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Forfait jours et loi Travail/ El Khomri du 8 août 2016 : qu’est-ce qui va changer ? Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : vendredi 20 janvier 2017
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En 2014, selon une étude la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES), 25% des salariés seraient en forfait jours.
A cet égard, le dispositif du forfait jours est particulièrement attractif pour un employeur : il permet de décompter la durée du travail d’un salarié en jours sur l’année et donc d’échapper aux règles relatives aux heures supplémentaires.

Depuis 2000 et la création par le législateur du forfait jours, de nombreuses évolutions législatives et jurisprudentielles sont intervenues en la matière afin de mieux encadrer ce dispositif.

A cet égard, l’accord collectif sur le forfait jours doit comporter des dispositions qui assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que les temps de repos journaliers et hebdomadaires (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107 ; Cass. soc., 17 déc. 2014, n° 13-22.890, n° 2402 FS - P + B).

La loi Travail n°2016-1088 du 8 août 2016 modifie légèrement les dispositions sur le forfait jours.

Néanmoins, les risques judiciaires liés aux forfaits jours subsistent et notamment le paiement des heures supplémentaires en cas de nullité du forfait jours.

1) Rappel préalable : les forfaits jours ne peuvent pas s’appliquer aux cadres soumis à des horaires prédéterminés (cass. soc. 15 décembre 2016)

L’article L. 3121-58 nouveau du Code du travail indique que peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l’année :
- Les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;
- Les salariés (non cadres) dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

Dans un arrêt du 15 décembre 2016 (n°15-17568), la Cour de cassation a rappelé que le système de forfait jours pour les cadres ne peut s’appliquer qu’aux cadres autonomes et à l’exclusion des cadres soumis à des horaires prédéterminés de travail.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a considéré que les salariés, membres du comité de direction des machines à sous du Casino d’Enghien-les-Bains, étaient soumis à un planning contraignant imposant leur présence au sein de l’entreprise à des horaires prédéterminés, ce qui était antinomique avec la notion de cadre autonome.

Dès lors, l’employeur ne pouvait recourir à une convention de forfait en jours et qu’il y avait lieu de leur appliquer le droit commun de la durée du travail, lequel suppose un décompte des heures supplémentaires sur la base des heures de travail réellement effectuées (cass. soc. 15 dec. 2016, n°15-17568).

2) Les modifications apportées par la Loi Travail du 8 août 2016 au forfait jours

La loi Travail apporte plusieurs modifications aux règles applicables à la convention de forfait en jours sur l’année.

2.1) Forfait jours et droit à déconnexion (dans les entreprises de 50 salariés en plus) à compter du 1er janvier 2017

L’accord collectif qui met en œuvre le forfait jours doit déterminer : « (…) 3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l’article L. 2242-8. ».

Dans les entreprises de 50 salariés et plus, dans le cadre de la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au Travail, ce droit à la déconnexion doit être mis en place par un accord collectif ou par une charte.

Pour plus d’information, vous pouvez vous reporter à notre article : Droit à la déconnexion des salariés à partir du 1er janvier 2017 : comment le mettre en place ?

La loi Travail du 8 août 2016 ne prévoit pas de négociation sur le droit à déconnexion dans les entreprises de moins de 50 salariés, néanmoins, nous recommandons aux entreprises de moins de 50 salariés de mettre en place le droit à déconnexion par voie de charte.

Ceci permet aux entreprises de respecter effectivement les droits aux repos et aux congés des salariés.

Dans la branche Syntec, il est prévu des dispositions sur le droit à la déconnexion (article 4.8.1 de l’avenant du 1er avril 2014 (étendu le 26 juin 2014(JO4/07/2014)) à l’accord du 22 juin 1999 sur la durée du travail).

Ces dispositions sur le droit à la déconnexion dans les entreprises soumises à l’accord Syntec s’appliquent quel que soit l’effectif de l’entreprise.

Cet accord prévoit l’employeur doit s’assurer que « le salarié ait la possibilité de se déconnecter des outils de communication à distance mis à sa disposition ».

2.2) L’obligation de suivi de la charge de travail du salarié sous forfait jours : à défaut, nullité du forfait jours

La loi Travail impose à l’employeur de s’assurer « régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail » (article L.3121-60 du Code du travail).

