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Prescription de la diffamation sur internet : une réforme possible ? Par Arnaud Dimeglio, Avocat, et Myriam Guerbaa, Juriste.
Parution : jeudi 19 janvier 2017
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Le 12 janvier dernier, a été rejeté un projet de réforme de l’article 65 de la loi de 1881 relatif à la prescription de la diffamation sur Internet. Mais le débat reste ouvert tant cette réforme apparaît nécessaire. Reste à savoir si elle est possible.

Une réforme nécessaire

L’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la prescription des délits de presse (diffamation, et injure notamment) prévoit un délai de 3 mois à compter du jour de leur diffusion.

Ce délai, à l’origine créé pour la presse écrite, est devenu inadapté à l’heure du numérique. La portée d’Internet est en effet considérable puisque, à la différence du support papier, toute information divulguée sur ce réseau est illimitée dans l’espace, et dans le temps.
Si une action n’est pas menée dans le délai de trois mois, la victime perd la possibilité d’agir en justice. Cela contraint la personne intéressée à chercher d’autres fondements, difficiles à invoquer, tant la loi sur la presse est omnipotente.

L’inadaptation de l’article 65 a donc conduit à des tentatives de réforme de la loi de 1881. Depuis 2004, pas moins de 5 propositions de textes ont été soumises au Parlement. Dont deux textes en 2016 : dans le projet de loi « égalité et citoyenneté », et dernièrement, dans la proposition de loi « portant réforme de la prescription en matière pénale ».
Mais aucune de ces réformes n’a pu aboutir.

La dernière modification prévoyait l’extension à un an de ce délai de prescription.
L’article 65 de la loi de 1881 aurait été rédigé en ces termes : « Lorsque les infractions auront été commises par l’intermédiaire d’un service de communication au public en ligne, sauf en cas de reproduction d’un contenu d’une publication diffusée sur support papier, l’action publique et l’action civile se prescriront par une année révolue, selon les mêmes modalités. »
Mais le 12 janvier dernier, un amendement déposé par le député Patrick Bloche, visant à la suppression de cette extension, a été adopté à une courte majorité (32/27 voix).
La réforme n’a donc pu réussir.

Une réforme possible

Pour s’opposer à toute réforme, les adversaires, et le lobbying des médias en particulier, invoquent principalement un manquement au principe d’égalité entre presse papier, et numérique.
Pourtant, cette réforme ne semble pas porter atteinte à ce principe.

En effet, comme l’a déjà souligné le Conseil constitutionnel : « la prise en compte de différences dans les conditions d’accessibilité d’un message dans le temps, selon qu’il est publié sur un support papier, ou qu’il est disponible sur un support informatique, n’est pas contraire au principe d’égalité ». (cf Conseil constitutionnel, 10 juin 2004, n°2004-496 DC, Considérant n°14).

En 2004, le Conseil constitutionnel avait censuré la loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN) laquelle prévoyait que le délai de prescription courait à compter de la cessation de la communication en ligne. A juste titre, la haute juridiction avait rejeté cette réforme car cela revenait à rendre imprescriptible les délits de presse.
Il avait pris soin néanmoins d’indiquer que cette réforme n’était pas impossible.

Reste donc à trouver la bonne mesure, le juste équilibre entre la liberté d’expression, et la protection de la réputation des personnes.
Tout d’abord sur le délai, le projet prévoit d’allonger la durée de la prescription de trois mois à un an. Les moteurs de recherche permettent souvent de retrouver tout type d’information. Ce délai apparaît par conséquent raisonnable.
Mais il est parfois difficile de détecter une diffamation noyée dans les pages profondes des moteurs. Dans certains cas, cette recherche s’avère même impossible : des contenus ne sont tout simplement pas indexés, référencés par les moteurs.
Ce délai apparaît au moins cohérent par rapport aux autres extensions du délai à un an reconnues pour d’autres infractions dans la loi de 1881 (article 65-3). Mais la dernière mouture du projet de réforme prévoit que cet allongement ne serait pas applicable en cas de reproduction sur Internet d’un contenu diffusé sur support papier.
Ce qui n’apparaît pas, pour le coup, cohérent.

En effet, il est nécessaire de distinguer la prescription de la diffamation selon le support numérique, ou papier. Peu importe que le contenu mis en ligne soit également diffusé sur papier. Ce qui compte, c’est de protéger les victimes de délits commis sur un support numérique. Cette limitation de la prescription n’apparaît donc pas justifiée.
Elle correspond sans doute à une revendication du lobbying des médias. Certains parlementaires dénoncent cet assujettissement du pouvoir législatif au « 4ème pouvoir ».

Mais il convient surtout, contrairement aux idées reçues, de comprendre que cette réforme n’irait pas à l’encontre des médias. En effet, on constate aujourd’hui que l’inadaptation de la loi de 1881 risque de la conduire à sa perte.
En pratique déjà, et notamment dans les prétoires, on constate que d’autres droits concurrencent cette loi, et, moyennant quelques acrobaties juridiques, il est parfois possible de l’écarter.
Il est donc temps de mettre fin à cet anachronisme de la loi de 1881, et de la moderniser, pour mieux la préserver.

Arnaud DIMEGLIO, Avocat spécialiste en droit des nouvelles technologie, droit de l'informatique et de la communication Myriam GUERBAA, Juriste http://dimeglio-avocat.com/
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