août 1990 a créé le corps des professeurs d’écoles qui est destiné, à l’avenir et sous certaines conditions, à se substituer au corps des instituteurs.
Le changement de corps d’un instituteur en professeur des écoles emporte par principe la perte de la gratuité du logement communal.

Pour autant, les règles du droit administratif, et plus précisément celles de l’acte administratif unilatéral, apportent une relative protection à l’occupant, et à l’inverse imposent à la commune un certain formalisme pour assurer le passage d’une occupation gratuite du logement à une occupation onéreuse.

D’une part, l’administration n’est pas autorisée à se référer seulement au texte du décret précité et à la date de changement de corps du professeur pour fixer la date à laquelle la commune va appliquer une redevance à l’enseignant.

En effet, selon l’arrêt Mme Soulier (CE, 6 nov. 2002, n°223041), une décision administrative accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l’administration était tenue de refuser cet avantage.

Et, selon la jurisprudence Ternon (CE, 26 oct. 2001, n°197018), l’administration ne peut retirer une décision individuelle créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de décision.

En outre, dans l’hypothèse où la décision créatrice de droit n’est pas formalisée mais ressort des agissements ultérieurs qui en concrétisent l’exécution, le même délai de quatre mois est applicable (CE, avis, 3 mai 2004, Fort, n° 262074).

Il en va notamment ainsi lorsqu’un avantage explicitement octroyé est ensuite maintenu sans décision formelle alors que les conditions auxquelles est subordonné son maintien ne sont plus remplies : « dans ce cas, il y a lieu, pour faire courir le délai de retrait, de considérer que la décision a été prise le jour à compter duquel l’ordonnateur ne pouvait ignorer que ces conditions n’étaient plus remplies. » (CE, avis, 3 mai 2004, Fort, n° 262074).

Or, en application de ces jurisprudences, le juge administratif pourrait reprocher à l’administration un manque de vigilance si celle-ci ne prend pas immédiatement acte du changement de corps de l’enseignant et maintient, pendant une certaine durée, l’avantage à savoir la gratuité du logement.

Le juge administratif pourrait en conclure que la commune a pris une décision implicite, illégale certes, mais créatrice de droits au profit de l’intéressé en maintenant l’occupation à titre gratuit alors qu’elle ne pouvait ignorer le changement de corps, circonstances qui aurait dû l’amener à prendre, immédiatement, une décision supprimant la gratuité du logement.

D’autre part, l’instituteur qui devient professeur n’a à acquitter une redevance d’occupation du logement non pas à la date du changement de corps (comme cela est souvent invoqué par les administrations) mais seulement à compter de la délibération du conseil municipal qui institue cette redevance (CAA Nancy, 18 nov. 2004, n° 00NC01100, Cne Mercy-le-Bas).

Si une commune entend aujourd’hui mettre fin à la gratuité du logement et mettre à la charge du professeur une redevance, il lui appartient donc de prendre une délibération en ce sens.

Ce n’est qu’en respectant ce préalable que la commune pourra s’assurer du passage d’une occupation gratuite du logement par l’enseignant à une occupation onéreuse.

En outre, cette délibération à prendre par la Commune ne pourra valoir que pour l’avenir, sans aucun effet rétroactif. (CAA Nancy, 18 nov. 2004, n° 00NC01100, Cne Mercy-le-Bas ; CAA Marseille, 12 oct. 2004, n° 00MA01394, Eledjam)

Enfin, les règles du droit administratif et de l’acte administratif unilatéral sont encore protectrices de l’occupant en ce qu’elles imposent une certaine minutie dans l’élaboration des décisions et de leurs motivations.

Dans le cas où une commune adresse à un professeur un titre exécutoire sollicitant le paiement d’une redevance, il conviendra que celui-ci indique bien les bases de la liquidation de la créance et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde.

L’absence de précision du fondement légal du montant initial de la redevance mensuelle a été considérée comme un défaut de motivation du titre exécutoire entraînant son annulation par le tribunal administratif dans une affaire récente.

Il convient donc d’être particulièrement vigilant lors du changement de corps d’un instituteur en professeur des écoles car les règles du droit administratif et de la décision unilatérale viennent interférer le principe de la perte de la gratuité du logement.

Me Sophie Risaletto, E.I., Avocat au Barreau de Lyon, Diplômée Notaire. Site web : http://risaletto-avocats.com/
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