En effet, la jurisprudence contrôle strictement les dispositions conventionnelles relatives au suivi de la charge de travail du salarié (Cass. soc. 17 décembre 2014, n°13-22.890) ainsi que la mise en œuvre concrète de ce suivi.

A défaut de suivi de la charge de travail, le forfait jours est nul et le salarié pourra obtenir le paiement des heures supplémentaires s’il est en mesure de prouver ces dernières (9 novembre 2016, n° 15-15064).

2.3) L’encadrement de la renonciation à une partie des jours de repos par le salarié en forfait jours

Tout d’abord, concernant le nombre de jours du forfait, les dispositions de l’article L.3121-59 du Code du travail prévoient la possibilité, pour le salarié, de « renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de son salaire ».

La loi Travail du 8 août 2016 ajoute désormais que l’avenant prévoyant cette renonciation n’est valable que pour l’année en cours et qu’il « ne peut être reconduit de manière tacite » (article L.3121-59, alinéa 2 du Code du travail).

Cette disposition permettra ainsi de mieux encadrer la renonciation des salariés à une partie de leurs jours de repos, et ainsi éviter les abus des employeurs qui souhaiteraient reconduire abusivement ce mécanisme, sans l’accord exprès du salarié.

2.4) La prise en compte des heures de délégation des salariés protégés au forfait jours

La loi Travail du 8 août 2016 prévoit également un mécanisme supplétif de décompte des heures de délégation pour les salariés protégés en forfait jours, à défaut de dispositions conventionnelles.

Les heures de délégations pourront être regroupées en demi-journées de 4 heures afin de venir en déduction du nombre de jours annuels travaillés ; les modalités d’utilisation d’un éventuel reliquat seront fixées par décret.

2.5) De nouvelles obligations des employeurs en matière de négociation collective

La véritable nouveauté apportée par la loi Travail du 8 août 2016 tient dans la modification du contenu des accords collectifs mettant en place les conventions de forfait en jours.

Notamment, l’article L.3121-64 I du Code du travail prévoit l’obligation pour l’accord encadrant la conclusion de conventions de forfait en jours de déterminer :
« 1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ;
2° La période de référence du forfait, qui peut être l’année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;
3° Le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours s’agissant du forfait en jours ;
4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;
5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait. »

Aux termes de l’article L. 3121-64 II, l’accord doit également déterminer :
« 1° Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
2° Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise ;
3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l’article L. 2242-8.  »
(cf paragraphe 2.1 ci-dessus)

S’ajoutent donc désormais l’obligation de déterminer la période de référence du forfait jours, qui peut être différente de l’année civile, les règles applicables en cas d’absences, d’arrivées ou de départ en cours de période, ainsi que l’obligation de prévoir les modalités d’exercice du droit à la déconnexion du salarié au forfait jours.

La loi Travail du 8 aout 2016 prévoit également des dispositions supplétives, en l’absence de clause relative à l’entretien annuel et au suivi du salarié dans l’accord collectif, à savoir :
« 1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération »
(article L.3121-65 du Code du travail).

Cette disposition va notamment permettre aux accords en vigueur avant la loi Travail de continuer à s’appliquer, sans risquer d’être remis en cause.

En effet, jusqu’à la loi Travail, les accords collectifs ainsi que les conventions de forfait jours conclues sur la base de ces accords étaient frappées de nullité dès lors qu’ils ne comportaient pas de garanties suffisantes visant à assurer la santé et la sécurité du salarié.

A défaut pour l’employeur de mettre en place les mesures prévues à l’article L.3121-65 du Code du travail, le forfait jours sera nul et le salarié pourra obtenir un rappel d’heures supplémentaires, sous réserve bien évidemment de pouvoir en justifier.

3) En conclusion : il n’y a pas de sécurisation réelle des forfaits jours avec la loi Travail du 8 août 2016, les contentieux liés aux forfaits jours subsisteront probablement

La loi Travail du 8 août 2016 formalise de nouvelles obligations pour l’employeur en matière de contenu de l’accord collectif, et notamment un suivi régulier de la charge de travail.

Pour autant, ce suivi était déjà imposé par la Cour de cassation, de telle sorte qu’on ne peut pas parler vraiment d’une sécurisation.

Par ailleurs, la loi Travail ne traite ni de la durée maximale hebdomadaire des salariés soumis au forfait jours, ni de la majoration de leur rémunération.

Dès lors, il apparait peu probable que les contentieux liés aux forfaits jours diminuent.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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